LA FRANCE PITTORESQUE
Charles VIII l’Affable ou le Courtois
(né le 30 juin 1470, mort le 7 avril 1498)
(Roi de France : règne 1483-1498)
Publié le vendredi 5 février 2010, par LA RÉDACTION
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Surnommé l’Affable et le Courtois, fils de Louis XI et de Charlotte de Savoie, il naquit à Amboise, le 30 juin 1470, monta sur le trône le 30 août 1483, et fut sacré à Reims le 5 juin 1484. Il était d’une complexion délicate, d’une taille peu avantageuse, et n’avait aucun agrément dans la figure.

La frayeur que Louis XI avait de tout ce qui l’entourait s’était étendue jusqu’à son fils, qui fut élevé loin de la cour, et privé de toute instruction ; comme si l’ignorance était une garantie contre des projets de révolte. Mais les agréments et les connaissances qui manquaient à ce prince furent remplacés par une bonté si parfaite, qu’il fut adoré de ses sujets ; et l’histoire a remarqué que le fils d’un tyran, qui ne ménagea ni l’honneur ni le sang des plus grands personnages de l’État, put à l’article de la mort se rendre le témoignage de n’avoir prononcé des paroles offensantes contre qui que ce fût.

Charles VIII l'Affable (1483-1498)

Charles VIII l’Affable (1483-1498)

Il ne savait ni lire ni écrire lorsqu’il monta sur le trône ; et élevé loin du monde, il parut embarrassé quand il vint à la cour. Honteux de cet état d’ignorance, il se livra au travail avec ardeur ; il sut bientôt lire et écrire, et prit même du goût pour la lecture, particulièrement pour les Commentaires de César et la Vie de Charlemagne. Malgré ses efforts, il ne suppléa jamais bien aux défauts de sa première éducation, et il conserva toujours pour les affaires une répugnance insurmontable.

Louis XI, s’appuyant de l’ordonnance de Charles V, et supposant son fils majeur, puisqu’il entrait dans sa quatorzième année, ne nomma point de régent, et remit la personne du jeune roi aux soins de sa fille aînée, Anne de France, mariée au seigneur de Beaujeu : ce qui lui donnait la principale autorité dans le gouvernement ; mais le duc d’Orléans, premier prince du sang, et Jean II, duc de Bourbon, frère aîné du seigneur de Beaujeu, s’opposèrent à ce que l’exercice du pouvoir fût confié à une femme.

Le duc d’Orléans, qui mérita le titre de Père du peuple lorsqu’il monta sur le trône, n’était alors connu que par la légèreté de son caractère, un goût vif pour tous les exercices du corps, dans lesquels il excellait, et par une inconstance dans ses amours qu’il satisfaisait d’autant plus facilement, que la nature lui avait prodigué tous les dons qui séduisent ; mais il ne jouissait d’aucune estime personnelle. Il n’en était pas ainsi de Jean II, duc de Bourbon : son âge, son expérience, sa bravoure connue, et l’habitude qu’il avait des affaires, le désignaient à tous comme celui qui devait protéger et diriger la jeunesse de Charles VIII.

Aussi madame de Beaujeu trouva-t-elle prudent de ne pas opposer une résistance qui aurait affermi le parti formé contre elle ; elle remit la décision de cette grande affaire à l’assemblée des états généraux, et profita du temps qui devait s’écouler jusqu’à leur convocation pour augmenter le nombre de ses créatures, et pour assurer au duc de Bourbon des avantages qui séparèrent sa cause de celle du duc d’Orléans.

Les divisions qui régnaient dans le conseil n’empêchèrent pas qu’on ne punît avec la dernière rigueur les favoris de Louis XI, qu’il avait tirés de la classe du peuple, et qui, par cela même, étaient odieux aux grands. Ce fut le seul acte du nouveau gouvernement sur lequel tous les partis furent d’accord. Les états généraux, assemblés à Tours au mois de janvier 1484, reconnurent la majorité du roi, et le droit que les princes du sang avaient d’entrer au conseil.

