LA FRANCE PITTORESQUE
11 août 1801 : mort du médecin
et historien Pierre-Joseph Odolant-Desnos
(D’après « Notice biographique et littéraire
sur Odolant-Desnos » (par Louis Dubois) paru en 1810)
Publié le jeudi 11 août 2022, par Redaction
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Après de bonnes études au collège des Jésuites puis un cours de médecine à Paris, il s’établit dans son Alençon natale où il pratique son art avec succès tout en étudiant l’histoire de sa contrée, fournissant dès lors une grande quantité d’articles composant de célèbres dictionnaires
 

Pierre-Joseph Odolant-Desnos naquit à Alençon le 21 novembre 1722. Il sortait à peine du berceau lorsqu’il perdit son père qui, quoiqu’il eût rempli des fonctions lucratives dans les îles de Ré et de Cayenne, ne lui laissa qu’une fortune très bornée. Sa mère, convaincue des avantages d’une éducation soignée, confia celle du jeune Desnos à un honnête ecclésiastique de ses parents, qui, doué de plus de bon sens que de science, et possédant plus de philosophie qu’il n’était permis alors d’en avoir, surtout lorsqu’on était le curé d’un village, éloigna son élève des sentiers battus de la routine et le familiarisa avec les bonnes méthodes qui aplanissent les difficultés de la langue latine.

L’enfant entra au collège des Jésuites, que possédait alors la ville d’Alençon, et y fit sa rhétorique avec application comme avec succès. Son ardeur était infatigable, ses travaux multipliés, ses progrès rapides. Alors il dévorait tous les livres qui tombaient sous ses mains avides ; on est étonné quand on parcourt les monuments de ses travaux vraiment immenses : il faisait des extraits étendus des poètes, des historiens, des critiques ; il copiait même des ouvrages entiers, quand sa fortune, très modique alors, ne lui permettait pas de les acheter.

Ses succès et son application ne tardèrent pas à le faire remarquer de ses instituteurs. On sait combien les Jésuites étaient jaloux de fixer dans leurs rangs les jeunes étudiants que signalait le savoir, la naissance ou la richesse. Le jeune élève résista à la séduction des promesses et à l’attrait des louanges. Il resta attaché à ses maîtres par les liens de la reconnaissance ; et, quand ils tombèrent victimes de leur longue ambition, attaqués par la philosophie et vaincus par les efforts de plusieurs rois, l’attachement de Desnos s’accrut avec ce qu’il appelait leurs persécutions.

Il quitta les Jésuites et sa ville natale pour suivre des cours à l’université de Paris. La curiosité, qui lui inspirait le goût de tout connaître, en même temps qu’elle lui donnait la force de tout entreprendre, le jeta un instant jusque sur les bancs de la Sorbonne. Mais le dégoût et l’ennui l’en chassèrent, et il quitta les chicanes de la théologie dogmatique pour les aphorismes non moins obscurs et presque aussi funestes de la jurisprudence.

L’esprit faux de la plupart des prêtres de Thémis, l’inextricable chaos de la pratique, et le protocole inintelligible des formules, et la bonne foi des plaideurs, et le désintéressement des législateurs du cabinet et de l’audience, lui inspirèrent presque autant de dégoût que l’étude des théologiens. Cujas ne l’intéressa pas plus que Collet, et le droit romain lui sembla aussi fastidieux que la somme de déraison et d’ennui qu’entassa Thomas-d’Aquin dans le bon temps des tournois théologiques.

Enfin Desnos vit, ce que voient trop rarement les parents et ce qu’il n’aperçut pas lui-même quand il fut père, qu’on ne peut sans danger forcer la vocation. La sienne était pour la médecine. Il s’y livra avec goût, et y travailla avec succès.

Il avait à peine terminé ses cours, qu’il fut choisi, ainsi que quelques jeunes médecins, pour porter les secours de leur art dans des provinces ravagées par une fièvre contagieuse, sur laquelle le gouvernement voulait obtenir des renseignements détaillés, et recueillir des notions précises. Après neuf mois de travaux, de fatigues et de dangers, moins heureux qu’Hippocrate, il rapporta de ce voyage une légère gratification et une maladie grave : genre de compensation peu engageant, mais assez ordinaire.

