LA FRANCE PITTORESQUE
François Ier le Grand
ou le Restaurateur des Lettres
(né le 12 septembre 1494,
mort le 31 mars 1547)
(Roi de France : règne 1515-1547)
Publié le vendredi 5 février 2010, par LA RÉDACTION
Imprimer cet article

Il naquit à Cognac le 12 septembre 1494. Il descendait, ainsi que Louis XII, de Charles le Sage, par Louis Ier, duc d’Orléans. L’assassinat de ce dernier prince, victime de la jalousie et de la cruauté de Jean duc de Bourgogne, fut le signal des malheurs dont sa famille devait être si longtemps accablée. Charles, son fils aîné, et Jean, comte d’Angoulême, son troisième fils, après avoir inutilement cherché tous les moyens légitimes de venger leur père, appelèrent les Anglais en France, se repentirent de ce traité, le rompirent avec une générosité imprudente, et l’un fut leur prisonnier pendant vingt-cinq ans, l’autre pendant trente. Lecomte d’Angoulême, aïeul de François Ier, ne connut point le bonheur au sortir de sa longue captivité.


François Ier (1515-1547)

Sa rançon lui avait coûté la plus grande partie de ses domaines ; mais il se vengea des Anglais en contribuant, par ses exploits, à leur enlever la Guyenne. Il vécut ensuite dans la retraite et se montra, en s’éloignant des intrigues de la cour, un digne petit-fils de Charles le Sage. Son fils Charles, comte d’Angoulême, passa presque toute sa vie à se défendre des ombrages que Louis XI avait conçus. Il épousa, par les ordres de ce monarque, Louise, fille de Philippe, duc de Savoie.

De ce mariage naquit François Ier. Sa mère prit de lui les soins les plus tendres. Le jeune prince n’avait que deux ans lorsqu’il perdit son père : mais bientôt il en retrouva un dans le bon Louis XII, qui monta sur le trône en 1498. Ce monarque confia son éducation à Gouffier-Boissy, l’un des esprits les plus éclairés et l’un des plus nobles chevaliers de ce temps. Jamais instituteur n’eut plus à s’applaudir des brillantes qualités de son élève.

Le jeune François portait autant d’ardeur dans les études les plus sérieuses, qu’il en mettait dans tous les exercices auxquels se bornait alors l’éducation du gentilshomme. Sa physionomie gagnait les cœurs. L’amour de la gloire éclatait dans ses regards. Il réparait avec une grâce inexprimable les fautes où pouvait l’entraîner la vivacité de son âge et de son caractère. Les jeunes nobles, qu’il surpassait tous par la majesté de sa taille et sur lesquels il remportait des victoires continuelles dans les tournois, le chérissaient comme leur frère, et s’attachaient à lui comme à leur modèle.

Deux fils que Louis XII avait eus d’Anne de Bretagne, sa seconde femme, étaient morts au berceau ; mais il lui restait deux filles, mesdames Claude et Renée. Il maria la première à son jeune parent et nomma ce prince duc de Valois. Les victoires de Gaston de Foix élevaient alors la France au plus haut degré de gloire. Le jeune François voyait dans ce héros son guide, son ami : il s’apprêtait à voler sur ses pas en Italie, lorsque le coup fatal qui emporta Gaston de Foix au sortir de la victoire de Ravenne mit un terme aux courtes prospérités de Louis XII.

Ce monarque, après s’être engagé dans une ligne imprudente, vit se former contre lui la coalition la plus déloyale. Étourdi du nombre de ses ennemis, de la fureur de leurs attaques, il se confia dans l’amour de son peuple et dans l’ardeur de ses jeunes héros. Ce fut au duc de Valois qu’il remit le soin de défendre la Navarre. Dans des circonstances si difficiles, tout prescrivait la prudence aux généraux de Louis XII. Le duc de Valois dompta l’impétuosité de son caractère, pour servir les véritables intérêts de sa patrie. S’il ne put reprendre la Navarre, déjà conquise par les armes du duc d’Albe, il parvint à empêcher les Espagnols de franchir les Pyrénées.

L’année suivante, Louis XII, dont le règne venait d’être humilié par la fatale journée du 13 avril 1513 dite des Eperons, employa le duc de Valois à prévenir les suites de cet échec : ce prince conçut des projets hardis pour secourir Tournai ; mais sa mission était de couvrir la Picardie. Pour la seconde fois, il se fit l’effort d’écouter la prudence. Il ne secourut pas Tournai ; mais la Picardie fut sauvée.

Henri VIII, qui avait de la générosité par accès, offrit la paix à la France. Sa défection rompit la ligue. Louis XII, veuf d’Anne de Bretagne, contracta un 3e mariage avec la jeune et aimable sœur d’Henri VIII. Le duc de Valois fut chargé d’aller recevoir Marie d’Angleterre, et quoiqu’une telle union pût renverser ses espérances, il reçut cette princesse avec la plus aimable galanterie.

Un mariage qui rendait la paix à la France lui devint bientôt fatal ; car il lui coûta le meilleur roi qui se fût encore occupé de son bonheur. Louis XII écouta trop sa passion pour une reine que la politique lui avait fait épouser, mais dont les charmes lui firent oublier et son grand âge et ses infirmités. Le 1er janvier 1515, consumé de langueur, il manda le duc de Valois et lui tendit ses bras exténués : « Je me meurs, lui dit-il, je vous recommande nos sujets... » Il expira quelques heures après.

La France fut, pendant plusieurs jours, comme une famille consternée de la perte d’un père. Ce qui rendait encore cette douleur plus glorieuse pour la mémoire de Louis XII, c’est que son successeur était aimé. Seulement on craignait que François Ier ne s’écartât de la stricte économie à laquelle le père du peuple avait été fidèle, soit au milieu de ses conquêtes, soit au milieu de ses revers. Le roi défunt avait lui-même témoigné cette crainte. On sait qu’il disait à ses sages ministres : « Nous travaillons en vain ; ce gros garçon gâtera tout. »

Cependant François Ier ne changea rien à l’ordre établi. Après une guerre malheureuse, le trésor royal était exempt de dettes, et c’était toute sa richesse. Les puissances voisines, qui se préparaient à intimider ou à opprimer un roi de vingt et un ans, ne s’aperçurent pas de l’accroissement de ses armées, parce qu’elles ne le virent point créer d’impôts.