Mais ils laissèrent le soin de la personne de Charles VIII à madame de Beaujeu, vraiment digne par ses qualités de gouverner le royaume. Les mécontents se retirèrent de la cour, et formèrent un parti, à la tête duquel se mit le duc d’Orléans. Leur révolte, qui avait été prévue, fut promptement dissipée. Ils cherchèrent un appui en Bretagne, où régnaient deux factions, celle du duc, ou plutôt de son ministre Landais, et celle des seigneurs qui, par haine contre Landais, s’étaient rapprochés de la cour de France ; et comme le duc n’avait que deux filles, dont l’une mourut à cette époque, madame de Beaujeu n’hésita pas à prendre la défense des seigneurs bretons, dans l’espoir de profiter d’une conjoncture aussi favorable pour réunir la Bretagne à la couronne.

Le duc d’Orléans et son parti s’armèrent en faveur du duc, sans autre dessein que de contrarier les projets de la cour. Le parlement procéda contre lui ; mais il n’ignorait pas que, s’il était vainqueur, et parvenait à s’emparer de la personne du jeune roi, qui l’aimait, le parlement s’empresserait d’annuler la procédure ; aussi n’en devint-il que plus empressé à poursuivre la guerre.

Ayant été fait prisonnier le 26 juillet 1488, à la bataille de Saint-Aubin, où il combattait à pied avec un courage digne d’une meilleure cause, madame de Beaujeu le fit d’abord renfermer dans le château de Lusignan, et transférer ensuite dans la grosse tour de Bourges, où il passa plus de deux ans. Cette captivité lui fut avantageuse, puisque les réflexions qu’il fit dans sa prison l’affermirent dans la résolution de ne plus séparer ses intérêts de ceux d’une couronne qui pouvait lui appartenir un jour.

Vers le même temps, on découvrit à la cour quelques intrigues qui furent aussitôt déjouées par l’arrestation des chefs, entre autres de Philippe de Comines, qui subit une prison de huit mois dans une cage de fer. La paix entre le roi et le duc du Bretagne fut conclue à Sablé, le 28 août suivant mais le duc étant mort quelques jours après le traité, les factions se réveillèrent en Bretagne, chaque part se disputant le droit de marier la jeune duchesse au gré de ses intérêts.

Charles VIII était fiancé depuis longtemps à la fille de Maximilien d’Autriche élevée en France, où on lui donnait le titre de reine en attendant que son âge permît de célébrer un mariage regardé par l’Europe entière comme accompli. Maximilien d’Autriche, veuf et jeune encore, venait d’épouser solennellement par procureur la duchesse de Bretagne ; déjà possesseur des Pays-Bas, il pouvait par ce mariage offrir aux Anglais de nouveaux moyens de tourmenter la France.

Ainsi Charles VIII se voyait dans la nécessité de conquérir la Bretagne, pour assurer la tranquillité de son royaume. Mais il lui en coûtait de dépouiller une jeune princesse qu’il devait protéger, puisqu’elle le reconnaissait pour souverain, et sa loyauté combattait contre la juste politique de son conseil. Le comte de Dunois, favori du duc d’Orléans, et à ce titre, disgracié par madame de Beaujeu, forma un projet qui demandait à être conduit avec beaucoup de prudence.

Il ne s’agissait de rien moins que de rompre le mariage du roi et de la fille de Maximilien, d’enlever à celui-ci Anne de Bretagne, et de la faire épouser à Charles VIII. Ce projet réussit. Le roi, sans consulter madame de Beaujeu, alla lui-même à Bourges tirer le duc d’Orléans de sa prison ; il lui accorda une confiance dont il n’eut pas à se repentir, et le duc se rendit en Bretagne, où il s’employa avec zèle à vaincre les obstacles, et surtout les scrupules et la répugnance de la jeune duchesse, malgré la passion qu’on lui supposait pour elle.

