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Enchanter
(Source : Le Figaro)
Publié le lundi 30 octobre 2023, par Redaction
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Quelle définition du verbe « enchanter » est donnée dans nos premiers dictionnaires ? Un sens très éloigné de celui d’aujourd’hui...
 

Enchanter : ce mot signifie ensorceler, déclare Richelet en 1680. « Enchanter. User de magie, d’art diabolique pour opérer quelque merveille qui arrête le cours de la nature. Les Sirènes enchantaient par leurs chants », insiste de son côté Furetière dans son Dictionnaire universel en 1690. Souvenons-nous qu’Ulysse dut se faire attacher au mât de son bateau pour éviter de succomber à la voix de ces créatures ensorcelantes. Est-ce à dire que la chanson est l’œuvre du démon ?

Il faut avouer que le verbe enchanter, à l’origine de l’enchantement, est emprunté au latin incantare (chanter des formules magiques, consacrer par des charmes, ensorceler). Or, ce dernier est lui-même dérivé de sorcier « celui, celle qui, selon l’opinion du peuple, a un pacte exprès avec le Diable », est-il indiqué, en 1762, dans la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française.

L'ensorceleur
L’ensorceleur. © Crédit illustration : Araghorn

De la baguette au balai, il est aisé de voir l’œuvre du Malin. Mais il faut se rappeler que le sorcier ou la sorcière est, à l’origine, un être réel et non un être fabuleux comme la fée ou la sirène — le sorcier étant, en effet, tout d’abord doté d’un grand savoir dans le domaine des sciences de la vie. C’est avec le temps et la voix des hommes que le sorcier va progressivement se parer d’une légende noire, satanisée.

Il y a bien, néanmoins, de la magie chez l’enchanteur ! Dans son Dictionnaire françois de 1680, Richelet signale que l’envoûteur « plaît, charme les yeux et l’esprit ». Il convient donc de s’en méfier. D’ailleurs, le fin observateur de la langue précise que « l’enchanterie » est une « tromperie », une « charlatanerie ». Comme si « l’enchanté » risquait d’être « médusé » aux côtés de l’enchanteur...

Au XVIIIe siècle, on se plaît en tout cas à l’être. Le mot plaît tellement, écrit Féraud dans son Dictionnaire, qu’il est « à la mode ». Mais pour un temps seulement. Aujourd’hui, le mot est vieilli. Il ne s’emploie plus guère que pour rendre la politesse d’une rencontre.

« Je m’empresse de communiquer vos excellents articles à Lamartine qui en sera enchanté », écrit Victor Hugo, le dimanche 28 novembre 1824 au baron d’Eckstein. On était là à la frontière de la formule passe-partout, mais nul doute que le baron d’Eckstein a perçu la formule dans son sens le plus laudatif qui n’était pas encore oublié.

Jean Pruvost
Le Figaro

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