LA FRANCE PITTORESQUE
Grandes Compagnies
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Publié le mardi 13 avril 2010, par Redaction
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Bandes d’aventuriers de toutes les nations qui, dans la seconde moitié du quatorzième siècle, désolèrent non seulement la France, mais l’Italie et l’Espagne. Voici comment Mathieu Villani raconte l’organisation d’une de ces compagnies dans la marche d’Ancône, en 1353, par un chevalier de Jérusalem, organisation qui devait être à peu près la même dans tous les pays.

« Frère Moriale, dit-il, convoqua par lettres ou par messages une grande quantité de soldats qui se trouvaient sans emploi. Il leur fit dire de venir à lui, qu’ils seraient défrayés de tout et bien payés. Ce moyen lui réussit parfaitement ; il rassembla bientôt autour de lui quinze cents bassinets et plus de deux mille compagnons, tous hommes avides de gagner leur vie aux dépens d’autrui... ils se mirent à chevaucher le pays et à piller de tous côtés... Comme la contrée était remplie de tous biens, ils y séjournèrent un mois. Pendant ce temps, l’effroi qu’ils inspiraient mit tous les châteaux d’alentour à leur disposition. Beaucoup de soldats mercenaires qui avaient fini leur temps, apprenant que la compagnie faisait un grand butin, refusèrent du service pour se réunir à frère Moriale.

Fête des Champs-Golot

Château d’Alleuze (Cantal), pris par le chef
d’une Grande Compagnie au XVe siècle
(Crédit photo : mairie d’Alleuze

« Quelques-uns même se firent casser pour venir le joindre ; et il les faisait inscrire. Il observait la plus grande régularité dans la répartition du butin. Les objets pillés ou dérobés qui pouvaient se vendre étaient vendus par ses ordres. Il donnait des sûretés aux acheteurs, et, afin que sa marchandise eût cours, il s’arrangeait de façon à se montrer loyal. Il institua un trésorier pour la recette et la dépense ; créa des conseillers et des secrétaires avec lesquels il réglait toutes choses. Obéi des cavaliers et des compagnons, comme s’il eût été leur seigneur, il leur rendait la justice, et faisait exécuter ses arrêts immédiatement. »

C’est dans le récit animé de Froissart qu’il faut lire la vie et les exploits de ces hardis aventuriers qui souvent en peu de mois amassaient des fortunes considérables. L’un d’eux, Aimerigot Marchès, se repentant d’avoir vendu au comte d’Armagnac le château d’Alleuze, près de Saint-Flour, imaginoit en soi, dit le chroniqueur, que trop tost il s’estoit repenti de faire bien, et que de piller et rober en la manière que devant il faisoit et avoir faict, tout considéré c’estoit bonne vie. A la fois il s’en devisoit aux compagnons, qui lui avoient aidié à mener cette ruse, et disoit : « Il n’est temps, esbatement ni gloire en ce monde, que de gens d’armes, de guerroyer par la manière que nous avons faict ! Comment estions-nous resjouis quand nous chevauchions à l’avanture et nous pouvions trouver sur les champs ung riche abbé, ung riche prieur, marchand, ou une route (convoi) de mulles de Montpellier, de Narbonne, de Limoux, de Fougans, de Béziers, de Toulouse et de Carcassonne, chargées de draps de Bruxelles ou de Moustier-Villiers, ou de pelleteries venant de la foire au Lendit, ou d’épiceries venant de Bruges, ou de draps de soye de Damas ou d’Alexandrie ? Tout estoit nostre ou rançonné à nostre volonté. Tous les jours nous avions nouvel argent. Les villains d’Auvergne et de Limousin nous pourvéoient et nous amenoient en nostre chastel les bleds, la farine, le pain tout cuit, l’avoine pour les chevaux et la litière, les bons vins, les bœufs, les brebis et les moutons tout gras, la poulaille et la volaille. Nous estions gouvernés et estoffés comme rois, et quand nous chevauchions, tout le pays trembloit devant nous. Tout estoit nostre, allant et retournant... Par ma foy, ceste vie estoit bonne et belle ! »

Les grandes compagnies, après avoir battu l’armée royale à Brignais, rançonné le pape à Avignon, sortirent enfin de France en 1366 et se rendirent en Espagne sous la conduite de Duguesclin, qui, lui-même, à la tête de ses Bretons, avait pillé force villages et dévalisé bien des voyageurs sur les grands chemins. D’autres troupes passèrent en Italie, s’y recrutèrent, et, grâce aux guerres civiles de ce pays, elles y subsistèrent jusqu’au quinzième siècle.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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