Le roi d’Espagne Ferdinand le Catholique, cassé par l’âge, mais trop fier du succès de ses fourberies pour n’y pas persévérer, excitait le faible et turbulent Maximilien, empereur d’Allemagne, à une nouvelle guerre contre la France. Mais les ennemis les plus dangereux des Français étaient alors les Suisses, qu’enorgueillissaient la victoire de Novare et le traité de Dijon : ils se considéraient comme les arbitres de tous les États auxquels ils fournissaient des armées.

Quoiqu’ils n’eussent point encore montré le désir des conquêtes, l’amour de la gloire devenait chez eux une passion farouche. L’histoire n’avait encore à leur reprocher qu’une seule perfidie. Une de leurs armées avait indignement livré le duc de Milan, Ludovic Sforza, qui s’était commis à leur foi ; mais les Suisses brûlaient d’effacer le souvenir de cette lâcheté de quelques-uns de leurs compatriotes. Ils avaient juré de conserver à Maximilien Sforza un duché que la France ne cessait de réclamer les armes à la main et que l’Autriche couvrait d’une protection suspecte.

Ces guerriers avaient alors pour le Saint-Siège une soumission sans bornes. Zwingle n’avait pas encore paru. Le cardinal de Sion, dangereux prélat, qui servait Rome avec un zèle fanatique, était le seul oracle qui fût alors écouté de ces hommes simples et fiers. François Ier avait fait presser le pape Léon X de le seconder dans son projet d’invasion du Milanais.

Il avait envoyé vers ce pontife Guillaume Budé, le plus illustre des savants français. Ce négociateur ne fut point heureux. Léon X le trompa et préféra l’alliance de l’empereur d’Allemagne à celle du roi de France. Mais les républiques de Venise et de Gênes se déclarèrent pour ce dernier. François Ier se hâta d’envoyer dans l’Italie une armée dont l’Europe supposait à peine l’existence. Le connétable de Bourbon la commandait.

Les maréchaux de Trivulce et de Lapalice, Lautrec, Chabanes, la Trémouille, Navarre et Bayard, le plus modeste et le plus parfait des chevaliers, rivalisaient d’ardeur avec Montmorency, Créqui, Bonnivet, Cossé et Claude de Guise qui, jeunes encore, regardaient leur gloire comme assurée sous un roi belliqueux. L’alliance contractée avec la république de Gênes et des intelligences ménagées avec le duc de Savoie, oncle de François Ier, offraient de grandes facilités pour le passage des Alpes ; mais les Suisses s’étaient emparés de la crête de ces montagnes.

On réussit pourtant à forcer les passages. Prosper Colonna rassemblait ses troupes dans Villefranche. Bayard, Chabanes, Montmorency, d’Aubigné, conçoivent le projet de l’y surprendre. A la tête d’une poignée de soldats, ils passent le Pô, se présentent devant la ville à midi, enlèvent successivement tous les postes et prennent le général comme il allait se mettre à table.

Cet exploit est suivi de la conquête d’une partie du Milanais. Le roi, qui apprend à Lyon les rapides succès de son avant-garde, craint que ses lieutenants ne lui enlèvent toute la gloire de cette conquête ; il fait diligence et passe facilement les Alpes avec son corps d’armée. Les Suisses, qui restaient seuls pour la défense du Milanais, semblent découragés en voyant toujours croître l’ardeur et les forces des Français ; ils offrent de traiter.

François Ier fait sans hésiter le sacrifice de sa gloire au bonheur de ses sujets. Lautrec a signé un traité avec les Suisses ; mais le cardinal de Sion est venu ranimer la fureur de ses compatriotes. Il les persuade que tout est légitime, puisqu’ils combattent pour les intérêts du Saint-Siège ; il remplit toutes les âmes de sa haine contre les Français.

Les Suisses sont prêts à soutenir par des prodiges de bravoure la trahison la plus odieuse (13 et 14 septembre 1515). Ils voient l’armée française, qui, rangée dans la plaine de Marignan, garde négligemment ses postes ; ils espèrent lui enlever toute son artillerie : leur nombre, leur contenance, étonnent le roi ; il demande ses armes. Les Suisses continuent de s’avancer et l’armée française s’inquiète.

Le connétable de Bourbon a fait couvrir son artillerie par des compagnies de lansquenets. Ceux-ci reculent au premier choc : c’est le roi lui-même qui vient les rallier avec deux cents hommes d’armes ; il perce un bataillon fort de quatre mille hommes ; il court à travers leurs rangs, qui se sont rompus : il les force à baisser leurs piques et à crier : France.

La victoire est complète sur ce point ; mais ce n’est pas le seul combat qui se livre dans cette plaine : les différentes masses de l’infanterie suisse soutiennent arec vigueur le choc de nos gendarmes, de nos lansquenets, de nos bandes noires. Jamais ils ne sont plus terribles que lorsqu’ils ont feint d’ouvrir leurs rangs ; ils savent bientôt les reformer et alors malheur à ceux qui se trouvent enfermés dans cette forêt de piques.

L’approche de la nuit, les tourbillons épais de poussière ajoutent au désordre de la bataille, sans en ralentir la fureur. Les Suisses, comme les Français, portaient l’écharpe blanche. Le roi tombe sur un corps de six mille Suisses, qu’il a pris pour un corps de lansquenets français : averti du danger, il fait éteindre le seul flambeau qui le guide. Le connétable de Bourbon, par un prompt secours, sauve un monarque auquel il devait être si fatal. Ce nouveau corps de Suisses est forcé de reculer : François Ier se porte alors vers son artillerie, pour laquelle il conçoit beaucoup d’inquiétude ; mais Bayard et Louis de la Trémouille n’avaient point quitté ce poste ; toute l’artillerie était sauvée.

Enfin les feux s’éteignent par degrés : ce n’est point la nuit, c’est l’extrême lassitude qui a interrompu le combat. Le roi dort sur l’affût d’un canon. On vit au point du jour un spectacle étrange : comme tous les corps suisses et français étaient confondus, les deux armées, après une trêve tacite, viennent reprendre leurs rangs.

