LA FRANCE PITTORESQUE
Travaux, préceptes ruraux d’octobre
(D’après De Re rustica de Palladius Rutilius, écrit vers le IVe siècle avant J.-C)
Publié le vendredi 16 avril 2010, par LA RÉDACTION
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Du blé, de l’orge cantherinum, de l’ers,
des lupins, des pois, de la sésame et des haricots

On sèmera le blé adoreum et le froment au mois d’octobre. L’époque convenable est, dans les climats tempérés, depuis le dix des calendes de novembre jusqu’aux ides de décembre. On transporte aussi à présent et l’on disperse le fumier dans les champs. On sème encore, ce mois-ci, l’orge appelée cantherinum dans une terre maigre et sèche, ou dans une terre très grasse. En effet, comme elle amaigrit les guérets, un terrain gras triomphe de son influence ; d’un autre côté, elle ne peut nuire à une terre que sa maigreur met hors d’état de rapporter autre chose. On ne la sèmera pas dans un champ fumé. Semez aussi maintenant l’ers, les lupins, les pois et la sésame. La sésame et le haricot se sèment jusqu’aux ides d’octobre, mais dans une terre grasse et dans un sol qui rapporte tous les ans. Quatre boisseaux couvrent un arpent.

Fleur de lin. Planche extraite de Description des plantes rares cultivées à Malmaison et à Navarre paru en 1813

Fleur de lin. Planche
extraite de Description
des plantes rares cultivées

à Malmaison et à Navarre
paru en 1813

De la graine de lin
On sèmera, ce mois-ci, la graine de lin, si on le juge convenable, quoiqu’il vaille mieux s’en abstenir, parce qu’elle nuit à la terre, dont elle épuise les sucs. Néanmoins, si cet inconvénient ne vous rebute pas, vous en sèmerez huit boisseaux par arpent dans un terrain très gras et peu humide. Quelques-uns le sèment dans un sol maigre, et obtiennent ainsi du lin très fin.

Du choix des ceps les plus féconds
C’est à présent le temps de la vendange. Vous examinerez quelles sont les souches les plus fécondes, et vous les marquerez d’un signe quelconque, afin de pouvoir en tirer des sarments propres à être plantés. Columelle dit qu’il ne faut pas seulement un an, mais quatre, pour reconnaître la fécondité d’une souche, et que c’est alors qu’on est sûr de la vigueur de ses rejetons.

De la plantation des vignes
A la fin de ce mois, dans les pays où l’air est chaud et sec, où la campagne est pauvre et aride, où les coteaux sont maigres ou escarpés, il est très à propos de planter les vignes. C’est à présent le meilleur temps pour faire, dans les terrains secs, chauds, maigres, chétifs, sablonneux, arides, tout ce qui est recommandé au mois de février relativement aux façons des terres, à la plantation et à la taille des vignes, à la manière de les provigner, de les renouveler et de les marier aux arbres, afin que les pluies d’hiver les aident à combattre la pauvreté du sol. Elles seront ainsi désaltérées, sans être coupées par la glace ou ensevelies sous la neige, parce qu’on ignore en ces lieux la rigueur et l’âpreté des frimas.

Du déchaussement des nouvelles vignes
Après les ides d’octobre, déchaussez toutes les jeunes vignes dans les terrains façonnés, dans les fosses ou dans les tranchées, afin de couper les racines superflues qu’elles ont jetées en été. En se fortifiant, ces racines étoufferaient celles qui sont inférieures, et la vigne, dont le pied serait ainsi libre, aurait également à souffrir du froid et du chaud.

Néanmoins ne coupez pas les petites racines qui sont hors de terre, de peur qu’il n’en sorte un plus grand nombre, ou que la plaie faite au corps de la vigne ne soit surprise toute fraîche par la rigueur du froid. Vous les couperez à un doigt au-dessous du sol, et, si les hivers sont doux, vous laisserez les vignes découvertes ; s’ils sont rudes, vous les recouvrirez avant les ides de décembre ; s’ils sont très rigoureux, vous répandrez au pied des jeunes vignes, à l’entrée de l’hiver, un peu de fiente de pigeon. Columelle veut qu’on emploie ce moyen durant cinq années consécutives pour combattre l’âpreté du froid.

