LA FRANCE PITTORESQUE
1er février 1328 : mort de Charles IV, dit le Bel
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Publié le mardi 16 février 2010, par LA RÉDACTION
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Charles le Bel ou le Beau ; on le nomme aussi Charles IV. Comte de la Marche avant d’être roi, il était le troisième fils de Philippe le Bel et succéda à son frère Philippe le Long dans les royaumes de France et de Navarre, le 3 janvier 1322, puis fut sacré le 21 février suivant.

Charles n’était encore que comte de la Marche lorsqu’il épousa Blanche de Bourgogne. Cette princesse, et sa sœur Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe le Long, ainsi que Marguerite de Bourgogne, femme du roi Louis le Hutin, s’abandonnèrent, dans l’abbaye de Maubuisson, avec des gentilshommes du voisinage, à des désordres qu’alors les princes ne pardonnaient pas à leurs épouses. Le temps des troubadours et de la vieille chevalerie commençait à passer ; les maris n’étaient plus aussi complaisants pour les poètes et les guerriers, amants de leurs femmes. Les trois princes, indignés des infidélités de leurs épouses, dont les galanteries secrètes furent découvertes en 1313, s’en vengèrent diversement, selon la diversité de leur caractère.

Par l’ordre de Louis le Hutin, les amants périrent dans des supplices qu’on ne peut détailler, tant ils sont atroces. Les trois princesses furent emprisonnées, Blanche et Marguerite au château Gaillard, et Jeanne au château de Dourdan. Charles le Bel se montra moins sévère que son frère le roi Louis le Hutin, qui fit étrangler sa femme Marguerite dans sa prison ; moins indulgent que son autre frère Philippe le Long, qui, après quelques années de prison, rappela sa femme Jeanne auprès de lui, et la reçut en qualité d’épouse et de reine : il prit un milieu entre ces partis extrêmes ; il fit casser son mariage, épousa, en 1322, Marie de Luxembourg, et, après avoir tenu Blanche, sa première femme, dans une longue captivité, il ne lui permit d’en sortir que pour se faire religieuse dans l’abbaye de Maubuisson, théâtre de ses anciens dérèglements ; elle y mourut en 1326, un an après y être entrée. Froissard dit qu’elle était l’une des plus belles femmes du monde.

Ajoutons que plusieurs complices des désordres de ces princesses furent arrêtés, torturés ou mis à mort. De ce nombre était un moine Jacobin, ou de l’ordre des frères Prêcheurs, qui prenait le titre d’évêque de Saint-Georges. Il était accusé de fournir à ces princesses licencieuses des remèdes propres à détruire, en cas d’événement, les preuves de leur incontinence ; il fut condamné à mort et exécuté dans la ville d’Avignon.

Marie de Luxembourg, seconde épouse de Charles, était fille de l’empereur Henri VII de Luxembourg et sœur du roi de Bohème ; elle ne vécut que peu de temps. Dans un voyage qu’elle fit au mois de mars 1324, le fond de son chariot s’étant brisé près d’Issoudun en Berry, elle tomba, et cette chute provoqua un accouchement avant terme. La mère et l’enfant perdirent bientôt la vie. Il s’éleva des soupçons sur la cause de cette double mort, dit Froissard. Quelques personnes furent en derrière et couvertement accusées d’en être les auteurs. Il faut dire qu’aucun autre monument historique n’autorise ces soupçons.

Charles le Bel ayant à cœur de perpétuer la dynastie des Capétiens en ligne directe, se remaria en 1325 avec Jeanne d’Evreux, sa cousine germaine. La cour de Rome, qui, pour un tel mariage, aurait, sous les rois carolingiens, gardé un silence respectueux, et sous les premiers rois de la troisième eût fulminé contre les époux toutes les foudres du Vatican, comme elle fit contre le roi Robert et la reine Berthe, la cour de Rome, disions-nous, avait alors changé de principes ; devenue plus accommodante, elle consentit à ce mariage moyennant de l’or.