Ce fut vers l’âge de 30 ans que Desnos vint s’établir à Alençon, où il fut bien accueilli et très souvent employé. Les dix années qui suivirent immédiatement son retour à Alençon furent consacrées toutes entières aux devoirs de son état. Pendant le petit nombre de moments de relâche que lui laissait la pratique, il fortifiait la théorie par l’étude ; il rédigeait ses observations, dont quelques-unes furent insérées dans le Journal de la médecine. Les gens de l’art en distinguèrent deux : l’une sur un estomac percé qui n’avait pas empêché de vivre, ou plutôt de languir pendant plusieurs années, la personne qui était attaquée de cet accident ; l’autre sur un sujet qui, pour avoir été rebattu depuis, n’en était pas moins neuf alors, sur le danger de manger les chairs des animaux dont on ignorait le genre de mort.

Ses papiers offrent à ce sujet un fait assez remarquable : au moment où Desnos recevait du savant Astruc, sous lequel il avait étudié, une lettre de félicitation pour ce dernier mémoire, un magistrat d’Alençon, qui ne se piquait pas de penser comme les savants, voulait lui intenter un procès pour s’être mêlé d’un objet de police dont la connaissance, suivant lui, appartenait exclusivement aux tribunaux ; prétention absurde.

Échappé aux prétentions du nouveau Perrin-Dandin, Desnos se trouva vers le même temps engagé dans une affaire d’un autre genre. L’académicien Guettard venait d’annoncer la découverte de la composition de la porcelaine ; mais il fit une réticence en ne citant pas les lieux où se trouvaient les matières assez rares dont il parlait. Le hasard apprit à Desnos qu’on les tirait des carrières granitiques dont la ville d’Alençon est entourée : il envoya à ce sujet un Mémoire confidentiel à Bernard de Jussieu, dont il avait suivi les cours et conservé l’estime, et avec lequel il était en relation. Jussieu communiqua le mémoire à quelques personnes.

Le chevalier Turgot était du nombre. Soit par zèle pour la propagation des connaissances, soit par intérêt pour l’auteur, soit peut-être par animosité contre Guettard, Turgot éventa la mine, dévoila le mystère et s’empressa de l’annoncer à Guettard lui-même. Voici ce que Turgot écrivait à Desnos le 14 mai 1761 : « J’ai bien des remerciements à vous faire pour votre excellent détail au sujet du kaolin et du pétunzé. J’en ai fait part à plusieurs savants, et on l’a même lu à l’Académie des sciences, où on en a été très satisfait. Le secret que vous avez demandé n’est pas bien propre à étendre les connaissances. Si j’en avais, je chercherais à les communiquer : cela me paraît raisonnable ». Cette indiscrétion, qui pouvait être fort indifférente pour l’auteur de la lettre, ne l’était pas du tout pour l’auteur du mémoire. Il ne paraît pas que, depuis ce moment, il ait rien publié sur son art , ailleurs que dans la Collection sur les maladies épidémiques, par le Pecq de la Clôture.

Vers 1763, quelques personnes lui proposèrent de s’établir sur un théâtre qui, plus grand, serait plus propre à faire connaître ses talons. Il eut la sagesse si recommandable et si rare de préférer à des espérances séduisantes l’heureuse existence qu’il avait au sein de ses concitoyens. Tel était l’emploi de son temps : il visitait ses nombreux malades ; il lisait les livres nouveaux de ses confrères ; il en chargeait les marges de notes qui prouvent qu’il s’occupa sans cesse des devoirs de sa profession. Ce qui lui restait de temps, il le consacrait à l’histoire, et surtout à celle du pays qui l’avait vu naître : après ses travaux, tels étaient ses délassements.

Il savait ainsi surmonter la fatigue, en variant ses occupations qu’il commençait à quatre heures du matin. A mesure qu’il faisait ses extraits, qu’il formait ses notes, qu’il écrivait ses observations, il les plaçait dans chaque ouvrage pour lequel il les avait composés. C’est ainsi qu’il fournit une foule de morceaux à l’auteur de la Chronologie des grands baillis de Caen ; au Dictionnaire du Maine ; au Dictionnaire de la noblesse ; au Dictionnaire des hommes illustres. Il eut une grande part au Dictionnaire géographique des Gaules et de la France par Expilly ; mais la manière étrange dont on estropia un de ses articles, en confondant les notes avec le texte, le fit renoncer à seconder Expilly dans son entreprise restée imparfaite.