Des provins
C’est à présent le meilleur temps pour provigner les vignes dans ces pays, parce que, débarrassée du soin de donner des branches à fruits, la sève ne travaille qu’à fortifier les racines.

De la greffe de la vigne et des arbres
Quelques-uns sont dans l’usage de greffer, ce mois-ci, les vignes et les arbres dans les climats très chauds.

Olivier cultivé à fleurs obtuses. Planche extraite du Traité des arbres fruitiers paru en 1824

Olivier cultivé à fleurs
obtuses. Planche extraite du
Traité des arbres fruitiers
paru en 1824

Des plants d’oliviers
On fera encore à présent, dans les pays chauds et exposés au soleil, des plants d’oliviers d’après la méthode et l’ordre prescrits pour le mois de février. On fera également, en ce temps-ci et dans les mêmes pays, des pépinières d’oliviers, et tout ce qui concerne cette espèce d’arbres. On confira aussi les olives blanches. C’est maintenant qu’on déchausse les oliviers dans les pays chauds et secs, afin qu’ils puissent être humectés par l’eau du ciel. Columelle veut qu’on arrache tous les rejetons, mais il convient peut-être d’en laisser croître toujours quelques-uns de forts. On en choisira un pour remplacer son vieux père ; et, après l’avoir bien élevé et engraissé de plusieurs couches de terre, on transplantera le jeune arbuste muni de ses racines, afin de se procurer ainsi des plants d’oliviers sans former de pépinières.

Si vous le pouvez, fumez ce mois-ci, dans les pays très froids, les plants d’oliviers de trois en trois ans. Six livres de crottin de chèvre ou un boisseau de cendres suffiront à chacun. Ratissez constamment la mousse des arbres, et taillez-les, suivant Columelle, quand ils auront passé huit ans. Néanmoins, il faut en couper chaque année les branches sèches, infécondes et naturellement faibles. Si un olivier vigoureux ne rapporte point de fruits, percez-le jusqu’à la mœlle avec une tarière gauloise, et enfoncez-y fortement une bouture informe d’olivier sauvage ; ensuite déchaussez l’arbre, et arrosez-le avec du marc d’huile sans sel ou de la vieille urine. Tout arbre stérile devient fécond par cette espèce d’accouplement. Ne cessez pas de greffer les sujets affectés de ce vice. Nettoyez, à cette époque, les fossés et les ruisseaux.

Remède contre l’humidité du raisin qui a souffert de la pluie
Quand le raisin a trop souffert de la pluie, les Grecs veulent qu’on transvase le moût qui a déjà fermenté. Par l’effet naturel de son poids, l’eau reste ainsi au fond, et le vin transvasé se conserve pur, après avoir déposé toute la partie aqueuse dont il était chargé.

De l’huile verte et de l’huile de laurier
On fera maintenant l’huile verte de la manière qui suit. Cueillez les olives les plus nouvelles lorsqu’elles commencent à tourner ; et, si vous avez mis quelques jours à les cueillir, étendez-les pour qu’elles ne s’échauffent pas. Rejetez celles qui sont sèches ou pourries. Quand vous en aurez amassé suffisamment pour remplir le pressoir, vous les saupoudrerez de sel égrugé, ou mieux de gros sel, et vous en mettrez trois boisseaux sur dix d’olives. Vous les écraserez, puis vous les déposerez dans des paniers neufs où vous les laisserez toute la nuit avec leur sel pour qu’elles s’en imprègnent.

Vous commencerez à les pressurer le matin, pour en extraire une huile d’autant plus exquise qu’elle aura pris le goût du sel. Vous laverez à l’eau chaude les canaux et tous les réservoirs, pour qu’ils ne conservent rien de rance de l’année précédente. Vous n’approcherez pas, non plus, le feu de l’huile, de peur que la fumée n’en altère le goût. On cueille à la fin de ce mois, dans les pays secs et chauds, les baies de laurier pour en faire de l’huile.

Des jardins
Semez au mois d’octobre des chicorées que vous consommerez en hiver. Les chicorées aiment l’eau et un sol léger. Dans les terrains sablonneux, salés et voisins de la mer, elles montent très haut. Préparez-leur des planches battues pour en assurer les racines contre le dégravoiement du sol. Quand elles auront quatre feuilles, vous les transplanterez dans un terrain fumé. Plantez à présent les artichauts en pied. Avant de les enterrer, coupez avec le fer le bout de leurs racines, et trempez-les dans du fumier. Pour en favoriser le développement, mettez-en deux ou trois ensemble dans des fosses d’un pied, et à trois pieds de distance les uns des autres. Dans les temps secs, à l’entrée de l’hiver, répandez-y souvent de la cendre et du fumier.