On se bat avec autant de fureur que la veille ; mais il faut passer sur des monceaux de morts pour se joindre. Bayard, dans la mêlée, est emporté par un cheval fougueux au travers des bataillons suisses : il combat, il renverse tout ce qui s’oppose à son passage, saute de cheval, gagne une vigne qui lui sert de retranchement et joint à pied une compagnie française qui marche à son secours. Le comte de Guise, en ralliant les bandes noires, reçut vingt-deux blessures.

Enfin, après cinq heures de combat, le roi, le connétable de Bourbon, le maréchal de Trivulce et Montmorency forcèrent les Suisses à la retraite : ceux-ci la conduisaient avec ordre, lorsque, le troisième jour, Alviano, à la tête de l’armée vénitienne, vint tomber sur leurs derrières. Le roi fit tout ce qu’il put pour sauver des guerriers égarés par leur fanatisme. A force de générosité, il contraignit les Suisses de devenir ses amis.

Depuis lors les rois de France n’ont jamais eu d’alliés plus fidèles. La lettre dans laquelle le roi rendit compte à sa mère de la bataille de Marignan peut être considérée comme un des monuments de notre langue. Dans cette description franche, modeste, rapide et brillante, règne une fleur de délicatesse dont nos guerriers et surtout nos rois offraient seuls le modèle à l’Europe. Le roi y récompense tous ses nobles compagnons par des mots du cœur.

Lorsque le soir de la troisième journée, Bayard revint au camp, François se jeta dans ses bras, puis mit un genou en terre et voulut recevoir de lui l’ordre de la chevalerie. Le Milanais fut conquis. Léon X fut forcé de traiter avec le roi de France. L’empereur Maximilien fit de vains efforts, l’année suivante, pour reconquérir le Milanais. Le connétable de Bourbon le força de lever ignominieusement le siège de Milan. Peu sûr des dispositions de son armée, Maximilien l’abandonna. Le chagrin abrégea ses jours (en 1519).

L’empire devint vacant. Deux principaux compétiteurs se présentèrent. C’étaient les deux rois qui devaient signaler pendant trente ans leur rivalité, Charles-Quint, et François Ier. Charles, déjà maître des Pays-Bas, avait été appelé au trône de l’Espagne par la mort et le testament de Ferdinand le Catholique. Jaloux de la gloire du roi de France, il feignait d’en être le plus sincère admirateur. Il lui écrivait, non comme un frère à son frère, selon l’étiquette des rois, mais comme un fils à son père.

Quand il se déclara son compétiteur pour l’empire, ce fut avec les formes hypocrites d’une déférence filiale. François Ier lui répondit avec une délicatesse et une franchise qui étaient dans son âme : « Regardons-nous comme deux amis qui poursuivent les faveurs d’une même maîtresse, et que chacun de nous promette de respecter les droits du plus heureux ! »

Ce fut un malheur pour François Ier, dans cette lutte, d’avoir acquis assez de gloire pour faire craindre son ambition. D’un autre côté, la vaste puissance de Charles effrayait les électeurs. Ils déférèrent la couronne à Frédéric, électeur de Saxe. L’Europe avait donné à ce prince le beau surnom de Sage. Il parut le justifier en refusant l’empire ; mais sa modération fut une imprudence. Il crut voir un prince pacifique et réservé dans le jeune Charles, et décida les suffrages de la diète en sa faveur.

Il ne prévoyait pas combien le nouvel empereur se montrerait ennemi de l’indépendance de l’empire. Quelque sensible que fût François Ier au chagrin de n’avoir point obtenu un titre qui eût un peu rappelé la puissance de Charlemagne, il avait pour s’en distraire trois ressources qui le suivaient toujours : l’amour, les plaisirs et les lettres. Henri VIII, qui avait aussi brigué l’empire, vint irriter par son ressentiment le dépit de François Ier. Les deux rois se virent auprès de Guines, et leur entrevue fut accompagnée de tant de magnificence, qu’elle fut désignée sous le nom du camp du Drap d’or.

François Ier y fit briller une gaieté qui ressemblait à l’étourderie. Il vint un jour surprendre Henri VIII au lit, comme pour le faire son prisonnier. Le roi d’Angleterre prit gaiement cette plaisanterie et se rendit de bonne grâce. Il lui présenta en même temps un collier précieux : « Portez-le aujourd’hui, ajouta-t-il, pour l’amour de votre prisonnier. » Le roi le prit et lui donna un bracelet qui valait le double. Comme Henri Vlll voulait se lever : « Mon frère, lui dit François Ier, vous n’aurez point aujourd’hui d’autre valet de chambre que moi. »

Mille autres jeux remplirent cette entrevue. Mais une guerre sérieuse se préparait. Charles-Quint faisait attaquer le duc de Bouillon pour engager des hostilités contre la France. Ce fut là le prétexte et le commencement de la guerre de 1521, qui changea la fortune de François Ier.

Cependant le début de cette guerre fut heureux pour la France. Les Impériaux assiégeaient Mézières avec 35 000 hommes ; et cette ville, mal fortifiée, mal pourvue de vivres et de munitions, allait leur ouvrir la Champagne : mais elle avait pour gouverneur le chevalier sans peur et sans reproche. Tout ce que fit Bayard pour la défense de Mézières doit être lu dans la vie de ce héros. Le salut de cette ville fut celui de la France.

Mais les Français, l’année suivante, expièrent en Italie les fautes d’une administration vicieuse et plus dure qu’on ne devait l’attendre des lieutenants de François Ier. L’histoire n’a pu encore bien éclaircir ce qui contribua le plus à la perte du Milanais, ou des excessives rigueurs de Lautrec, gouverneur de cette province, ou de la coupable prodigalité de la mère du roi, qui dissipa des fonds réservés pour l’armée d’Italie.

Ce monarque fut aveugle sur les torts de l’un et de l’autre. Il aimait la comtesse de Châteaubriant, sœur de Lautrec : mais sa tendresse pour sa mère l’entraîna dans de bien plus grandes fautes. Si Lautrec perdit le Milanais, ce ne fut qu’après des combats obstinés. Il accusa la duchesse d’Angoulême. Celle-ci eut la lâche cruauté de faire tomber sur un habile et intègre surintendant des finances la peine de ses propres concussions : elle accuse Semblançay du retard apporté à l’envoi d’une somme de 400 000 écus qui aurait sauvé la conquête du roi.