Le mariage se fit le 16 décembre 1491, à des conditions avantageuses pour la France ; et la politique de l’ignorant, mais loyal Charles VIII l’emporta en cette occasion sur toutes les finesses de Louis XI. L’Angleterre, effrayée de la puissance que cette nouvelle acquisition donnait au roi, et Maximilien, piqué de se voir enlever sa femme par la même alliance qui lui renvoyait sa fille, s’unirent pour commencer une guerre sans but, sans effet, et qu’un traité termina bientôt après.

Depuis longtemps les prétentions qui régnaient dans l’Italie, divisée en autant de souverainetés qu’on y comptait de villes, venaient agiter la cour de France ; car les Italiens voulant tous s’agrandir sans avoir aucune idée de l’art militaire, et se bornant entre eux à des intrigues, sentaient le besoin d’une puissance étrangère pour donner un grand mouvement dont chacun en particulier espérait de profiter. Louis XI, dont l’esprit n’était pas chevaleresque, loin d’intervenir dans les querelles des Italiens, avait empêché le duc d’Orléans de faire valoir les droits qu’il avait sur le Milanais.

Charles VIII, jeune, brave, et jaloux d’illustrer son règne, fut accessible aux intrigues qui l’entouraient, et forma la résolution de reconquérir le royaume de Naples, qui avait appartenu à la maison d’Anjou, dont il se portait pour héritier. Trop empressé de terminer tout différend qui aurait pu le distraire de cette grande entreprise, il rend à Maximilien l’Artois et la Franche-Comté, au roi d’Aragon la Cerdagne et le Roussillon, sans rien exiger de lui qu’une promesse de ne point porter de secours à la branche aragonaise qui régnait à Naples.

C’était trop donner d’avance s’il ne réussissait pas dans son entreprise, et trop peu pour qu’on le laissât jouir en paix de sa conquête, s’il parvenait à la faire ; mais tout dans cette expédition devait être conduit contre les règles de la prudence. Pendant deux ans, la cour de France s’occupe hautement de la conquête de l’Italie, et les Italiens, tant ceux qui désirent l’arrivée des Français que ceux qui la redoutent, ne font aucun préparatif.

Le roi part à la tête d’une armée de 50 000 hommes, sans argent, sans crédit, sans magasins et sans réserve. Il tombe malade de la petite vérole à Ast, comme pour donner à ses ennemis le temps de prendre leurs mesures : rien ne remue ; il se rétablit, emprunte à la duchesse de Savoie ses diamants, qu’il met en gage pour procurer des vivres à ses soldats, entre à Florence le 14 novembre 1494, et là, excité par les avis du duc de Milan, qui craignait de le voir entrer dans ses Etats, il se dirige sur Rome, où il entre le 31 décembre suivant ; il arrive à Naples le 21 février 1495, et toujours en délibérant, depuis son départ, si la prudence permet de passer outre, achève en quatre mois une conquête qui étonne les vainqueurs plus encore que les vaincus, et paraît si extraordinaire à l’Europe, qu’on l’attribue généralement à des vues particulières de Dieu, qui voulait venger les crimes commis par les derniers rois de Naples.

Sans remonter jusqu’à une cause surnaturelle, on peut expliquer la marche rapide de Charles VIII par les divisions qui régnaient en Italie, par la fausse politique de tant de petits Etats qui s’étaient trompés trop longtemps entre eux pour revenir à la confiance, sans laquelle une union prompte et efficace était impossible, et surtout par l’absence de toute idée de gloire militaire ; car il ne faut pas oublier que Machiavel nous parle à cette époque d’un combat entre deux villes rivales, dans lequel il n’y eut personne de tué, quoiqu’une des deux armées se reconnût vaincue, et l’autre victorieuse.

