LA FRANCE PITTORESQUE
Dictons, proverbes, expressions
populaires de Vendée autour du tchu,
dix-septième lettre de l’alphabet
(D’après « La Vendée historique » paru en 1910)
Publié le vendredi 22 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Entre tous les traditionnismes, le traditionnisme vendéen, essentiellement gaulois, expose à l’inconvénient de parler crûment, notamment au chapitre des dictons, proverbes et locutions populaires, chapitre dans lequel nos bons aïeux, qui aimaient à appeler un chat « un chat », semblent s’être complu à lâcher la bride à leur verve franchement rabelaisienne
 

A preuve la foule de dictons que leur a suggérés un mot difficile à risquer en français et que nous pourrions nous contenter de désigner pudiquement en renvoyant le lecteur... à la dix-septième lettre de l’alphabet si nous n’avions la ressource de notre patois, lequel est désormais si vieux, hélas ! et tellement tombé en désuétude, qu’il paraît pouvoir bénéficier, avec le latin, du privilège de braver l’honnêteté !... Donc, en patois vendéen, la dix-septième lettre de l’alphabet se traduit par tchu ; et c’est sous le couvert de cette traduction que nous pouvons librement remplir notre mission d’enquêteur traditionniste en risquant, autour du gros mot français ainsi voilé, le déballage de toute une série de dictons, proverbes et locutions populaires accommodés à la sauce « de chez nous ! ».

Cela dit, passons bravement à l’inventaire du ballot.

1° Les rapports de voisinage entre « la dix-septième lettre de l’alphabet » et la chemise devaient tout naturellement fournir à la verve vendéenne l’occasion de quelques bonnes grosses et grasses plaisanteries bien vite tournées en dictons populaires... Cela n’a point manqué. De deux personnes liées par une étroite amitié on a coutume de dire, dans le langage ordinaire, qu’elles sont amies comme cochons, ou encore, pour parler d’une façon un peu plus relevée, qu’elles sont comme les deux doigts de la main : les campagnards de chez nous disent tout crûment de ces imitateurs d’Oreste et de Pylade qu’ils sont comme tchu et chemise. A la formule n’avoir que ses beaux yeux, employée couramment en parlant d’une jeune fille sans dot, le traditionnisme vendéen substitue la variante n’avoir que son tchu et sa chemise. L’expression se fourrer le doigt dans l’œil se traduit par prendre son tchu pour sa chemise.

2° De quelqu’un qui l’emporte sur un concurrent, soit au jeu, soit dans les batailles de la vie, on dit qu’il a damé le pion à son adversaire : le paysan vendéen, lui, dit plus énergiquement du vainqueur qu’il a brûlé le tchu au vaincu.

3° En voulant courir trop vite on ne réussit pas toujours à remporter le prix de la course ; on s’expose parfois à ramasser une pelle ou à s’en aller les quatre fers en l’air : en patois vendéen, l’image de cette culbute s’exprime par tomber dau tchu ou virer tchu pr’ dessus tête.

4° En langage académique, la menace d’une correction se traduit d’ordinaire par laver la tête ou tirer les oreilles, formules que le patois vendéen traduit par enl’ver l’ tchu, rel’ver l’ tchu, secouer l’ tchu.

5° D’un cheval qui fait des farces, et qui regimbe dans les brancards, un cocher bien élevé se contentera de dire qu’il rue : chez nous, dans le langage populaire, le verbe ruer est couramment remplacé par l’expression plus énergique lever l’ tchu.

6° D’un homme de mauvaise humeur on dit partout qu’il s’est levé du pied gauche : en Vendée, nous avons comme variante s’être levé l’ tchu l’ premier.


Portrait d’homme dit « Le Vendéen »,
par Théodore Géricault

7° Si, à la suite d’une scène conjugale, la femme tient jusqu’au lendemain rancune à son mari, on dit qu’elle se couche en boule, ce qu’on traduit, en patois vendéen, par l’obligation pour l’infortuné conjoint de coucher à l’auberge dau tchu tourné.

8° Si quelqu’un vous importune, ou si une affaire vous fatigue ou vous cause de l’ennui, vous avez coutume de dire que vous en avez plein le dos : le campagnard vendéen, lui, dira qu’il en a pien l’ tchu ! En pareil cas, d’ailleurs, la formule n’est pas toujours la même et on entend souvent proférer les deux suivantes : j’ l’ai dans l’ tchu !... ça m’ prend au tchu !

9° Pour blaguer le prodigue qui s’est ruiné en dépensant au-delà de ses revenus, ou le sot orgueilleux qui a voulu paraître plus qu’il n’était en réalité, ou encore le prétentieux impuissant qui n’a pas craint d’entreprendre une tâche au-dessus de ses forces, on a recours, d’ordinaire, à une variante quelconque du ne sutor ultra crepidam du vieil Horace : en Vendée, on dit tout bonnement de l’imprudent qu’il a échoué pour avoir voulu peter pus haut que l’ tchu !

10° De quelqu’un qui éprouve une forte déception, et qui se retire tout penaud après s’être mis dans un mauvais cas, on dit qu’il s’en revient gros-Jean comme devant... Traduction vendéenne : s’en aller in pouce au tchu, l’autre à l’oreille !

11° De quelqu’un qui protège un ami, l’aide et le fait arriver, on a coutume de dire qu’il donne un coup d’épaule : beaucoup plus juste sans doute, bien plus expressive, sinon plus académique, est la locution vendéenne pousser au tchu !
Il serait facile de prolonger encore cette promenade autour de la dix-septième lettre de l’alphabet ; mais, outre qu’il faut savoir se borner, peut-être y aurait-il quelque imprudence à entraîner trop loin les promeneurs, dont quelques-uns peuvent avoir le pied délicat, à travers ces sentiers épineux où la gauloiserie vendéenne semble avoir pris plaisir à semer - à toute volée - les plus piquantes graines de son vieux sac traditionniste... Notons seulement, dans un douzième et dernier paragraphe, la fameuse locution si populaire parmi les joueurs du Bocage et dont on ne manque jamais de faire gorges chaudes, à la fin d’une partie de boules ou de cartes, aux dépens de l’infortuné qui a perdu sans prendre un point. On dit alors du perdant qu’il est allé biser l’ tchu d’ la vieille ! La vieille en question est toujours une célébrité locale ; d’ordinaire on n’hésite point à la désigner nommément et, tout aussitôt, au milieu des rires de l’assistance, c’est un concert de plaisanteries où chacun tient à placer son mot.

On aurait grand tort de se voiler la face et de crier au scandale, à propos de cette locution avec laquelle se sont familiarisées, depuis longtemps, les plus susceptibles d’entre les oreilles vendéennes. Elle y est tellement acclimatée, qu’elle a cours dans toutes les réunions où l’on se sent les coudées franches, même dans les réunions ecclésiastiques ! Tout au plus l’adoucit-on dans ces dernières, où l’on se contente généralement de dire au joueur malheureux qu’on l’a fait aller à la vieille !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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