François Ier, trompé par sa mère, fit juger Semblançay par une commission ; et ce règne si doux fut souillé par le supplice d’un ministre intègre, d’un vieillard vertueux. François Ier fut bientôt engagé dans une faute plus funeste, par son excessive déférence pour sa mère.

La duchesse d’Angoulême aimait le connétable de Bourbon avec un emportement que son âge rendait ridicule. Ce prince, enorgueilli de la victoire de Marignan, cessa d’encourager une passion qu’il avait d’abord jugée utile à sa fortune. La duchesse d’Angoulême se vengea de ses mépris en lui faisant ôter, dans deux campagnes, le commandement de l’armée. Elle ne voulait que l’éprouver par cette persécution sourde.

Il s’irrita et répondit par la haine à un dépit tracassier. Il devint veuf : la duchesse d’Angoulême, abjurant sa feinte inimitié, lui fit offrir sa main. François Ier sollicita le connétable de consentir à cette union. Ce dernier, que le roi avait trop justement nommé le prince mal-endurant, mêla l’expression du mépris à son refus. La duchesse d’Angoulême se livra toute à la vengeance. Après avoir fait perdre au connétable la confiance du roi, elle l’attaqua dans sa fortune par un procès injuste, intimida ou suborna les juges et le fit dépouiller d’une grande partie de ses domaines.

Charles-Quint mit à profit le ressentiment du connétable. Bourbon devint en un instant l’ennemi de sa patrie et de son roi. François Ier, instruit des intelligences qu’entretenait Bourbon avec Charles-Quint, refusa d’y croire. Un guerrier renommé jusque-là par sa franchise recourut à ce que le mensonge a de plus vil pour se mettre à l’abri de tout ombrage. Bourbon (en 1523), après avoir en vain cherché à soulever plusieurs provinces, fut réduit à prendre la fuite et abandonna dix-neuf de ses complices à la colère du roi.

On instruisit leur procès et celui de leur chef. Un seul d’entre eux, Saint-Vallier, fut condamné à mort ; mais comme il allait poser sa tête sur le billot, on entendit crier grâce, et le peuple admira la clémence du roi. Saint-Vallier était le père de la célèbre Diane de Poitiers, déjà mariée au sénéchal de Normandie. Il est faux de dire qu’elle acheta la grâce de son père en se livrant aux désirs du roi.

François Ier, dans ses amours, oubliait les devoirs de l’époux, mais non l’honneur du chevalier. Déjà Bourbon commandait en Italie les armées impériales, et le roi ne lui opposait que le plus présomptueux de ses favoris, l’amiral Bonnivet. Bayard était sous les ordres d’un général qui aurait du se présenter comme son modeste élève. Bonnivet, soit par imprudence, soit par perfidie, n’envoya point à Bayard les secours que celui-ci réclamait.

Le chevalier, malgré toute sa vigilance, fut attaqué de nuit au village de Rebec. Il y perdit une partie de sa petite troupe, et quoiqu’il eût sauvé le reste avec autant d’intelligence que d’intrépidité, il crut avoir essuyé le premier affront de sa vie. Il voulait demander raison à l’amiral, et déjà il lui avait envoyé un défi ; mais quand il voit de quel désastre l’armée française est menacée par les mauvaises dispositions du général, il ne songe plus qu’au salut de l’armée.

On battait en retraite. Les Français, arrivés sur les bords de la Sésia, sont attaqués par les Impériaux. Bonnivet croit qu’il suffit de sa bravoure pour réparer ses fautes. Des le commencement de l’action, il est grièvement blessé. C’est Bayard qu’il fait appeler ; il lui confie le sort de l’armée : « II est bien tard, lui répondit le généreux chevalier ; mais n’importe : mon âme est à Dieu et ma vie à l’État. Je sauverai l’armée aux dépens de mes jours. »

Il s’élance, rétablit le combat ; bientôt il est atteint d’un coup mortel. Mais ne nous laissons pas trop entraîner à l’intérêt de cet admirable épisode du règne de François Ier, et laissons nos lecteurs se rappeler et redire la réponse de Bayard mourant au connétable armé contre son roi. Bourbon n’oublia que trop tôt l’impression qu’avaient produite sur son âme les nobles reproches du plus digne chevalier. Les Français avaient encore une fois abandonné l’Italie.

Bourbon se précipite avec fureur sur la Provence, en comptant sur des rébellions que ses intrigues avaient déjà ménagées ; mais nul Français ne vient se joindre au transfuge. La facilité avec laquelle il avait soumis les villes d’Aix et de Toulon lui faisait espérer d’entrer sans peine dans Marseille. Las habitants lui opposèrent une résistance que soutient leur indignation. Les dames surtout se montrent d’une activité infatigable pour le salut de la ville ; une tranchée, ouvrage de leur main, fut nommée la Tranchée des dames.

Le roi arrivait au secours de Marseille : Bourbon est obligé d’en lever le siège. François Ier crut voir dans le succès un retour de la fortune : il passe les Alpes, rentre dans le Milanais. Déjà il est aux portes de la capitale. Milan, qui était en proie au fléau de la peste, ne l’arrêta que peu de jours. Qu’il soumette encore Pavie et Lodi, il sera enfin assuré d’une conquête à laquelle il croit follement son honneur engagé : il marche vers la première de ces villes, il l’assiège ; mais Antoine de Lève y commande.

Son habile et longue résistance a laissé au connétable de Bourbon le temps de réparer les pertes de son armée et de recevoir de puissants secours. Le connétable arrive ; il va fondre sur l’armée française. Les vieux généraux conjurent le roi d’abandonner le siège de Pavie. Mais Bonnivet et Montmorency flattent son ardeur guerrière. On s’est déterminé au parti imprudent de marcher au-devant de l’armée impériale.

