LA FRANCE PITTORESQUE
Miraculeux barralet de
saint Andiu (Andieu, Andiou)
contre les peines morales
(D’après « Revue du traditionnisme » paru en 1910)
Publié le lundi 23 juin 2014, par LA RÉDACTION
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Andiu (ou Andieu, ou Andiou) naquit dans une modeste chaumière, et sa vie fut employée aux humbles et pénibles travaux de la terre ; il conduisait la charrue dans les champs de la Galinière, métairie située près de Béziers, sur la route de Murviel. Très tôt, de grandes vertus le désignèrent à l’admiration de ses contemporains auxquels il apparut marqué du sceau de la sainteté, non pour sa science théologique mais pour son esprit de pénitence, sa piété, sa charité.

Saint Andiu

Saint Andiu

Dès son lever, qui devançait tous les jours l’aurore, il adressait au ciel de ferventes prières, demandant le salut de tous avant le sien. Le bruit du monde mourait au seuil de sa demeure. Au milieu des champs il entonnait un cantique, rendant grâce pour toute chose à Dieu, ou bien il chantait une de ces ballades plaintives qui charmaient nos aïeux. La légende rapporte que son corps était léger, son âme planait au-dessus de la terre, que naïve était sa pensée, grande était sa chasteté, qu’il était plein d’une ardeur extatique remarquable et qui a quelque chose de commun avec cette force mystérieuse qui soulève les poètes quand leur émotion se traduit par de sublimes élans.

Mais voilà que, tout à coup, il s’arrête, suspend son travail et s’éloigne du sillon qu’il trace. C’est qu’il vient d’apercevoir un homme malheureux et fatigué : un pauvre serf maltraité par son seigneur. Le modeste travailleur appelle son infortuné compagnon, l’interroge et cherche à adoucir le poids de ses chaînes. Il lui fait entrevoir un bonheur qui n’est pas de ce monde et lui promet, après les souffrances terrestres, un repos éternel. Il lui parle du ciel avec une foi qui ravit son rustique auditeur. Puis, pour faire fructifier ses consolations dans l’esprit de l’infortuné, Andiu lui présente son barralet rempli d’un antidote très efficace contre les peines morales. On désignait ainsi, dans le Midi, un petit bidon en bois affectant la forme d’un tonneau, d’une contenance de un ou plusieurs litres, dans lequel les travailleurs mettaient le vin.

Plus loin, un pèlerin, accablé de fatigue, se traînant vers Béziers, s’offre à ses yeux. Andiu l’arrête, l’invite à s’asseoir sur le gazon et écoute avec intérêt les pieuses légendes que l’étranger apporte d’Orient et, qu’aidé du charmant barralet, il embellit de miracles dignes d’une grande foi. La tradition rapporte encore que des bourgeois, des chevaliers même et de hauts barons étanchèrent leur soif au miraculeux barralet. Elle dit aussi que de gentes demoiselles voulurent bien, par curiosité peut-être, appliquer leurs lèvres au même barralet.

Ce barralet était tout petit, mais toujours plein. Comment, sans cette inappréciable qualité, aurait-il pu satisfaire les nombreuses personnes qui lui demandaient un réconfortant secours ? Grande fut souvent la surprise des pèlerins, en voyant qu’un si modeste récipient pût apaiser l’immensité de leur soif et surtout, miracle pus grand encore, en maintenant toujours son contenu au même niveau.

Clocher de Saint-Aphrodise à Béziers

Clocher de Saint-Aphrodise à Béziers

Quelques envieux avaient fini par faire croire au maître d’Andiu que celui-ci prodiguait son vin aux passants et que le valet risquait de le ruiner. Ce maître crédule alla un jour surprendre son serviteur, pendant qu’il prenait son champêtre repas au pied d’un tertre, derrière un buisson. « J’ai soif », lui dit-il ; « voudrais-tu me laisser boire à ton barralet ? » Andiu lui répondit : « Très volontiers, maître ».

Le maître reconnut toute la fausseté des calomnies dirigées contre son fidèle domestique, quand il fut convaincu que le barralet ne désemplissait pas. Hélas ! Un jour vint où les champs de la Galinière furent silencieux et tristes ; nulle voix ne se mêla plus, dès le matin, à celle des oiseaux pour chanter la louange de Dieu. On ne vit plus le laboureur, ni ses pacifiques bœufs. En vain chercha-t-on du regard ce saint homme qui savait donner de si bons conseils, qui prodiguait une si réconfortante liqueur, qui s’entendait si bien à relever l’espérance et la foi.

Il ne devait plus reparaître dans les champs fertilisés par les sueurs. Le saint s’était affaibli, la vie avait abandonné son corps. Désormais, il était dans l’éternel repos. La nuit était venue, ses compagnons dormaient ; une lampe brûlait seule, suspendue au mur noirci ; le saint était étendu sur la terre nue. Il souleva un instant, pour regarder le ciel, sa tête qui retomba sur un oreiller de pierre. Il n’était plus.

Tout à coup, dans Béziers, une sourde rumeur circule. Les cloches de Saint-Aphrodise firent entendre, dans la nuit, leur son argentin, sans qu’aucun homme ne les agitât et, prodige qu’on ne croirait pas, si la tradition ne le rapportait en termes formels, les sons étaient devenus aussi doux, aussi flûtés que les notes d’un orgue. On distinguait ces mots prononcés dans leur langage aérien :

Andiu es mort.
Es mort à la Galinhero
(Andiu est mort.
Est mort à la Galinière)

Une voix demandait : « Ount es (Où est-il) ? » ; une autre répondait : « Darres uno peyro (Derrière une pierre) ». Les premiers qui les entendirent n’en croyaient pas leurs oreilles : ils s’imaginaient rêver. Cette mystérieuse lamentation, sans cesse répétée par les cloches, frappa les esprits. Les prêtres et les fidèles se précipitèrent en foule vers la Galinière. A la faveur d’une clarté céleste, on s’approcha du saint. L’expression de son visage offrait l’image de la paix, une auréole brillait autour de sa tête.

Hélas ! Il se trouva des gens qui purent conserver, dans ce moment solennel, des idées temporelles. Depuis longtemps, la paroisse de Saint-Nazaire et celle de Saint-Aphrodise étaient en lutte pour savoir de laquelle des deux devait dépendre la ferme de la Galinière. Les deux parties convinrent de s’en rapporter au jugement de Dieu. Le corps du saint fut respectueusement placé sur un chariot traîné par ses bœufs. On décida que la Galinière appartiendrait à l’église où ils se rendraient d’eux-mêmes.

On vit, sous la conduite de deux anges, les bœufs, portant des torches allumées au bout de leurs cornes, se diriger vers l’église Saint-Aphrodise, y faire leur entrée et s’arrêter devant le maître-autel. Selon la légende, c’est par là que Dieu, manifestant sa volonté, termina ce différend qui, pour devenir éternel, n’aurait eu besoin que des longueurs de notre procédure. Saint Andiu fut choisi comme patron des muletiers et des charretiers.

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