Semez la moutarde ce mois-ci. Elle se plaît dans une terre travaillée, et, s’il se peut, rapportée, quoiqu’elle vienne partout. Il faut la sarcler constamment pour la couvrir d’une poussière qui l’échauffe : elle n’en aime pas moins l’humidité. Laissez à sa place la moutarde dont vous voulez recueillir la graine ; quant à celle que vous destinez à la table, vous la rendrez plus forte en la transplantant. La vieille graine n’est bonne ni à semer ni à manger. Celle qui paraît verte à l’intérieur, quand on la casse sous les dents, est nouvelle ; au contraire, la blancheur de la graine indique qu’elle est vieille.

Semez la mauve ce mois-ci : plus tard, l’hiver l’empêcherait de se développer. Elle se plaît dans les terrains gras et humides ; elle aime le fumier. On la transplante quand elle commence à avoir quatre ou cinq feuilles. Jeune, elle prend mieux ; transplantée déjà grande, elle languit. Son goût est meilleur quand elle reste où elle a été semée. Pour l’empêcher de monter trop vite, mettez au milieu de sa tige un peu de terre ou de petits cailloux. Semez-la clair. Elle aime à être sarclée constamment. Débarrassez-la, sans en ébranler les racines, des herbes qui l’entourent. Si vous nouez les racines en la transplantant, elle pommera.

Semez aussi à cette époque l’aneth dans les pays chauds ou tempérés. Semez encore ce mois-ci les ciboules, la menthe, le panais, le thym et l’origan, ainsi que la câpre au commencement du mois. Semez également la poirée dans les terrains secs, de même que le raphanisaigre, ou transplantez-le, pour l’adoucir, dans un sol cultivé ; car c’est un raifort sauvage. Transplantez maintenant le poireau semé au printemps, afin que sa tête prenne de l’accroissement. Sarclez-le constamment ; saisissez-le en le soulevant comme avec des pinces, afin que le développement de sa tête remplisse le vide laissé sous les racines. Semez aussi à présent le basilic. On prétend qu’il vient plus tôt en ce temps-ci quand on l’arrose légèrement de vinaigre.

Des arbres fruitiers
Celui qui veut travailler pour les siècles futurs, pensera à semer des palmiers. Il enterrera, ce mois-ci, des noyaux frais de dattes jeunes et grasses, en mêlant de la cendre avec la terre. S’il veut planter l’arbre en pied, il le devra faire au mois d’avril ou de mai. Le palmier se plaît dans les terrains chauds et exposés au soleil. On l’arrose souvent pour le faire croître. Il demande une terre meuble ou du sablon ; cependant, quand on le plante en pied, il veut autour de lui ou sous lui une couche de terre grasse. On le transplante au bout d’un an ou de deux, au mois de juin ou au commencement de juillet. On le fouit constamment pour qu’un arrosement continuel le fasse résister aux feux de l’été. L’eau un peu salée lui est salutaire. On met du sel dans de l’eau, si l’on n’en a pas qui soit naturellement salée. Quand un palmier est malade, on le déchausse, et on l’arrose avec de la lie de vin vieux, ou l’on en coupe les racines superflues, ou bien on perce les racines, et l’on y enfonce un coin de saule. Le terrain où naît cet arbre ne convient à presque aucune espèce de fruits.

On plante les pistachiers en automne, au mois d’octobre, soit en rejetons, soit en amandes ; mais il vaut mieux encore semer les pistaches en nature, mâles et femelles accouplés ensemble. On appelle pistache mâle, celle dont l’écorce renferme des noyaux pareils à des testicules. Quand on veut cultiver avec soin le pistachier, on prépare des pots percés qu’on remplit de terreau, et dans lesquels on met trois pistaches ensemble, afin que chacune donne un germe. Lorsque la plante a pris des forces, on la transfère ainsi plus aisément au mois de février. Le pistachier se plaît dans un sol chaud, mais humide ; il aime les arrosages et le soleil. On le greffe sur le térébinthe au mois de février ou de mars ; des auteurs cependant assument qu’on peut le greffer sur l’amandier.