Dès la nuit la bataille s’engage. Au point du jour il y a déjà tant de désordre dans les rangs de l’armée française que le roi ne voit plus de salut que dans un coup de désespoir (24 février 1525). Il se place au corps de bataille, appelle sur lui les regards de tous les siens et de tous les ennemis, par un casque orné de longs panaches. Rien ne peut le retirer du fort de la mêlée. Il tue de sa main plusieurs combattants et met en fuite les Italiens qui lui sont opposés.

Mais à quoi tient la chance des combats ! La foule de héros qui entoure le roi se voit arrêtée dans ses progrès par une troupe irrégulière et peu nombreuse, qui ne sait que s’avancer, fuir, revenir à la charge et fuir encore. C’étaient des arquebusiers basques, tireurs adroits qui visaient à la tête et au cœur des officiers les plus distingués et les atteignaient presque toujours.

Chaque balle enlève au roi l’un des appuis de son trône. On se presse au-devant de lui à mesure que le péril redouble. Le duc d’Alençon seul oublie son roi et l’honneur. Chargé du commandement de l’aile gauche de l’armée, il la fait replier précipitamment. Bourbon s’avance avec un corps de réserve pour envelopper le roi : deux héros, la Trémouille et le maréchal de Foix, sont frappés à mort.

Les rangs s’éclaircissent ; la puissante gendarmerie des Français est rompue en six endroits. Bonnivet, à qui l’armée tout entière reproche son désastre, veut du moins mourir avant son roi, s’il ne peut le sauver. Il s’avance en tendant la gorge à toutes les épées, à toutes les piques, et meurt percé de plusieurs coups. Le roi lui seul paraît avoir conservé la force de combattre et de terrasser des ennemis. Il venait d’en faire tomber six sous ses coups, lorsque son cheval, atteint d’une balle, le renverse. Déjà il avait reçu deux blessures. Il combat encore à pied : mille voix lui crient de se rendre. Il voit venir à lui Pompéran, le seul gentilhomme qui eût suivi le connétable de Bourbon dans sa fuite. Ce transfuge se jette à ses pieds et le conjure de se rendre au duc de Bourbon. Le roi, à ce nom, sent ranimer toute sa fureur et proteste qu’il mourra plutôt que de se rendre à un traître. Il demande Lannoy et lui remet son épée. Lannoy la reçut à genoux et lui donna la sienne.

Au sortir de cette bataille, François Ier écrivit à sa mère une lettre non moins admirable que celle où il avait raconté la victoire de Marignan ; elle ne contenait que ces mots : Madame, tout est perdu fors l’honneur. Lannoy, vice-roi de Naples, montra beaucoup d’égard pour son auguste prisonnier ; Charles-Quint n’imita point la générosité de son lieutenant : il fit transporter le roi à Madrid et le fit surveiller avec rigueur dans un appartement incommode ; enfin il ne lui montra plus d’autre perspective que celle de se dépouiller et de s’avilir, ou de finir ses jours dans la captivité.

Voici à quel prix il mettait la rançon du roi : la cession de la Bourgogne, la renonciation à toute suzeraineté sur la Flandre, et pour comble d’ignominie, la réintégration du parjure connétable dans ses biens et dans son rang. François Ier rejeta ces propositions avec fierté. Charles-Quint le tourmenta dans sa prison par de nouveaux raffinements de cruauté.

Le malheureux roi parut près de succomber à ses chagrins. Consumé de langueur, il se refusait à toute diversion. Charles craignit de perdre la rançon qu’il convoitait. L’intérêt le fit recourir à de tardives apparences d’humanité. Il visita enfin François Ier dans sa prison. Celui-ci, en le voyant entrer, s’écria douloureusement : « Venez-vous voir mourir votre prisonnier ? » - « Je viens, lui répondit Charles, pour aider mon frère et mon ami à recouvrer la liberté. » Mais il soutint mal dans la suite de la conférence ce ton de générosité.

Heureusement l’aimable Marguerite, duchesse d’Alençon et depuis reine de Navarre, s’était rendue à Madrid pour consoler son frère. Elle obtint d’entrer dans sa prison et le sauva de son désespoir. On croit qu’elle habitua le roi à une idée qui lui avait d’abord inspiré le comble de l’horreur, celle de faire comme prisonnier des promesses qu’il ne tiendrait pas comme roi.

La France avait craint un moment de voir renaître tous les désastres qui suivirent la captivité du roi Jean, mais le peuple fut sauvé de l’anarchie par son amour pour un roi malheureux. La duchesse d’Angoulême, régente du royaume, tint les rênes du gouvernement avec adresse et fermeté. Guise et Montmorency la secondèrent par leur courage. Les parlements, quoique François Ier eût réprimé leur orgueil, montrèrent une honorable fidélité.

On apprit en France avec un inexprimable mélange de joie et de douleur que François Ier avait recouvré la liberté en souscrivant, par le traité de Madrid, aux dures conditions imposées par son vainqueur. Il ne céda point cette fois à sa loyauté. La manière dont il s’écria : « Je suis encore roi ! » lorsqu’il mit le pied sur le territoire de France, annonça qu’il se croyait dégagé d’un serment imposé par un cruel abus de la victoire.

Si ce fut un parjure, tous les Français furent ses complices. Bientôt le calme renaît, l’allégresse éclate, l’ordre est rétabli dans les finances. On veut racheter à prix d’or les deux enfants du roi qu’il a été obligé de laisser en otage ; les nobles et les bourgeois se cotisent. Déjà deux millions sont offerts : on s’arme, on ne respire plus que guerre et que vengeance. Le malheur a créé au dehors de nouveaux amis à François Ier. Le nombre en est surtout augmenté par les craintes qu’inspirent les projets ambitieux de Charles-Quint.

Henri VIII a déjà fait éclater sa jalousie contre l’empereur. Presque tous les États d’Italie ont formé une ligue tardive pour assurer ou recouvrer leur indépendance. On voit entrer dans cette ligue le jeune Sforce, héritier du duché de Milan, dont Charles-Quint vainqueur a bientôt méconnu les droits. Léon X avait terminé son règne brillant, mais agité ; un autre Médicis, Clément VII, occupait le trône pontifical. Pressé par les armes de l’empereur, outragé par des demandes impérieuses, il cède à sa colère et compte sur ses nouveaux alliés, les rois de France et d’Angleterre ; mais c’est sur lui que va tomber l’orage.

