LA FRANCE PITTORESQUE
10 février 1755 : mort de Montesquieu
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Publié le vendredi 8 février 2013, par LA RÉDACTION
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Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, président au parlement de Bordeaux, était né le 18 janvier 1689 ; il suffit, pour montrer l’étendue de son génie et la variété de ses talents, d’observer que c’est l’auteur des Lettres persanes et du Traité sur la grandeur et la décadence des Romains, du Temple de Gnide et de l’Esprit des Lois.

Montesquieu

Montesquieu

Il donna à l’âge de trente-deux ans, les Lettres persanes, ouvrage de plaisanterie, plein de traits qui annoncent un esprit plus solide que son livre. C’est une imitation du Siamois de Dufréni et de l’Espion turc, mais imitation qui fait voir comment ces originaux devaient être écrits. Ces ouvrages d’ordinaire ne réussissent qu’à la faveur de l’air étranger : on met avec succès dans la bouche d’un Asiatique, la satire de notre pays, qui serait bien moins accueillie dans la bouche d’un compatriote : ce qui est commun par soi-même, devient alors singulier. Le génie qui règne dans les Lettres persanes ouvrit au président de Montesquieu les portes de l’Académie française, quoique l’Académie fût maltraitée dans son livre ; mais en même temps la liberté avec laquelle il parle du gouvernement et des abus de la religion, fit craindre que l’élection de l’Académie fût rejetée.

Il prit un tour très adroit pour mettre le ministre dans ses intérêts ; il fit faire, en peu de jours, une nouvelle édition de son livre, dans laquelle on retrancha ou on adoucit tout ce qui pouvait être condamné par un cardinal et par un ministre. Montesquieu porta lui-même l’ouvrage au cardinal de Fleury, qui ne lisait guère, et qui en lut une partie. Cet air de confiance, soutenu par l’empressement de quelques personnes en crédit, ramena le cardinal, et Montesquieu entra dans l’Académie le 24 janvier 1728.

Il donna ensuite le Traité sur la grandeur et la décadence des Romains, matière usée qu’il rendit neuve par des réflexions très fines et des peintures très fortes ; c’est une histoire politique de l’empire romain. Enfin, parut son Esprit des Lois ; cet ouvrage , auquel il avait en quelque sorte préludé par quelques unes des Lettres persanes, et par le livre des causes de la grandeur et de la décadence des Romains, fut l’affaire de toute sa vie ; il y rapporta ses études, ses réflexions et ses voyages : c’est le produit de vingt années de travail.

On a trouvé dans ce livre beaucoup plus de génie que dans Grotius et dans Puffendorff. On se fait quelque violence pour lire ces auteurs ; on lit l’Esprit des Lois autant pour son plaisir que pour son instruction. Ce livre est écrit avec autant de liberté que les Lettres persanes, et cette liberté n’a pas peu servi au succès.

Le principal mérite de l’Esprit des Lois, est l’amour des lois qui règne dans cet ouvrage, et cet amour des lois est fondé sur l’amour du genre humain. Les réflexions de l’auteur, presque toujours profondes, sont appuyées d’exemples tirés de l’histoire de toutes les nations. Il est vrai qu’on lui a reproché de prendre trop souvent des exemples dans les petites nations sauvages et presque inconnues, sur les relations trop suspectes des voyageurs.

Il ne cite pas toujours avec beaucoup d’exactitudes : il fait dire, par exemple, à l’auteur du Testament politique, attribué au cardinal de Richelieu, que s’il se trouve dans le peuple quelque malheureux honnête homme, il ne faut pas s’en servir. Le Testament politique dit seulement à l’endroit cité, qu’il vaut mieux se servir des hommes riches et bien élevés, parce qu’ils sont moins corruptibles.

Montesquieu s’est trompé dans d’autres citations, jusqu’à dire que François Ier (qui n’était pas né lorsque Christophe Colomb découvrit l’Amérique), avait refusé les offres de Christophe Colomb. Le défaut continuel de méthode dans cet ouvrage, la singulière affectation de ne mettre souvent que trois ou quatre lignes dans un chapitre, et encore de ne faire de ces quatre lignes qu’une plaisanterie ont indisposé beaucoup de lecteurs ; on s’est plaint de trouver trop souvent des saillies où l’on attendait des raisonnements ; on a reproché à l’auteur d’avoir trop donné d’idées douteuses pour des idées certaines ; mais s’il n’instruit pas toujours son lecteur, il le fait penser ; et c’est là un très grand mérite.

Ses expressions vives et ingénieuses, dans lesquelles on trouve l’imagination de Montaigne, son compatriote, ont contribué surtout à la grande réputation de l’Esprit des Lois ; les mêmes choses, dites par un homme savant, et même plus savant que lui, n’auraient pas été lues ; enfin, il n’y a guère d’ouvrages où il y ait plus d’esprit, plus d’idées profondes, plus de choses hardies, et où l’on trouve plus à s’instruire, soit en approuvant les opinions de l’auteur, soit en les combattant. On doit le mettre au rang des livres originaux qui ont illustré le XVIIIe siècle, et qui n’ont aucun modèle dans l’antiquité.

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