Cerisier. Planche extraite de La flore et la pomone française paru en 1828-1833

Cerisier. Planche extraite de
La flore et la pomone française
paru en 1828-1833

Le cerisier aime les climats froids et les terrains humides. Il est de petite venue dans les pays tempérés. Il ne peut supporter le chaud. Il se plaît dans les pays montagneux ou sur les collines. Transplantez, au mois d’octobre ou de novembre, des pieds de cerisier sauvage que vous grefferez au commencement de janvier, quand ils auront pris. On forme des pépinières de cerisiers en semant dans ces mêmes mois, des cerises qui viendront avec une extrême facilité. On se convainc de l’heureuse disposition qu’a le cerisier à pousser, en voyant monter en arbre des baguettes échalassées dans un vignoble. On peut encore semer les cerises au mois de janvier.

On greffe avantageusement le cerisier au mois de novembre, ou, s’il est nécessaire, à la fin de janvier. Des auteurs prétendent qu’on le greffe aussi en octobre. Martialis veut qu’on greffe les cerisiers sur le tronc. On peut aussi les greffer entre l’écorce et le bois. Ceux qui les grefferont sur le tronc, d’après Martialis, ôteront tout le duvet qui l’entoure, et qui, comme l’assure cet auteur, nuirait aux greffes si on le laissait. On aura soin de ne greffer les cerisiers et tous les autres arbres à gomme qu’à l’époque où la gomme n’a pas encore paru, ou quand elle a cessé de couler. On greffe le cerisier sur lui-même, sur le prunier, sur le platane et, selon quelques auteurs, sur le peuplier. Il aime les fosses profondes, un emplacement large, et demande à être foui souvent. Vous en élaguerez les branches pourries et sèches, et vous éclaircirez celles qui seront trop serrées. Il est ennemi du fumier, qui le fait dégénérer.

Voici la méthode de Martialis pour faire venir des cerises sans noyaux. Coupez un jeune arbre à deux pieds de terre, et fendez-le jusqu’à la racine ; ratissez avec le fer la mœlle de chaque moitié ; rapprochez-les immédiatement après avec un lien, et enduisez de fumier la tête de l’arbrisseau, ainsi que les joints des côtés. Au bout d’un an, la fente aura disparu. Vous grefferez cet arbre avec des rejetons qui n’aient pas encore porté de fruits, et, comme cet auteur l’assure, il en naîtra des cerises sans noyaux.

Si un cerisier vient à se carier à cause de l’humidité, percez-en le tronc pour la faire écouler. S’il est infesté par des fourmis, versez-y du jus de pourpier mêlé, à parties égales, avec du vinaigre, ou bien frottez le tronc avec de la lie de vin lorsque l’arbre est en fleur. S’il est fatigué par les chaleurs de la canicule, rafraîchissez-en les racines, entre le coucher du soleil et le lever de la lune, avec trois setiers d’eau puisés à des sources différentes. Vous pourrez encore tresser autour du tronc de la jusquiame en forme de festons, ou étendre au pied de l’arbre une couche de la même plante. La seule manière de conserver les cerises, est de les faire sécher au soleil jusqu’à ce qu’elles soient ridées.

Quelques-uns plantent au mois d’octobre les pommiers dans les pays chauds et secs, mettent en terre dans des pépinières, vers les calendes de novembre, les coings, les sorbes ou les amandes, et sèment la graine de pin. Il faut confire les fruits à cette époque, et les conserver à mesure qu’ils mûrissent.

Des abeilles
Vous châtrerez les ruches, ce mois-ci, en vous réglant sur la quantité de miel. Vous en enlèverez la plus grande partie, s’il s’en trouve abondamment ; s’il y en a peu, vous en laisserez la moitié pour les besoins de l’hiver ; si les alvéoles sont pauvres, vous n’en ôterez absolument rien.

De la manière de travailler les vins d’après les Grecs
Abordons les différences établies par les Grecs sur la manière de travailler le vin, suivant sa nature et sa qualité : le vin doux est lourd ; le vin blanc et peu salé est diurétique ; le vin dont la couleur orangée flatte la vue, facilite la digestion ; le vin blanc et styptique donne du ton à l’estomac ; le vin d’outre mer rend pâle et ne fait que peu de sang ; le raisin noir donne du vin fort, le rouge du doux, et le blanc communément du médiocre.