Des cardinaux et des princes, ses sujets et ses voisins, n’ont flatté ses projets que pour les dénoncer à Charles-Quint. Clément VII se trouble, négocie ; mais il voit arriver contre lui la plus vile et la plus épouvantable armée de l’Europe : c’étaient des brigands sortis depuis plusieurs années de l’Allemagne, vieux mercenaires sans patrie et sans religion.

Les nouveautés religieuses qui déjà depuis dix ans déchiraient l’Allemagne avaient laissé dans le cœur de ces soldats une profonde horreur pour le pape. Le connétable de Bourbon est à leur tête et ne ressemble que trop à ces cruels aventuriers. Depuis plusieurs jours ils demandaient leur solde avec des cris séditieux ; il les mène, pour les apaiser, au siège de Rome. Il monte à l’assaut le 6 mai 1527, est tué sur la brèche ; mais ses soldats poursuivent une victoire facile.

Rome est emportée, inondée de sang et saccagée. L’Europe voit avec horreur des cruautés qui égalent celles des plus barbares conquérants de l’empire romain. Le pape est prisonnier : Charles-Quint abuse encore une fois de sa fortune. Ses respects hypocrites pour le saint pontife qu’il tient dans les fers excitent une indignation générale ; mais on le redoute. Lautrec a reparu en Italie, et celle fois les Français y sont accueillis en libérateurs. André Doria lui prête tout l’appui de la république de Gênes, sa patrie, de ses talents et de son grand caractère. Le Milanais est reconquis, le pape a recouvré sa liberté.

Le fléau de la peste a vengé la chrétienté des trente mille brigands qui ont saccagé la capitale. Lautrec n’a plus à subjuguer que le royaume de Naples : il marche de succès en succès. Naples est assiégée, mais la peste a passé d’un camp dans un autre : ce sont les Français qui en sont atteints. Lautrec a l’imprudence de se brouiller avec André Doria. Gênes, par les conseils de ce dernier, donne l’exemple de la défection à d’autres États d’Italie. Lautrec meurt, et l’armée française est presque entièrement anéantie sans avoir été vaincue.

La guerre continue, mais plus languissamment. François Ier et Charles-Quint, qui s’étaient bravés par de grossières invectives et par des cartels auxquels ni l’un ni l’autre ne voulait donner de suites sérieuses, ont senti le besoin de traiter de la paix : elle se conclut dans la ville de Cambrai au commencement de l’année 1529. Les deux enfants du roi furent rachetés pour la somme de 1 200 000 écus.

François Ier renonça à ses prétentions sur le Milanais et il épousa Éléonore, sœur de l’empereur. Le bruit des armes cessa pour quelque temps en Europe. François Ier se donna tout entier à un projet que les guerres n’avaient pas tout à fait interrompu, celui de faire fleurir l’industrie, le commerce et les lettres. Le connétable de Montmorency rétablissait un ordre sévère dans les finances.

Les fêtes données par François Ier, plus élégantes que somptueuses, offraient les plus brillantes images de la chevalerie. Ses loisirs étaient studieux. Les heures de ses repas n’étaient pas perdues pour de savants entretiens. Sa curiosité presque universelle lui donnait une instruction extrêmement variée. Il achetait des tableaux précieux, les proposait en modèle aux artistes français, faisait venir à grands frais des manuscrits de l’Italie et de la Grèce, consultait sans cesse Budé, Lascaris, entretenait un aimable commerce de lettres avec Érasme et cherchait à l’attirer en France, visitait dans leurs ateliers le Primatice, Léonard de Vinci, excitait l’émulation des statuaires français, qui déjà produisaient des chefs-d’œuvre.

Le premier, il fit cultiver en France la physique, la botanique et différentes autres parties de l’histoire naturelle. Il s’égayait avec Clément Marot, et quelquefois imitait la grâce naïve et piquante de ses poésies ; il s’amusait des bouffonneries satiriques du curé de Meudon et lui pardonnait beaucoup de cynisme mêlé avec quelques vérités hardies. Il commençait le Louvre et bâtissait les châteaux de Fontainebleau, de Chambord et celui de Madrid, nom qui annonce combien peu ce monarque craignait le souvenir de ses adversités.

Ses soins les plus actifs se dirigeaient vers l’éducation. Ce fut par lui que fleurit pour la première fois en France l’étude de la langue grecque. Il fonda le Collège royal. Sa sœur, la reine de Navarre, auparavant duchesse d’Alençon, et les frères du Bellay, signalés par leurs connaissances littéraires autant que par leur amour pour le roi, lui formaient un conseil de littérature, auquel étaient souvent admis de sages jurisconsultes, de savants médecins et même d’habiles imprimeurs.

Il n’y avait point en Europe de cour plus gaie que celle où on se livrait à ces doctes travaux. Le roi, toujours habile à maintenir la dignité au milieu des plaisirs, encourageait les plus gais passe-temps, et comme sa sœur, fournissait le modèle des bons contes et des bons mots.

François Ier, pendant sa prison de Madrid, avait perdu la comtesse de Châteaubriant, l’objet de ses plus tendres amours. L’opinion de quelques historiens est qu’elle mourut victime de la jalousie féroce de son mari. Le roi la regretta vivement. Anne de Pisseleu, qu’il nomma duchesse d’Étampes, succéda au crédit de la duchesse de Châteaubriant, mais sans lui inspirer un amour aussi passionné. Ses intrigues et son avidité l’en rendaient peu digne. Jamais il ne fit un reproche à sa mère, qui avait causé tous les malheurs de son règne, il donna les regrets les plus sincères à sa mort.

La politique un peu versatile de François Ier lui avait fait rechercher l’alliance des Médicis, dont il avait eu souvent à se plaindre. Il avait marié Henri, son second fils, à Catherine de Médicis, nièce du pape Clément VII. Jamais aucun mariage, si l’on excepte celui d’Isabeau de Bavière, ne fut plus fatal à la France ; mais ce ne fut ni sous ce règne ni sous le suivant que Catherine de Médicis fit connaître les inconséquences, les odieux raffinements et les crimes de sa politique.

