LA FRANCE PITTORESQUE
19 juillet 1900 : mise en service
du Métropolitain de Paris
(D’après « Le Matin » et « Le Figaro » du 20 juillet 1900)
Publié le mercredi 19 juillet 2023, par Redaction
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C’est à une heure de l’après-midi, le 19 juillet 1900, que le public parisien put pour la première fois goûter aux joies du voyage en Métropolitain : à l’heure dite, toutes les stations du joli chemin de fer établi sous la capitale étaient assiégées par une foule de curieux
 

Le journal Le Matin du lendemain rapporte qu’on se précipitait de toutes parts, afin de profiter ce de nouveau moyen de parcourir à l’aise, au frais et sans fatigue, les longs espaces incendiés à la surface des rues par le soleil. On était curieux aussi de juger, dès le début, l’oeuvre merveilleuse accomplie par les ingénieurs.

Et, dans cette foule, on pouvait reconnaître, avec les figures du Tout-Paris, les physionomies si caractéristiques de ces travailleurs de toutes les classes et de tous les métiers, bourgeois intelligents et alertes, ouvriers avertis et désireux de s’instruire chaque jour un peu plus, rentiers qui n’ont pas désappris l’activité, artistes qui ne dédaignent point les réalités de la vie pratique.

L'entrée du Métropolitain. Illustration du début du XXe siècle

L’entrée du Métropolitain. Illustration du début du XXe siècle

C’était bien par une clientèle vivante et laborieuse comme celle-là, que devait être faite l’inauguration du Métropolitain de Paris. Inauguration toute simple, d’ailleurs, affirme Le Matin. Ni faste, ni bruit, ni lunch officiel, ni discours, ni consigne gênante. Rien que les gardiens de la paix aux stations et, dans les gares, les employés de la Compagnie, dans leurs uniformes coquets. Des employés polis, courtois, empressés ! Jusqu’à huit heures du soir, on délivra plus de 30 000 tickets.

Serge Basset, journaliste au Figaro, fit partie de ce premier voyage et en fait la narration le lendemain :

C’est, d’ores et déjà, écrit-il, le seul coin de Paris où, par ces temps de canicule, il fasse frais et même un peu plus !... Cette appréciation cinquante fois entendue, hier, dans les wagons du Métropolitain, entre la porte Maillot et la porte de Vincennes, résume à peu près l’impression du public admis pour la première fois à faire ce voyage.

L’impression- du public ?... Pas tout à fait juste, la phrase. Car, à côté de l’extraordinaire fraîcheur dont étaient saisis les curieux, à leur entrée sur les quais, il y avait aussi, chez les voyageurs, un sentiment d’admiration véritable pour l’œuvre colossale de MM. Bienvenüe et Maréchal.

Beaucoup de monde à l’ouverture de la voie, hier, vers une heure, dans la petite gare de départ de la porte Maillot. Un petit édicule, installé sur le trottoir de l’avenue de la Grande-Armée, la surmonte, en rotonde ; il apparaît très élégant, avec sa couverture en verre, d’un dessin si original : on dirait un parapluie retourné par l’orage ! Quelques marches et nous voici dans la gare, simple et coquette. Une bibliothèque où l’on fait gratuitement le change, entre les journaux ; un bureau à grillage derrière lequel s’entrevoit, souriant, le minois accorte d’une jolie préposée aux billets, et c’est tout.

Pas cher, le prix du voyage Pour tout le trajet, 25 centimes, en première ; 15 centimes en seconde. Une si bonne fraîcheur, ici, accueille et repose les arrivants harassés par la chaleur du dehors qu’un même cri s’élève : « Délicieux ! Comme il fait bon ici ! C’est à y passer ses vacances !... »

Quelques marches encore pour descendre sur la voie, et le refrain change. Un tel courant d’air vous fouette à la face, un froid si subit et si pénétrant vient des tunnels — largement étendus devant vous — que des « hum ! hum ! » s’éraillent dans les gorges délicates. Il y a du rhume dans l’air ! En vareuse noire à liséré rouge, avec un M brodé au collet, entre des palmes, les employés s’empressent. Avec une obligeance parfaite — faites qu’elle continue, mon Dieu ! — ils renseignent les voyageurs. « Oui, monsieur, le train part dans trois minutes. — Vous avez froid ? C’est qu’au dehors, il y a une telle température, madame ! À mesure qu’elle diminuera, le froid dont vous vous plaignez, deviendra ici négligeable ! — Il n’y a rien à craindre, d’ailleurs, pour-votre gorge, mademoiselle... »

Rassurés, les voyageurs écarquillent les yeux pour voir. Devant eux ils ont, prolongé loin, loin, jusque dans le noir, un trottoir, celui où ils marchent. À droite et à gauche, une large fosse, cimentée. Là, sont posés les rails de chaque voie, plus un troisième rail, surélevé et énorme. C’est celui qui charrie, sur tout le parcours, les 600 volts du courant continu, et qui assurera, quand tout sera en train, le courant triphasé à 5 000 volts et à 25 périodes, venu de l’usine du quai de La Rapée.

