LA FRANCE PITTORESQUE
Rochers de Pyraume, frères Frrrt
de la Roche-des-Gasts (Deux-Sèvres)
(D’après « Mémoires de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres »)
Publié le lundi 20 juillet 2015, par LA RÉDACTION
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Les superbes rochers de quartz blanc de Pyraume s’entassent au sommet d’un coteau assez élevé, dominant le bourg de Moulins (Deux-Sèvres). Le massif principal se trouve cependant sur le territoire de la Chapelle-Largeau, près d’un moulin à vent, au milieu d’une lande argileuse couverte de bruyères, de genêts, d’ajoncs et de buissons de houx. Du haut des rochers, la vue s’étend sur les bois et le château de la Blandinière, sur Châtillon-sur-Sèvre et les localités avoisinantes.

Le Loup-Garou, par Maurice Sand

Le Loup-Garou, par Maurice Sand

Dans les légendes populaires, les rochers ou « chirons » de Pyraume servent de refuge à toute la gent diabolique de la contrée : loups-garous, lutins, farfadets. Les enfants se montrent avec effroi la cheminée du diable, sa table, son fauteuil et son lit gigantesque. Malheur aux imprudents qui osent regarder par les fissures et sonder les mystères de l’antre infernal ! Afin d’en chasser le démon, femmes et jeunes filles de Moulins organisèrent jadis une procession « sans parler », procédé infaillible, paraît-il, s’il était réalisable. La première femme qui arriva à Pyraume crut voir la silhouette du diable. Prise de frayeur, elle s’écria : « Le voilà ! le voilà ! » Aussitôt elle fut saisie, emportée, et jamais plus on ne la revit.

On voit encore, près des rochers de Pyraume, la fontaine des farfadets. Ces vilains petits bonshommes étaient des maraudeurs incorrigibles et de francs polissons. A la nuit tombante, ils montaient souvent sur la maison voisine de Nérette, dont la toiture se trouve presque au niveau du sol. Perchés sur le tuyau de la cheminée, ils laissaient tomber dans la poêle des flocons de suie et autres incongruités. Ils se plaisaient à taquiner la fermière, à lui voler ses pommes. En son absence, ils s’installaient au coin du foyer, sur les sièges les plus bas, qu’ils ne quittaient jamais sans les avoir souillés.

Fatiguée de leur sans-gêne et de leurs déprédations, la fermière rangea un jour, tout autour de la cheminée, des trépieds chauffés à blanc, des « marmottes (chaufferettes en terre cuite) pleines de braise, recouvertes de barreaux de fer rougis au feu. Les farfadets, sans défiance, s’assirent sur les sièges mis à leur portée, mais ils se redressèrent bien vite, hurlant de douleur, et criant dans leur fuite : « C... brûlé ! c... brûlé ! »

On raconte également que les farfadets gardent un trésor caché sous un énorme bloc, qui se soulève à minuit sonnant, la veille de Noël. A ce moment, l’or est offert aux libres convoitises de ceux qui consentent à céder « leur part de paradis ». Un poète local, Célestin Normandin, a consacré aux farfadets de Pyraume les vers suivants :

Dans les Avents, par les nuits sombres,
A Pyraume on entend souvent
Des cris plaintifs ; l’on voit des ombres
Errer lorsque mugit le vent.
Puis, quand vient l’heure solennelle,
Pendant la messe de minuit,
Un farfadet fait sentinelle
Et disparaît quand le jour luit.
Il garde, nous dit la légende,
De l’or dans ce maigre pâtis,
Et cet or, il faut qu’il le vende
Pour quelques « parts de Paradis ».

La Roche-des-Gasts (Loublande) est l’un des deux monticules les plus élevés et les plus pittoresques de la partie nord-ouest des Deux-Sèvres. Par un temps clair, le panorama du haut de cette colline est splendide. Au nord, c’est la petite ville industrielle de Cholet ; à l’ouest, le moyenâgeux et monacal Saint-Laurent-sur-Sèvre, et Chambretaud, patrie de la petite Jacquette, la mariée « qui resta toute habillée » ; plus au sud, brille la statue dorée de Saint-Michel, au sommet du Mont-Mercure, le point culminant da la Vendée.

Sur la colline de la Roche-des-Gasts, se trouvent deux ou trois fermes : le Gast, la Roche, la Butte. A quelques pas, on aperçoit deux vieux manoirs : la Coudraye-Noyers, avec ses tours en poivrière couronnées de mâchicoulis, et la Sauvagère, dont les seigneurs prétendaient jadis au tiers des menues dîmes sur toute la paroisse de la Chapelle-Largeau. On chercherait en vain, derrière ce rideau de verdure, la Sicardière, qu’habita le Barbe-Bleue de cette contrée, François Garnier le Décollé, lequel eut cinq femmes légitimes en sept ans et fut décapité à Poitiers, le 12 juillet 1737, après avoir été condamné à mort pour « incendies, inceste, vol et assassinat » (Archives départementales, Poitiers). Enfin, près de ces rochers de granit, sur le bord de l’Ouin au cours sinueux, se cache Escoubleau, berceau d’une famille célèbre.