Heureux ce monarque, si rien n’avait pu le distraire des travaux pacifiques qui lui firent obtenir le surnom de père des belles lettres ! Mais Charles-Quint annonçait une grande expédition en Afrique : François Ier ne put résister au désir de profiter de l’absence de son heureux rival pour renouveler ses prétentions sur le Milanais.

François Sforce y avait été rétabli par le traité de Cambrai ; il avait fait décapiter, sous prétexte de meurtre, un agent de la France. François Ier ressentit vivement cet attentat. Le duc de Savoie voulut arrêter l’invasion des Français ; sa résistance lui coûta la perte de la plus grande partie de ses États. François Sforce, en voyant les Français déjà maîtres du Piémont, est frappé de terreur et meurt subitement.

Tout semble réussir à François Ier, mais Charles-Quint est déjà revenu vainqueur de son expédition d’Afrique. Toute l’Europe retentit de sa gloire : l’Italie, tremblante, se range de nouveau sous ses lois. Fier du succès de ses armes, il veut se montrer en conquérant, et c’est la France qu’il menace. Cinquante mille hommes entrent sous sa conduite dans la Provence (en 1536) : le connétable Anne de Montntorency est chargé de repousser cette invasion.

L’extrême danger le fait recourir à un remède extrême. Il sait que Charles-Quint a mal assuré ses approvisionnements avant d’entrer dans une province qui fournit à peine le tiers de sa subsistance. Montmorency, le plus sévère de tous les guerriers et de tous les Français, n’hésite pas à sacrifier une province au salut de la France : châteaux, fermes et moulins, il livre tout aux flammes, se retranche avec mille précautions derrière ce pays dévasté, pousse des partis, enlève des convois, surprend des postes.

L’armée de Charles-Quint est livrée à toutes les horreurs de la famine ; il lève le siège de Marseille, parce qu’il ne lui reste plus assez de combattants pour le continuer, et repasse les Alpes, plus poursuivi encore par la faim que par les Français. François Ier respirait ; mais la fortune lui réservait un nouveau malheur, et jamais aucun événement de sa vie ne porta plus de trouble dans son âme.

Cet événement fut la mort du Dauphin François, jeune prince qui paraissait destiné à retracer le caractère magnanime et à éviter les fautes de son père. On crut qu’il avait été empoisonné par Montecuculli, son échanson : cet Italien fut arrêté. La violence des tortures lui arracha des déclarations qui, suivant le témoignage des meilleurs historiens, ne peuvent être regardées comme des preuves manifestes de son crime.

François Ier, entraîné par sa douleur et par la clameur populaire, le fit périr du supplice des régicides. C’était Charles-Quint qu’il accusait d’avoir fait empoisonner son fils, et pourtant, sur la médiation du pape, ces deux rivaux acharnés se virent à Aigues-Mortes et signèrent une trêve de dix ans. Leurs combats se renouvelèrent bientôt, mais leur inimitié n’eut plus le même caractère d’emportement.

L’année d’après (en 1539), l’Europe apprit avec étonnement, mais avec une sorte d’admiration, que Charles-Quint venait se commettre à la foi d’un monarque auquel il reprochait depuis tant d’années une perfidie. La révolte des Cantois appelait sa présence dans les Pays-Bas : la mer ne lui fournissait pas une route assez sûre ; l’Allemagne lui en offrait une trop longue. Charles-Quint montra combien du fond du cœur il estimait son rival en lui demandant le passage à travers la France.

Et comment n’eût-il pas cru à la loyauté d’un monarque assez fidèle à la cause des rois pour avoir rejeté les offres des Cantois rebelles, quand elles pouvaient établir sa domination dans les provinces les plus riches et les plus industrieuses de l’Europe. Ce n’était point manquer à la générosité que de réclamer auprès de l’empereur quelque prix d’un refus aussi noble et d’un verrier aussi important.

François Ier revint à l’investiture du Milanais, auquel il attachait avec une aveugle opiniâtreté la gloire de son règne. Charles-Quint la promit, mais il songeait au traité de Madrid, violé par François Ier. D’après l’avis du maréchal de Montmorency il n’y eut point de convention écrite. Dans les fêtes que reçut Charles-Quint en France, il se piqua d’égaler son rival en politesse, en heureuses réparties.

Quelques pensées inquiètes altéraient parfois sa gaieté étudiée. La duchesse d’Étampes passait pour animer le roi contre lui. Un diamant qu’il laissa tomber a propos, et qu’il offrit avec grâce, calma cette favorite. Maître de continuer son voyage, il tomba comme la foudre sur la ville de Gand, la soumit et la punit avec une effrayante sévérité. Il était vainqueur : plus de Milanais. Le connétable expia par une disgrâce un conseil mal justifié par l’événement. La guerre se ralluma.

Depuis la bataille de Pavie, François Ier ne commandait plus ses armées ; c’était un sacrifice qu’il faisait aux justes alarmes de ses sujets. Cependant comme Charles-Quint assiégeait Landrecies, le roi crut devoir secourir en personne ce boulevard de la Picardie. Cette expédition fit beaucoup d’honneur à son habileté militaire. Landrecie fut délivrée (1544).

L’année suivante fut encore plus heureuse pour les armes des Français. Ils remportèrent en Piémont sous la conduite d’un Bourbon, le comte d’Enghien, la victoire de Cerizoles, brillante réparation de la bataille de Pavie. Les Impériaux y perdirent 10 000 prisonniers, tous leurs canons, tous leurs drapeaux, tous leurs bagages. Thermes, Tavanes et Montluc eurent une grande part à succès, dont le résultat fut la conquête d’une partie du Piémont.

Mais tandis que la cour de France se livrait à la plus vive allégresse, Henri VIII envahissait la Picardie, et Charles-Quint la Champagne. La ville de Boulogne, soit par la trahison, soit par l’ineptie de son commandant (Coucy de Vervins), fut indignement surprise. Saint-Dizier en Champagne arrêta pendant six semaines l’empereur, qui avait donné rendez-vous aux Anglais sous les murs de Paris.