Lorsque Charles le Bel entreprit de gouverner la France, il s’aperçut que les finances étaient dans un état déplorable. Au lieu d’y rétablir l’ordre par de sages économies, il fit ce qu’avaient fait plusieurs rois ses prédécesseurs : il eut recours à des moyens tyranniques et vexatoires. Des financiers italiens, ou plutôt des usuriers appelés Lombards, établis en France, et surtout à Paris, s’étaient enrichis aux dépens du public. Au lieu de les punir légalement et de les contraindre à restituer aux particuliers les sommes qu’ils en avaient indûment retirées, il trouva plus commode de s’emparer de tous les biens de ces Lombards et de les chasser de France. Ainsi ce roi profitait et de la perte de ses sujets et des fruits de l’usure.

Un autre moyen propre à réparer ses finances, que lui suggérait pareillement l’exemple de ses prédécesseurs, fut employé par Charles le Bel. Entre plusieurs ordonnances qu’il rendit sur les règlements des monnaies, il en est quelques-unes qui altèrent la valeur des pièces en circulation. Les prix des denrées, des marchandises variaient souvent : on ne pouvait savoir ce qu’on possédait ; suivant que le roi avait à payer ou à recevoir, les valeurs monétaires subissaient une hausse ou une baisse : c’était un attentat manifeste à la propriété ; c’était prendre l’argent dans les poches.

Cette iniquité était passée en usage ; Charles le Bel s’en servait comme d’un expédient légitime. Dans d’autres circonstances, il se montra juste et même sévère. Il envoya dans diverses provinces des commissaires chargés de prendre des informations sur les juges prévaricateurs, et surtout d’arrêter les brigandages des nobles. Les grands exemples, disait-il, sont les plus nécessaires.

Le plus distingué de ces nobles destructeurs était Jourdain de Lisle, seigneur de Casaubon, neveu, par sa femme, du pape Jean XXII. En faveur de cette alliance, le roi Charles lui avait déjà pardonné plusieurs crimes : Jourdain en commettait toujours. Le roi le livra à la justice du Parlement de Paris, qui, en 1323, le condamna à être traîné à la queue d’un cheval jusqu’au gibet, et à y être pendu. Il subit ce jugement à Paris, le samedi qui suivit l’Ascension. Le curé de Saint-Merri s’empressa d’enterrer honorablement le corps du défunt ; et pour s’en faire un titre auprès du pape, il lui adressa une lettre ridicule où il lui apprend que son neveu ayant été pendu, il lui a fait des obsèques convenables et gratis.

Les crimes de ce seigneur étaient très-graves ; en voici la substance d’après les registres manuscrits de la tournelle de Paris, et d’après ses propres aveux devant les juges.

Les gens de Jourdain de Lisle tuèrent le lieutenant du châtelain de Saint-Macaire, et Jourdain applaudit à ce meurtre ; ses gens, par son ordre, égorgèrent un grand nombre de femmes et de petits enfants ; ils incendièrent plusieurs maisons, pillèrent et dévastèrent plusieurs églises et abbayes, firent contribuer les habitants de la petite ville de Flex à la somme de quatre mille livres, sans en avoir le droit. Enfin, Jourdain avoua publiquement, et à plusieurs reprises, qu’il était coupable de tant de crimes qu’il avait bien mérité la mort. Pendant sa prison, on trouva sur lui une petite bourse contenant « une partie de la sainte croix, comme il disait, » des reliques de saint Georges, les noms de Nôtre-Seigneur et » des évangiles. » Le seigneur Gaucher de Châtillon s’empara de cette bourse et de son contenu. Le crime et l’ignorance appellent ordinairement la superstition à leur secours.