Pour travailler le vin, quelques auteurs grecs y mettent du moût cuit jusqu’à réduction de moitié ou d’un tiers. D’autres veulent que l’on conserve, durant un an, de l’eau pure puisée dans la mer au moment où elle est calme et limpide. Ils soutiennent que telle est la nature de cette eau, que ce temps suffit pour lui faire perdre son goût salé, son amertume et son odeur, et qu’elle s’adoucit en vieillissant. Ils en mêlent un quatre-vingtième avec le moût en y joignant un cinquantième de plâtre. Trois jours après, ils agitent fortement ce mélange, et prétendent que cette opération non seulement permet au vin de vieillir, mais encore lui donne une belle couleur. On remue et on soigne le vin tous les neuf jours, ou, au plus tard, tous les onze jours, parce qu’en le surveillant souvent on est à même de juger si on doit le vendre ou le garder. Quelques-uns jettent dans une futaille trois onces de résine sèche broyée et l’agitent. Par ce moyen, disent-ils, le vin devient diurétique.

Raisin. Planche extraite de l'herbier d'Elizabeth Blackwell (1737-1739)

Raisin. Planche extraite de l’herbier
d’Elizabeth Blackwell (1737-1739)

Suivant les Grecs, voici comment il faut soigner le moût qu’auront affaibli des pluies fréquentes, ce dont on pourra s’assurer en le goûtant. Laissez-le cuire en entier jusqu’à diminution d’un vingtième, ou plutôt ajoutez-y un centième de plâtre. Les Lacédémoniens le font cuire jusqu’à diminution d’un cinquième, et le boivent quatre ans après. Pour rendre mœlleux un vin dur, les Grecs conseillent de mettre dans un petit vase de vin deux cyathes de fleur de farine d’orge pétrie avec le vin, et de la laisser reposer pendant une heure. Quelques-uns y mêlent de la lie de vin doux ; d’autres y ajoutent un peu de réglisse sèche, et le boivent après avoir longtemps agité le vase.

Les Grecs disent encore que le vin acquiert en peu de jours un parfum exquis, lorsqu’on jette dans un tonneau des baies sèches et pilées de myrte sauvage cueillies sur des montagnes : on laisse reposer le vin pendant dix jours, et on le passe avant de le boire. Vous amasserez aussi des fleurs de vigne mariée à des arbres, et vous les ferez sécher à l’ombre. Après les avoir pilées et passées au crible avec soin, vous les conserverez dans un vase neuf, pour en mettre, à votre gré, sur trois tonneaux de vin, la valeur de la mesure appelée chœnica par les Syriens. Vous boucherez ensuite ces pièces, et vous les ouvrirez six ou sept jours après pour votre usage.

On rend, selon les Grecs, le vin agréable en y plongeant une quantité suffisante de fenouil ou de sarriette que l’on agite, ou en mettant dans un vase deux pignons provenant de deux pins différents, grillés et enveloppés d’un linge : on bouche ensuite le vase, et on boit le vin au bout de cinq jours. Pour donner au vin nouveau le goût du vin vieux, concassez et pilez ensemble une certaine quantité d’amandes amères, d’absinthe, de gomme de pin à fruits et de fenugrec ; mettez-en un cyathe par amphore, et vous aurez un vin de première qualité. Si vous craignez qu’il ne contracte quelque vice, ajoutez-y à doses égales de l’aloès, de la myrrhe et du marc de safran battus et réduits en poudre ; mêlez-y du miel, et mettez-en un cyathe par amphore. De même, si vous voulez donner au vin de l’année l’apparence de vin vieux, broyez et passez au crible une once de mélilot, trois de réglisse et de nard celtique, deux d’aloès hépatique ; mettez six cuillerées de cette composition dans cinquante setiers de vin, et exposez le vase à la fumée.

Voulez-vous changer du vin rouge en vin blanc, suivant les Grecs, jetez-y de la fécule de fèves, ou versez dans une amphore de vin rouge trois blancs d’œufs, et remuez longtemps ce mélange : le lendemain le vin sera blanc. Ajoutez-y de la fécule de pois d’Afrique : le même jour, il changera de couleur. Telle est aussi la propriété des vignes : brûlez des ceps qui produisent du raisin blanc ou du rouge, et mettez-en les cendres dans du vin ; elles lui imprimeront chacune leur couleur. La cendre de la vigne qui porte du raisin rouge rougira le vin ; l’autre le blanchira, pourvu que vous versiez dans une futaille de dix amphores un boisseau de cendres de sarment, et qu’après les avoir laissées pendant trois jours dans le vin, vous le teniez couvert et bouché : au bout de quarante jours, vous le trouverez blanc ou rouge, selon la couleur que vous aurez choisie.