Aucun paysan ne pourrait raconter l’histoire du cardinal François de Sourdis d’Escoubleau, favori de Henri IV, ni celle de son frère Henri d’Escoubleau de Sourdis, évêque de Maillezais, puis archevêque de Bordeaux, abbé commendataire de sept abbayes, commandant en chef des galères de Sa Majesté Louis XIII ; mais en revanche, tous sauront narrer les chevauchées fantastiques de François le Décollé et les naïves aventures des frères Frrrt de la Roche-des-Gasts.

Les frères Frrrt, fermiers de la Roche-des-Gasts, étaient d’une simplicité extraordinaire. Ils avaient perdu, disait-on, le peu d’esprit reçu par eux en partage, en allant se désaltérer à une fontaine voisine, dont l’eau, pourtant fort claire et limpide, est accusée d’affaiblir les facultés mentales de ceux qui en font usage. Le domaine de la Roche-des-Gasts (Gast est un vieux mot synonyme de lande, analogue au mot Gâtine) relevait autrefois de Saint-Pierre-des-Echaubrognes. Pour assister à la messe paroissiale, il fallait faire plus le deux lieues par des chemins creux, presque impraticables en hiver.

Les frères Frrrt entreprirent de remédier à cet inconvénient en essayant de rapprocher l’édifice religieux au moyen d’un gros câble de laine passé autour du clocher et tiré par des boeufs. Comme les brins de laine s’allongeaient sous l’effort de la traction, et que les boeufs avançaient : « Aubons ! aubons ! frère Frrrt, dit l’un d’eux, voilà le clocher qui vient ! » Aubons ! (levons-nous à l’aube, soyons vigilants) tel était le mot magique qui devait chasser les maléfices. Les frères Frrrt le répétaient à chaque instant. Jamais ils n’entreprenaient un travail, un voyage, jamais même ils ne sortaient de chez eux sans l’avoir prononcé.

Une fois, une seule fois, un dimanche, leur vigilance fut mise en défaut. Ils s’aperçurent de leur oubli à mi-chemin de l’église paroissiale. Bien vite, pour le réparer, ils rebroussèrent chemin et retournèrent à la ferme ; mais, quand ils arrivèrent à l’église, la messe était dite. Manquer la messe, c’était faute grave. Ils s’en confessèrent au curé, qui leur demanda s’ils avaient eu réellement l’intention d’assister à l’office. Après une réponse affirmative, le prêtre les congédia par ces mots : « Allez en paix, mes enfants, l’intention suffit ! »

A quelque temps de là, le curé des Echaubrognes visitait ses paroissiens ; il arriva à la Roche-des-Gasts au moment où les frères Frrrt se mettaient à table : « J’arrive à point, dit le Curé ; je vais pouvoir apaiser ma faim et manger chez vous. - Ah ! reprirent en choeur les frères Frrrt, vous pensiez manger chez nous ? Allez en paix, monsieur le Curé, l’intention suffit ! » Ce qui n’était pas trop bête pour des gens accusés de faiblesse d’esprit.

L’un des frères Frrrt venait un jour de faire aiguiser des socs de charrue chez le maréchal d’une bourgade voisine ; en passant sur la planche et les « sauts » de pierre remplacés depuis par le pont de la Roche-des-Gasts, il vit dans l’Ouin une quantité de poissons : des goujons, des ablettes et surtout des carpes, des carpes monstrueuses ! Oh ! ces carpes ! comment pourrait-il bien s’en emparer ? Tout à coup il eut l’idée de leur lancer, en guise de flèches, les socs qu’il tenait à la main.

Quand l’eau se rasséréna, aucun poisson ne paraissait plus : c’est qu’ils avaient été, pensa-t-il, transpercés et cloués au fond de la rivière. Il courut à la ferme et demanda l’avis de son frère. Tous les deux, après mûres réflexions, décidèrent de faire explorer le lit de la rivière par la « grand’mère gorette » qui savait si bien « fouger » (fouiller) dans la mare. Les trois compagnons descendirent donc la colline, la truie au milieu, les deux frères, l’un par devant, l’autre par derrière, traînant la pauvre bête par les oreilles et par la queue, non sans lui arracher des gémissements sonores.

Enfin, les frères Frrrt réussirent à la culbuter dans le torrent ; mais au lieu de faire un plongeon, elle nagea diligemment vers la rive opposée. Au moment où elle atterrissait, ils la saisirent de nouveau et, animés d’une même pensée, lui attachèrent une grosse pierre autour du cou ; cette fois, la truie plongea et... l’on devine ce qui arriva.

Depuis cette aventure, les anciens fermiers de la Roche-des-Gasts n’avaient plus de « gorette » ; mais, d’après la tradition, ils possédaient encore des « gorets » et des « gorons », quatre bœufs étiques, une vache maigre, une jument stérile d’âge inconnu ; deux brebis, une blanche et une noire, et enfin quelques oies.