Un des plus notables événements du règne de Charles le Bel fut la guerre qu’il eut à soutenir, en 1324, contre les Anglais ou leurs partisans. Le seigneur de Montpezat en Agenois fit construire une bastille ou forteresse sur un terrain qui, suivant le roi Charles, appartenait à la France : les Anglais soutenaient le contraire. Un arrêt du Parlement décida que ce terrain faisait partie du territoire français. En conséquence Charles le Bel s’empara de la bastille et y mit, garnison. Le seigneur de Montpezat réclama du secours auprès du sénéchal d’Angleterre, qui vint assiéger la forteresse, la prit et massacra la garnison française. Charles le Bel se plaignit au roi d’Angleterre, lui demanda réparation de la prise de cette place et du massacre des hommes qui la défendaient, prise et massacre qui, dans les chroniques de France, sont simplement qualifiés de villenies. Le roi d’Angleterre envoya son fils et autres personnes pour négocier cette affaire. Ces négociateurs consentirent aux demandes de Charles, et partirent de Paris avec un commissaire du roi pour se rendre sur les lieux et y faire exécuter les conventions. Dès qu’ils approchèrent des parties de la Guyenne soumises au roi d’Angleterre, les négociateurs anglais dirent au commissaire du roi de France qu’il eût à s’en retourner, sinon qu’ils lui couperaient la tète. Ce commissaire, nommé Jean d’Arrablay, pour sauver sa vie, partit brusquement pour Paris.

Instruit de cette perfidie, Charles le Bel envoya dans la Guyenne une puissante armée commandée par son oncle Charles, comte de Valois, qui fit de rapides et faciles conquêtes, prit plusieurs villes et bourgs, prit et rasa la bastille, cause de cette guerre. Le roi d’Angleterre recourut à des négociations ; il envoya auprès du roi de France son épouse Isabelle, sœur du roi Charles. Elle parvint à conclure, le 31 mai 1325, un traité de paix entre les deux puissances ; mais cette pacification ne fut pas durable. Isabelle, craignant des persécutions en Angleterre, et retenue en France par un tendre attachement pour le jeune comte de la Marche, resta dans ce dernier royaume et habitait le Ponthieu avec son fils, le prince Édouard. Les instances de son époux pour la rappeler auprès de lui furent inutiles. Le roi d’Angleterre, irrité d’un retardement aussi prolongé et peu nécessaire, irrité de la protection que lui accordait Charles le Bel, rompit le traité de paix et fit la guerre à la France. La Guyenne fut le malheureux théâtre de ces nouvelles hostilités, on se battit avec fureur. Charles le Bel, sollicité de toutes parts de renvoyer sa sœur Isabelle en Angleterre, y consentit. Cette princesse se retira avec répugnance, et une lenteur méditée. Arrivée en Angleterre, elle y excita un soulèvement contre le roi son époux, qui fut fait prisonnier, dégradé et égorgé dans sa prison. Cette femme galante et ambitieuse fit, dans le règne suivant, beaucoup de mal à la France.

Cependant la guerre continuait en Guyenne, elle reçut même un nouveau degré d’activité par l’intervention des nombreux bâtards de la noblesse gasconne, qui tenait le parti des Anglais. Cette guerre fut nommée la guerre des Bâtards. Charles le Bel demanda des secours à Alphonse d’Espagne, qui vint en Languedoc ; d’autre part, il y envoya une armée commandée par le maréchal de Briquebec, et les ennemis légitimes ou bâtards furent mis en déroute.

Charles le Bel tomba malade à Vincennes, et y mourut le 1er février 1328, âgé de 34 ans, après six ans de règne. Quoiqu’il se fût marié trois fois, il ne laissa point d’enfant mâle. La ligne directe des Capétiens se termina en sa personne ; elle fut continuée par la branche collatérale des Valois.

Charles, pendant son règne, ne mérita que peu d’éloges, que peu de blâme ; il occupa une place dans l’ordre chronologique. Il n’eut ni l’énergie de son père Philippe le Bel, ni la méchanceté de son frère aîné Louis le Hutin, ni les vues étendues de son autre frère, Philippe le Long.

Les magiciens étaient nombreux sous son règne, Les Parlements punissaient plus sévèrement les vols que les meurtres, qui furent très fréquents. Charles le Bel fut le premier roi qui obligea les roturiers possesseurs de fiefs à payer, pour les conserver, une contribution qui fut nommée droit de franc-fief. Cette ordonnance bursale est la seule innovation qu’il fit pendant son règne.

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