Voulez-vous fortifier un vin faible ; d’après les Grecs, suivez la méthode que voici : Mettez dans le vin une décoction de feuilles, ou de racines, ou de tiges tendres d’althéa, c’est-à-dire de grande mauve, ou bien du plâtre, ou deux cotyles de pois chiches, ou trois noix de cyprès, ou une poignée de feuilles de buis, ou de la graine d’ache, ou des cendres de sarments que le feu aura réduits à un filet délié en les dépouillant de toute partie solide. Pour clarifier et bonifier, en un même jour, du vin amer, broyez ensemble dans une petite quantité de vin, dix grains de poivre et vingt pistaches. Après les avoir remués, mettez-les dans six setiers de vin ; ensuite laissez le vin reposer, et passez-le pour le boire peu de temps après. De même, pour clarifier sur-le-champ du vin chargé de lie, mettez sept pignons dans un setier de vin, remuez-le longtemps, puis laissez-le un peu reposer : il s’éclaircira bientôt. Vous le passerez, et vous pourrez le boire.

Les Grecs prétendent encore (et c’est, dit-on, un secret révélé aux Crétois par l’oracle d’Apollon Pythien) que, pour rendre le vin blanc et lui faire prendre un goût de vétusté, il faut broyer ensemble les drogues suivantes et les réduire en une poudre très fine, passée au crible, à savoir : quatre onces de fleurs de jonc odorant et d’aloès hépatique, une once de bon mastic, autant de cannelle et de poivre, une demi-once de spica-nard, et une once d’excellente myrrhe et d’encens mâle qui ne soit pas rance. Quand le moût aura fermenté, on l’écumera et on enlèvera tous les pépins de raisin qu’il aura renvoyés à sa surface ; ensuite on mettra sur dix amphores de vin trois setiers italiques de plâtre battu et passé au crible, après avoir transvasé le quart du vin qu’on veut travailler. On y remettra du plâtre, et l’on agitera fortement la pièce pendant deux jours avec un roseau vert et garni de ses racines.

Le troisième jour, on jettera doucement dans dix amphores de vin quatre cuillerées de la poudre prescrite, et l’on ajoutera par-dessus le quart du vin transvasé, pour remplir la pièce, qu’on remuera encore longtemps, afin que toute la masse du moût se pénètre de la vertu de ces drogues. On couvrira et on fermera la pièce, en y laissant un petit trou qui donnera de l’air au vin pendant sa fermentation. Mais, au bout de quarante jours, on bouchera le trou, et alors on pourra goûter le vin à son gré. On n’oubliera pas, avant tout, de faire remuer le vin par un enfant impubère ou par une personne assez propre. On n’enduira pas non plus la pièce avec du plâtre, mais avec de la cendre de sarments.

Enfin, d’après les mêmes auteurs, voici comment on fait un vin anti-pestilentiel et stomachique : Déposez dans un rnétrétès d’excellent moût, avant que la liqueur fermente, huit onces d’absinthe broyée et enveloppée dans un linge ; retirez-les au bout de quarante jours, survidez le vin dans de plus petits vases, et faites-en usage. Ceux qui ont coutume de travailler le vin avec du plâtre, le font, ce mois-ci, quand le moût a jeté sa première écume. Si le vin est naturellement trop doux et d’un goût aqueux, il suffira d’y mettre deux setiers de plâtre sur cent conges devin. Mais s’il est fort, contentez-vous de la moitié de cette dose pour une pareille quantité.

Du vin rosat sans roses
Vous ferez à présent, de la manière suivante, du vin rosat sans roses : Mettez dans une corbeille de palmier des feuilles vertes de citronnier, et déposez-les dans un vase rempli de moût qui ne fermente pas encore ; puis bouchez le vase. Quarante jours après, ajoutez-y du miel, et servez-vous-en comme de vin rosat, quand vous le jugerez à propos.

Du vin miellé
Prenez la quantité que vous voudrez de moût provenant de grandes et belles vignes, vingt jours après qu’on l’aura tiré de la cuve ; mêlez-y un cinquième d’excellent miel, non écumé, après l’avoir fortement battu jusqu’à ce qu’il blanchisse, et agitez-le vivement avec un roseau garni de ses racines. Vous le remuerez ainsi pendant quarante ou mieux cinquante jours consécutifs, et, après chaque opération, vous le couvrirez d’un linge propre, à travers lequel pourra aisément passer le gaz produit par la fermentation. Au bout des cinquante jours, vous enlèverez avec la main, après l’avoir lavée, toutes les immondices qui surnageront ; puis vous mettrez le vin dans un vase que vous boucherez soigneusement avec du plâtre, et vous le laisserez vieillir. Néanmoins il vaudra mieux le survider au printemps suivant dans de plus petits vases enduits de poix, que vous couvrirez avec soin après les avoir garnis de plâtre, et le serrer dans un cellier frais et souterrain, ou dans du sable de rivière, ou le tenir, sur ce même sol, en partie plongé dans l’eau. Moyennant ces précautions, le temps ne l’altèrera jamais.

Du defrutum, du caraenum et du sapa
Faites à présent le defrutum, le caraenum et le sapa. Comme ces vins se font également tous avec du moût, ce n’est que la nature de la fabrication qui en change la qualité, ainsi que le nom. En effet, le defrutum, dont le nom dérive de defervere, est le moût fortement bouilli jusqu’à ce qu’il soit épaissi ; le carœnum est le moût réduit aux deux tiers ; le sapa est le moût réduit à un tiers. Ce dernier vin gagne en qualité lorsqu’on le cuit avec des coings, et qu’on le chauffe avec du bois de figuier.

Cognassier. Planche extraite du Traité des arbrisseaux et des arbustes cultivés en France paru en 1825

Cognassier. Planche extraite du
Traité des arbrisseaux
et des arbustes cultivés
en France paru en 1825

Du passum
Le passum se fait à cette époque avant la vendange. Tous les Africains l’épaississent et lui donnent un goût agréable. Il préserve des flatuosités lorsqu’on l’emploie, en guise de miel, pour faire du vin épicé. On cueille une très grande quantité de grappes qu’on renferme dans des paniers de jonc à claire voie, et qu’on bat vigoureusement avec des verges. Ensuite, lorsque la masse entière des grappes est divisée par la violence des coups, on pressure ce raisin. Tout ce qui s’écoule du pressoir est du passum. On le renferme dans un vase, et on le conserve comme le miel.

Du cotignac
Pelez des coings mûrs, coupez-les en petites tranches bien minces, et rejetez les parties dures qui forment le cœur. Ensuite faites bouillir ces fruits dans du miel jusqu’à réduction de moitié, en les saupoudrant de poivre fin pendant la cuisson. Autre recette : Mêlez ensemble deux setiers de jus de coings, un et demi de vinaigre et deux de miel ; faites bouillir ce mélange jusqu’à ce qu’il soit aussi épais que du miel pur ; joignez-y deux onces de poivre pilé et de gingembre.

De la manière de conserver du levain pour faire des gâteaux au vin doux
On compose une pâte avec du froment nouveau bien mondé qu’on arrose avec du moût de première serre, en mettant une amphore de moût sur un boisseau de farine, et on la fait sécher au soleil. On renouvelle ces deux opérations jusqu’à trois fois, et l’on fabrique avec cette pâte de petits pains semblables à des gâteaux au vin doux. Après les avoir fait sécher au soleil, on les met dans des vases d’argile neufs qu’on enduit de plâtre. Ils servent de levain lorsqu’on veut faire des gâteaux au vin doux.

Manière de faire le raisin sec selon les Grecs
Voici comment on fait le raisin sec à la manière des Grecs. Tordez sur le cep même les grappes du raisin le meilleur, le plus doux, le plus transparent, et laissez-les y sécher d’elles-mêmes. Une fois cueillies, suspendez-les, attachez-en plusieurs pour les mettre dans des vases, posez-les sur des feuilles de vigne sèches et fraîches, et pressez-les avec la main. Quand les vases seront pleins, remettez par-dessus des feuilles fraîches comme les premières, couvrez les vases et placez-les dans un lieu frais et sec, à l’abri de toute fumée.

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