Les deux agnelles avaient brouté pendant toute une journée pluvieuse d’automne l’herbe rase de la lande ; elles étaient si mouillées que l’aîné des frères en eut pitié. Il se dit : « Mon four est chaud ; si j’y mettais mes oueilles pour les faire sécher ? » Sitôt pensé, sitôt exécuté. « Entends-tu, frère Frrrt, s’écria-t-il, la bianche o rit à la noère ! » Hélas ! quand ils ouvrirent la porte du four, les chants avaient cessé et la brebis blanche était devenu aussi noire que sa compagne.

Tout allait mal à la ferme. Les bêtes périssaient, les gens pâtissaient ; évidemment le diable y devait être pour quelque chose. Les pauvres gens avaient beau se signer, user des moyens connus pour se préserver des maléfices, répéter la formule magique : « Frère Frrrt, aubons ! », le mauvais génie leur jouait sans cesse de vilains tours. Leur « maître », c’est-à-dire le propriétaire de la Roche-des-Gasts, était un gentilhomme versé dans toutes sortes de doctes études. Les frères Frrrt résolurent d’aller lui conter leurs déboires et leurs misères. Le maître ne put s’empêcher de rire des mésaventures de ses tenanciers. Il leur donna d’excellents conseils, entre autres celui de s’instruire, et d’imiter leur voisin, riche fermier, habile en l’art de cultiver la terre.

En s’en retournant, les frères Frrrt rencontrèrent deux paysans qui portaient sur une civière de magnifiques citrouilles. Ils prirent ces gros fruits pour des œufs gigantesques, et s’informèrent de leur provenance. On leur dit que c’étaient des œufs de jument d’une incomparable race. Afin d’avoir une espèce aussi parfaite, les frères Frrrt proposèrent un marché qui fut vite accepté. Ils obtinrent, en échange d’un porc demi-gras, un œuf de grosseur raisonnable qu’ils attachèrent, dès le lendemain, à la queue de leur vieille cavale pour le lui faire couver.

La jument n’était pas d’humeur accommodante ; cet appendice gênant ne lui plaisait guère. D’une ruade énergique elle réussit à s’en débarrasser. La citrouille, suivant la pente naturelle de la colline, roula vers la rivière. En dévalant, elle traversa la haie du pré et délogea un lièvre qui s’enfuit à toutes jambes. A toutes jambes aussi, les frères Frrrt accouraient pour se saisir de l’œuf précieux. Quand ils aperçurent le quadrupède qui s’enfuyait, ils crurent naïvement que c’était le poulain qui venait de naître. « Guettez, guettez là-bas ! s’écrièrent-ils, fermez la claie du pré ; le poulain qui se sauve ! »

Suivant les recommandations du « maître », les deux frères cherchèrent à se rendre compte des travaux exécutés par leur voisin ; mais ils le faisaient en cachette et chaque soir, ils allaient écouter à la porte de la ferme des Gasts les ordres que le fermier donnait à ses domestiques. Le lendemain, les frères Frrrt entreprenaient un semblable travail. Un jour, le voisin commanda de labourer l’aire aussitôt qu’on aurait battu la moisson. Les frères Frrrt voulurent en faire autant.

Et bien leur en prit, car le soc de la charrue ramena à la surface une vieille ferraille, une marmite à bords ébréchés, pleine d’écus d’or, qui, en roulant sur les pierres voisines, tintèrent délicieusement aux oreilles des deux frères. Le rusé voisin, qui s’était aperçu de leur manège, résolut de profiter de la naïveté des frères Frrrt. II leur conseilla de « faire sécher au soleil les pièces mouillées et de porter les autres au propriétaire de la Roche-des-Gasts ». Nos crédules personnages suivirent à la lettre ce conseil.

Pendant leur absence, le voisin préleva sur leur aubaine une large dîme. Lorsqu’ils arrivèrent chez leur maître, celui-ci était absent. Que faire ? Seule, une petite porte paraissait entrebâillée ; les frères Frrrt la poussèrent et pénétrèrent dans un étroit réduit au fond duquel béait un large trou rond : « Le coffre du maître, sans doute, dit l’un d’eux. Non, dit l’autre, c’est la pile au meil (mil ou millet) ! ». Ils y déposèrent provisoirement les écus apportés. Bientôt le propriétaire rentra au logis et les frères Frrrt coururent à la cachette pour reprendre leur précieux trésor, lequel, hélas ! avait disparu dans un cloaque innommable...

Voyant un jour leurs oies voler, ils voulurent faire comme elles. Après avoir sacrifié quelques volailles, ils se déshabillèrent, s’enduisirent le corps de miel, se roulèrent dans le duvet de leurs oies, s’attachèrent aux épaules une paire d’ailes choisies parmi les plus fortes et les plus belles, puis, montés sur le toit de leur maison, s’élancèrent dans l’espace. Leur essor ne fut pas de longue durée. On trouva le lendemain, au fond de la vallée, sur des « chirons » ensanglantés, des plumes éparses et les corps meurtris et méconnaissables de ceux qui furent les frères Frrrt de la Roche-des-Gasts.

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