Saint-Dizier pris, la capitale fut frappée de terreur. Les coureurs de l’armée impériale arrivaient déjà jusqu’à Meaux. Les bourgeois fuyaient en désordre. François Ier arrêta ce honteux tumulte : il ranima par sa gaieté la confiance et le courage, et combinant ses manœuvres avec le Dauphin Henri et Claude, duc de Guise, il réduisit Charles-Quint à craindre dans la Champagne le désastre qu’il avait éprouvé en Provence. Nouvelle paix signée à Crespy-en-Laonnois le 18 septembre 1544.

Le Milanais était enfin promis au duc d’Orléans, second fils du roi. Pour gage de cette promesse, le roi conservait une partie de ses conquêtes en Piémont. Ce règne n’offre plus d’événements guerriers. François Ier, quoiqu’il se fût privé des secours d’un administrateur sévère, le connétable de Montmorency, réussit à rétablir les finances et fut secondé par ses deux principaux ministres, l’amiral Chabot et le cardinal de Tournon.

Mais la paix intérieure de la France était depuis longtemps troublée par les réformes religieuses de Luther et de Calvin. Nous ne nous engagerons point ici dans des détails qui tiennent à leur vie. François Ier, roi paternel, mais absolu, ami des lettres et de la chevalerie, craignait des nouveautés religieuses qui pouvaient changer le caractère et les lois de la nation, mais les genres de répression qu’il avait à opposer à des erreurs de conscience effrayaient son âme et révoltaient sa justice. Les parlements sévissaient avec rigueur contre les nouveaux hérétiques et leur appliquaient les lois terribles, les lois de sang rendues contre les Albigeois.

François Ier chercha longtemps à modérer ces extrêmes rigueurs. La reine de Navarre surtout sollicitait sa clémence envers des hommes dont elle partageait les opinions. François Ier conçut un moment le projet de faire venir en France le plus savant et le plus modéré des réformateurs, Mélanchibon ; mais cette négociation échoua.

Dès lors le roi toléra en quelque sorte les persécutions religieuses et borna sa clémence à commuer des peines. Il dut mettre au nombre des plus grands malheurs de son règne les cruautés exercées dans les années 1545 et 1546 contre les Vaudois. C’étaient de malheureux paysans du Dauphiné, restes obscurs d’un mouvement né plusieurs siècles auparavant dans le Lyonnais, et dont les dogmes offraient beaucoup d’analogie avec les réformes de Luther et de Calvin.

D’Oppède, premier président du parlement de Provence, employa contre de paisibles cultivateurs tout ce que la cruauté, le fanatisme et la perfidie ont de plus atroce. Il se mit à la tête de quelques régiments que le roi voulait faire marcher en Italie, brûla les chaumières et les fermes, poursuivit de retraite en retraite des hommes désarmés, suppliants, exténués par la faim, permit le viol de leurs femmes, de leurs filles, inventa les plus horribles supplices, dévasta par le fer et la flamme les villes de Cabrières et de Mérindol, et extermina enfin ce qui restait de Vaudois.

François Ier eut horreur de tant de cruautés. Le cardinal de Tournon l’empêcha de céder à la plus juste indignation. Le roi craignit (et c’est un grand reproche à sa mémoire) de favoriser le triomphe de l’hérésie en satisfaisant à la justice et à l’humanité. Cependant il n’y eut jamais une âme qui trouvât plus de délires dans la clémence. Mille actes de son règne en font foi : jamais il ne déploya mieux cette grande qualité de son âme que dans la révolte de la Saintonge.

Cette rébellion avait été occasionnée par un édit qui augmentait les rigueurs de la gabelle. Des cruautés avaient été commises par des paysans envers les agents chargés de la perception de cet impôt. La ville de la Rochelle avait donné le signal de la révolte. La force de ses remparts et de sa position lui permettait de soutenir un long siège : cependant elle se soumit dès qu’elle vit dans ses murs un roi chéri et respecté de tous ses sujets. Quand il entra dans la ville, tout craignait sa vengeance ; mais dès qu’il voulut parler aux rebelles, le mot de mes amis lui échappa bientôt.

Puis il ajouta ces mots : « Je ne ferai jamais volontairement à mes sujets ce que l’empereur a fait aux Gantois pour moindre offense que la vôtre. Il en a maintenant les mains sanglantes ; et je les ai, la merci à Dieu, sans aucune teinture du sang de mon peuple. J’accepte votre repentir ; sonnez vos cloches, tirez votre artillerie et faites feux de joie en rendant grâce à Dieu. »

La santé de François Ier était altérée depuis près de dix ans. Son état d’infirmité était le résultat d’une intrigue galante où l’avait entraîné la fougue de ses sens. Il avait toujours aimé les plaisirs furtifs et les avait recherchés quelquefois aux dépens de la dignité de son rang. Il aima une bourgeoise que l’on nommait la belle Féronnière. On ne sait que trop à quel infâme moyen le mari eut recours pour exercer sa vengeance envers sa femme et envers le roi.

La belle Féronnière mourut et le roi ne reçut des soins des médecins qu’une guérison imparfaite. Mézeray dit que depuis cette époque il y eut un changement sensible dans son caractère, sa gaieté ne fut plus la même, mais sa bonté ne se ralentit pas. Il revint aux maximes de Louis XII et, toujours libéral, fut un sage économe de la fortune de ses sujets.

Il paya toutes ses dettes et dégagea ses domaines ; il était parvenu à économiser quatre cent mille écus et le quart du revenu de l’année, quand il fut atteint d’une maladie mortelle. Il réunit dans ses derniers moments la constance du sage et du chrétien à la dignité du roi. Il mourut au château de Rambouillet le dernier jour de mars 1547, âgé de cinquante-deux ans, après en avoir régné trente-deux.

François Ier, né dans le siècle le plus fertile en grands hommes, ne fut inférieur à aucun de ses contemporains. Il fut à la fois l’émule de Léon X, celui de Bayard et le digne rival de Charles-Quint. Il prépara, soit par les grandes qualités de son âme, soit par l’utile splendeur de ses monuments, les deux plus beaux règnes de la France, celui de Henri IV et celui de Louis XIV. De sa première femme, François Ier avait eu plusieurs enfants ; il n’en eut point de sa deuxième femme.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE