LA FRANCE PITTORESQUE
Fête de Saint-Lazare à Autun ou cavalcade
suivie d’un simulacre de siège
(D’après « Paris, Versailles et les provinces,
au XVIIIe siècle (tome 2) » paru en 1809)
Publié le jeudi 28 février 2013, par LA RÉDACTION
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Avant la suppression des droits féodaux, il existait à Autun, en Bourgogne, une cérémonie annuelle bien singulière, dont l’origine inconnue à ceux même qui en profitaient, et qui, par état auraient dû en être instruits, paraissait remonter à quelque époque mémorable des siècles de la chevalerie, ou plus vraisemblablement à quelque fait extraordinaire passé en l’an 1562, époque à laquelle les protestants furent forcés d’abandonner cette ville, et d’y laisser triompher la religion catholique
 

Le 29 juillet, jour de la fête patronale de ce diocèse, sous le vocable de Saint-Lazare, après les offices solennels, les chanoines de la cathédrale, revêtus de leurs soutanes, de leurs surplis, de leurs aumusses, et un grand bouquet au côté, montaient à cheval, accompagnés du bas chœur et d’une grande troupe de bourgeois armés de fusils.

Cette cavalcade était précédée par un cavalier armé de toutes pièces, selon l’usage de l’ancien temps, et tenant une lance à la main. Le Chapitre faisait ainsi processionnellement le tour de la ville en dehors, rentrait par la porte par laquelle il était sorti, déposait le cavalier armé sur le perron de l’Hôtel de Ville, où l’on montait à la faveur d’une double rampe, et tout le cortège se dispersait ensuite.

Vue sur la cathédrale Saint-Lazare d'Autun

Vue sur la cathédrale Saint-Lazare d’Autun

De ce moment commençait, sur la grande place de l’Hôtel de Ville, dite de Saint-Lazare, et sous les yeux de l’homme armé, un simulacre de combat ou de siège. Une partie des bourgeois attaquait un fort construit en fascines et gabions, sur cette même place, et défendu par une autre partie de bourgeois qui semblaient y être retranchés. On se tirait force coups de fusils chargés à poudre, on montait à l’assaut, on était repoussé ; et l’on pense bien qu’avec de mauvaises armes, et beaucoup de gens ivres, tout cela ne se passait pas sans accidents.

Cependant, à sept heures du soir les défenseurs arboraient le drapeau blanc et étaient censés se rendre. Les assaillants entraient par une brèche qu’on avait eu soin de pratiquer ; le fort était démoli et les débris étaient employés à un grand feu de joie. A l’instant de la reddition du fort, le chapitre devenait Seigneur de la ville pendant trois jours, et percevait dans cette courte époque tous les droits seigneuriaux, avantage d’autant plus considérable, qu’on remettait à ce moment-là toutes les ventes convenues d’avance, pour tirer un meilleur parti des lots sur lesquels les acquéreurs avaient la certitude d’être traités favorablement.

Cette cérémonie attirait tous les ans à Autun un concours immense de curieux. Deux jeunes officiers d’artillerie passant par cette ville en 1769, et voyant les préparatifs que l’on faisait, en demandèrent le sujet. On le leur expliqua dans le plus grand détail. Ce récit excita leur gaieté, et les détermina à s’arrêter pour participer activement à la fête. Ils allèrent en effet se mêler parmi les ouvriers, et leur distribuant de l’argent et du vin, les engagèrent à mettre plus de régularité dans la construction du fort, et à faire des ouvrages avancés pour sa défense.

Le grand jour de l’attaque arrivé, ils entrèrent dans la citadelle, et furent d’autant plus volontiers choisis pour chefs par la garnison bourgeoise, qu’ils y apportèrent force provisions de bouche. Ils disposèrent en conséquence leurs troupes dans les redoutes, ainsi qu’autour des remparts, établirent des postes en avant, avec ordre d’annoncer l’arrivée de l’ennemi, et de se replier sur le fort après un léger combat, et se firent promettre obéissance absolue par tous ces nouveaux soldats, enchantés de donner au public un spectacle vraiment militaire.

Le combat s’engagea, selon l’usage, immédiatement après la procession. On opposa une faible résistance dans les ouvrages avancés, qui furent emportés par les assaillants, ainsi qu’on en était convenu, et les troupes qui les défendaient se retirèrent en bon ordre dans la citadelle, d’où l’on continua à se fusiller de part et d’autre. On fit des sorties, elles furent repoussées, et l’on donna vraiment l’image d’un siège en règle. Cependant, après sept heures, et même huit heures sonnées, le fort ne se rendant point, les assaillants curent devoir envoyer un parlementaire aux chefs, pour leur représenter qu’ils ne devaient pas tenir plus longtemps, et qu’il fallait arborer le drapeau blanc en signe de reddition.

Fontaine Saint-Lazare à Autun

Fontaine Saint-Lazare à Autun

Les officiers firent entrer l’envoyé, lui montrèrent les munitions de toute espèce qu’ils avaient en abondance, lui déclarant qu’avec d’aussi braves troupes ils étaient résolus de se défendre jusqu’à l’extrémité, et le firent reconduire par une députation chargée de porter cent bouteilles de vin au général ennemi, pour être distribuées à ses troupes.

On accueillit très bien la plaisanterie, et le combat se ranima avec beaucoup de gaieté. Mais la nuit commençant à paraître, les assaillants se lassèrent de ce badinage, et se retirèrent peu à peu. Le feu ayant cessé, on envoya de la place des patrouilles qui ramenèrent quelques prisonniers ; et lorsqu’il fut décidé que le siège était levé, les officiers firent tirer dans le fort un très joli feu d’artifice en signe de réjouissance, et repartirent le lendemain.

Cependant cet amusement, très innocent en lui-même, et qui avait beaucoup diverti les spectateurs, n’ayant pu se passer sans quelques légers désordres, suite inséparable des cohues populaires, il n’en fallut pas davantage pour déconcerter la gravité des principaux magistrats qui, dans leur mauvaise humeur, curent y voir une infraction à l’ordre public. Ils cherchèrent à exaspérer le peuple, dressèrent des procès-verbaux, qui ne pouvaient que constater la gaieté des jeunes militaires qui s’étaient mis à la tête de cette plaisanterie, et ne voyant pas de motifs suffisants pour les traduire en justice, imaginèrent de faire passer leurs plaintes au ministre de la Guerre.

Le duc de Choiseul, chargé alors de ce département, ne fit qu’en rire. Il amusa beaucoup le roi du récit de ce petit événement, et de la grande colère des magistrats qui voulaient en faire une affaire sérieuse. Ils ne reçurent pas de réponse, et l’on fit seulement ordonner aux deux officiers d’artillerie, pour leur propre sûreté, de ne pas passer par Autun à leur retour.

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