Il eut plus de confiance en Fontette, qui donna, en 1768, une nouvelle édition de la Bibliothèque historique de France. Desnos y rédigea une grande partie de ce qui concerne l’histoire de la Normandie. Il paraît aussi, par une lettre de Dom Clément, que ce savant bénédictin lui eut quelques obligations importantes. Voici ce que Dom Clément lui écrivait en 1783 : « Ce que vous m’avez envoyé répandra un grand jour sur mon ouvrage. Je ne manquerai pas assurément de faire connaître au public la main bienfaisante de qui je tiens ces précieux renseignements, et en même temps les services importants que vous rendez aux lettres par vos savantes recherches ». On ignore quel était l’ouvrage qui inspirait cette lettre à Dom Clément : c’était sans doute l’Art de vérifier les dates, qui parut de 1783 à 1792.

Les seuls ouvrages que notre auteur ait publiés en corps séparés sont les Mémoires historiques sur la ville d’Alençon et sur ses seigneurs ; une Dissertation sur Serlon, évêque de Sées, et Raoul, mort archevêque de Cantorbéry ; et une autre dissertation sur les héritiers de Robert IV, comte d’Alençon. Ces productions, qui furent le fruit de veilles nombreuses, annoncent une érudition profonde, mais quelquefois minutieuse : on y trouve généralement de l’exactitude dans le travail, mais on y désirerait plus d’ordre et un style moins négligé ; défauts qu’il faut attribuer à l’âge avancé de l’auteur, et qui se font moins sentir dans les ouvrages qu’il avait publiés auparavant.

Moins occupé de la forme que du fond, l’auteur ne cherchait que la vérité. C’est ainsi qu’il avait rassemblé et qu’il a laissé dans ses manuscrits des recherches immenses, peu propres à être lues, mais excellentes à consulter. La collection de ses portefeuilles offre plus de cent volumes dans lesquels le défaut d’ordre se fait malheureusement sentir, mais qui présentent une foule d’extraits, de notes et de renseignements très précieux. Celui de ses ouvrages posthumes qui serait lu avec le plus d’intérêt est un petit écrit, une Instruction adressée à sa famille, et dans laquelle respire avec un ton patriarcal la plus touchante sensibilité.

Pierre-Joseph Odolant-Desnos fut aimable et bon, quoique emporté et irascible. Sans haine et sans ressentiment, il dédaignait la vengeance. Comme il connaissait à fond et son art et l’histoire, comme il sentait ses forces, il était quelquefois tranchant dans la discussion. Dans le monde il montrait de la gaieté et de l’aménité ; et auprès des femmes qu’il avait beaucoup et longtemps aimées, il n’était pas sans amabilité.

Desnos fut secrétaire perpétuel de la Société royale d’agriculture de le généralité d’Alençon ; correspondant de la Société royale de médecine de Paris, de l’Académie des sciences et belles-lettres de Rouen, de celle de Caen, et de la Société littéraire de Cherbourg. Il mourut à l’âge de 78 ans le 11 août 1801, à Alençon où il fut inhumé. Une maladie l’avait privé trois ans de l’usage de la parole et de la faculté d’écrire. Il eut huit enfants : trois garçons et cinq filles ; dont deux aînées mortes fort jeunes, un fils mort médecin à Paris ; un fils étudiant en médecine, et qui disparut en juin 1778 ; une fille Mariée à Alençon à M. Quillet-Lamartinière ; deux autres filles mortes dans l’enfance ; et un autre fils, dépositaire de ses manuscrits, membre du conseil des Cinq-Cents, membre du Corps-Législatif et auteur d’un ouvrage intitulé : Redites sur les effets des taxes arbitraires en France et en Angleterre, par rapport à leurs auteurs. Ce dernier, né à Alençon le 19 janvier 1768, et nommé Latuin-Louis-Gaspard, mourut à sa terre des Vignes près d’Alençon, le 24 septembre 1807, laissant entre autres manuscrits un ouvrage curieux sur les bizarreries de quelques-unes des anciennes cérémonies religieuses de la France.

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