LA FRANCE PITTORESQUE
Déception d’un courtisan
tancé par Boileau
(D’après « Bolaeana ou Bons mots de Monsieur Boileaux avec les poésies
de Sanlecque, etc. » (par Jacques de Losme de Montchesnay), paru en 1742)
Publié le lundi 13 juillet 2020, par Redaction
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Comment le zèle du duc de La Feuillade, maréchal de France, le servit mal face à Boileau, ou de la nécessité d’en savoir user avec à-propos lorsqu’on fait profession de flatteur
 

Courageux soldat mais piètre courtisan à la Cour de Versailles, le vieux duc de La Feuillade — François d’Aubusson (1631-1691), fait maréchal de France sous Louis XIV en 1675 et qui fit élever à ses frais la statue du Roi-Soleil sur la place des Victoires —, ayant rencontré le poète Nicolas Boileau dit Boileau-Despréaux (1636-1711) — auteur des Satires, d’Épîtres, de L’Art poétique, du Lutrin — dans la galerie de Versailles, lui récita un sonnet de Charles Faucon de Ris, marquis de Charleval (1612-1693), adressé à une dame.

François d'Aubusson, duc de La Feuillade et maréchal de France. Détail d'une gravure réalisée au milieu du XIXe siècle d'après une oeuvre de Pierre-Joseph Dedreux-Dorcy (1789-1874)
François d’Aubusson, duc de La Feuillade et maréchal de France.
Détail d’une gravure réalisée au milieu du XIXe siècle
d’après une oeuvre de Pierre-Joseph Dedreux-Dorcy (1789-1874)

Le sonnet finissait par ces vers :

Ne regardez point mon visage ;
Regardez seulement à ma tendre amitié.

Boileau-Despréaux lui dit qu’il n’y avait rien d’extraordinaire dans ce sonnet ; que d’ailleurs il ne donnait pas une idée riante de son auteur, et que, même à la rigueur, la dernière pensée pourrait passer pour un jeu de mots. Là-dessus, le maréchal ayant aperçu madame la dauphine — Marie-Anne de Bavière (1660-1690), épouse depuis 1680 du fils aîné de Louis XIV, Louis de France ou le Grand Dauphin — qui passait par la galerie, s’élança vers la princesse, à laquelle il lut le sonnet, dans l’espace de temps qu’elle mit à traverser la galerie.

« Voilà un beau sonnet, monsieur le maréchal », répondit madame la dauphine, qui ne l’avait peut-être pas écouté. Le maréchal accourut sur-le-champ pour rapporter à Boileau-Despréaux le jugement de la princesse, en lui disant d’un air moqueur qu’il était bien délicat de ne pas approuver un sonnet que le roi avait trouvé bon, et dont la princesse avait confirmé l’approbation par son suffrage.

Nicolas Boileau-Despréaux. Gravure d'Émile Bayard extraite de l'édition de 1873 des Oeuvres complètes de Boileau
Nicolas Boileau-Despréaux. Gravure d’Émile Bayard extraite
de l’édition de 1873 des Oeuvres complètes de Boileau

« Je ne doute point, répliqua Boileau-Despréaux, que le roi ne soit très expert à prendre des villes et à gagner des batailles. Je doute encore aussi peu que madame la dauphine ne soit une princesse pleine d’esprit et de lumières. Mais, avec votre permission, monsieur le maréchal, je crois me connaître en vers aussi bien qu’eux. »

Là-dessus, le maréchal accourut chez le roi et lui dit d’un air vif et impétueux : « Sire, n’admirez-vous pas l’insolence de Despréaux, qui dit se connaître mieux en vers que Votre Majesté ? — Oh ! pour cela, répondit le roi, je suis fâché d’être obligé de vous dire, monsieur le maréchal, que Despréaux a raison. » Le courtisan maréchal se retira désappointé.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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