Certes, des soldats devenus aussi pacifiques ne pouvaient opposer aucune résistance, et la valeur des troupes de Charles VIII leur parut si inconcevable qu’ils lui donnèrent le nom de fureur française. Le pape Alexandre VI, qui avait été obligé de capituler avec le roi, de lui donner l’investiture des royaumes de Naples et de Jérusalem, la couronne d’empereur de Constantinople, et de reconnaître sa souveraineté dans Rome, disait, en parlant de cette expédition, que « les Français semblaient être venus en Italie la craie à la main pour y marquer leurs logements. »

Charles fit son entrée à Naples comme à Rome et à Florence, à la lueur des flambeaux, et il y exerça la même autorité que dans ses propres Etats. Ce ne fut que quinze jours après son arrivée qu’il voulut faire une entrée triomphante dans Naples, et, sous prétexte qu’il avait acheté d’un neveu de Paléologue ses droits sur l’empire grec, il se revêtit des ornements impériaux, et prit le titre d’empereur d’Orient.

Si la promptitude de cette conquête étonne, la facilité avec laquelle on la perdit ne paraît pas moins surprenante. Il se formait sans mystère une ligue entre les principaux Etats d’Italie, les rois d’Aragon et de Castille, sans qu’on prît de mesures pour la rompre ; la nécessité de garder les places fortes diminuait l’armée sans qu’on s’occupât de faire arriver des secours ; la haine des Napolitains contre leur roi avait appelé les Français, et l’on oubliait de gagner l’affection des peuples. Le roi ne pensait qu’à revenir en France, et non seulement il fallait une armée pour assurer son retour, mais le moindre retard pouvait le rendre impossible.

Il part de Naples, le 21 mai, traverse l’Italie avec précaution, rencontre l’armée confédérée, et, pour s’ouvrir un passage, livre, le 6 juillet, cette célèbre bataille de Fornovo, dans laquelle 8 000 Français l’emportèrent sur 40 000 Italiens, sans retirer d’autre avantage de cette victoire que la délivrance du duc d’Orléans, assiégé dans Novare, et la possibilité de continuer leur retraite.

Pendant que Charles VIII combattait avec le courage d’un héros pour quitter l’Italie, Ferdinand d’Aragon rentrait à Naples aux acclamations du même peuple qui, trois mois auparavant, l’avait chassé pour se soumettre à la domination française ; et le duc de Bourbon-Montpensier, que Charles avait laissé dans ce royaume avec 4 000 hommes, après avoir été bloqué pendant un mois dans Atella, fut obligé de capituler.

Cependant rien n’était encore désespéré : la même légèreté qui avait fait désirer aux Français de rentrer dans leur patrie portait de nouveau tous les regards vers le royaume de Naples, et la même inconstance des Italiens les rapprochait de la cour de France. Charles méditait une seconde expédition, à laquelle toute la jeune noblesse voulait prendre part ; le duc d’Orléans fut choisi pour la diriger, et les justes prétentions qu’il avait sur le duché de Milan excitaient son zèle à presser les préparatifs. Mais ses conseillers intimes lui firent sentir de quelle importance il était pour lui de ne pas s’éloigner, la santé du roi s’affaiblissant chaque jour, et les trois fils qu’il avait eus d’Anne de Bretagne étant morts successivement.

Dès que le duc d’Orléans eut trouvé des prétextes pour se dispenser de marcher en Italie, le parti qui était opposé à cette guerre l’emporta dans le conseil, et les généraux laissés dans le royaume de Naples se trouvèrent si complètement oubliés qu’ils furent réduits à capituler. Charles VIII mourut en effet au château d’Amboise, le 7 avril 1498, selon les uns, d’apoplexie ; selon d’autres, des suites d’un coup qu’il s’était donné à la tête en visitant ce château, qu’il faisait reconstruire dans le goût italien.

Il était dans la 28e année de son âge, et la 15e de son règne, sincèrement regretté d’Anne de Bretagne, qui ne l’avait épousé qu’avec répugnance, et à laquelle il ne gardait pas la foi d’un époux. Mais sa bonté était si grande, ses procédés étaient si généreux, qu’il était impossible de ne pas l’aimer. Deux de ses domestiques moururent de douleur en apprenant qu’il venait d’expirer. Comme il ne laissait point d’enfants, le duc d’Orléans, son cousin, lui succéda sous le nom de Louis XII.

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