Quelques voyageurs se penchent pour mieux voir. Un employé se précipite : « Prenez garde de tomber, sapristi ! Il y a du courant électrique sur les lignes. Les toucher, ce serait la mort !... » Quand on parle de mort, on est sûr que les curieux se reculent. Ils n’y manquent pas. Aussi bien, voila le train sous la haute voûte — elle s’élève sur six ou sept mètres ! — en grès cérame embriqué, où la lueur des lampes électriques se brise en reflets irisés : « En voiture, mesdames et messieurs ! »

Le Métropolitain de Paris en 1910

Le Métropolitain de Paris en 1910

Elles sont très bien, les voitures du Métropolitain. Elles ont toutes de neuf à dix mètres de long sur trois mètres trente de hauteur. Chaque train en charrie trois, pour l’instant. La première porte en tête une sorte de cage en verre. Là deux hommes : le chef de train et son second. L’un d’eux a la main sur le régulateur, et l’autre veille au frein. Les deux hommes rient, heureux de cette inauguration par M. Tout-le-Monde.

La foule s’engouffre dans les wagons. Dans le premier, celui qui porte les moteurs Westinghouse — ils sont de la force de 100 chevaux chacun —, il n’y a que des places de seconde. Le suivant est une voiture de 1re classe. Le dernier, une voiture mixte : 1re et 2e classes mélangées. Elégantes et vernies, elles portent, à l’extérieur, sur un fond d’or, l’écusson bleu et rouge de Paris. À l’intérieur, des banquettes de bois cannelé en secondes ; des sièges suffisamment rembourrés, sous leur cuir rouge, en premières... Les unes et les autres séparées en deux groupes par un couloir de milieu. Tout ceci propre, joli, coquet.

Pendant que nous roulons, à une vitesse d’abord modérée, puis peu à peu accélérée, l’employé — on l’a bien stylé, celui-là — y va de sa petite explication : « La ligne, messieurs, commence en réalité de l’autre côté, à 10 mètres environ du chemin de feu de Vincennes... » Après avoir suivi le cours de Vincennes, traversé la place de la Nation, longé le boulevard Diderot et la rue de Lyon... Ici, elle s’infléchit, oui, madame ! elle reparaît au jour boulevard de la Bastille. Mais ça ne dure pas. Boulevard Bourdon, elle repique une tête sous terre, décrit une courbe en S dans la rue Saint-Antoine, traverse de biais la place de la Concorde, pénètre de nouveau, par une courbe immense, dans l’avenue des Champs-Élysées, contourne la place de l’Étoile, et finit à la porte Maillot, à vingt mètres de la porte. »

D’autres détails suivent qu’interrompt, bruyante et colorée, la vision rapide d’un train qui nous croise. « A l’heure actuelle, messieurs, huit trains, sur les deux voies, se succèdent toutes les cinq minutes. Bientôt, il y en aura seize. »

Et l’accident d’avant-hier ? L’employé sourit, méprisant : « Des blagues, tout cela ! » Il est très écouté, l’employé. Des gens, la mine tendue, essayent de se représenter l’itinéraire. À mes côtés, une brune piquante — très piquante, avec son teint doré, ses yeux longs, l’énorme masse de cheveux bruns qui casque son visage, et la robe échancrée très bas sur un cou blanc — sourit tout le temps. La vitesse du train l’amuse, et elle a une exclamation joyeuse quand on crie : « Les Champs-Élysées ! »

Éclatante de lumière, la gare resplendit. Sur le quai, de nombreux voyageurs courent. Ils ne veulent pas manquer le train, bien qu’il y en ait un toutes les cinq minutes... Ils se pressent aux deux- portes ménagées aux deux bouts du wagon. Les voilà, curieux, ravis, un peu gênants. Dame, dans ces voitures, debout ou assis, on ne devrait être que 35 à 40, et nous sommes déjà près de 50 ! Une consolation cependant : il fait moins froid que tout à l’heure.

« Le Palais-Royal ! » Déjà ? Nous pensions ne point être repartis. De la porte Maillot aux Champs-Élysées nous avons mis 8 minutes à peine. Et en 3 minutes, nous atteignons le Palais-Royal. C’est purement admirable !

Quelques voyageurs font cependant remarquer que nous brûlons des gares indiquées sur le parcours. C’est qu’elles ne sont pas terminées. Une surtout doit être merveilleuse, celle de l’Étoile. Elle est triple : trois gares seront, là, superposées : la station du tronçon de la porte Dauphine, la station de la place du Trocadéro et la station de la grande ligne...

Allons, nous verrons cela une autre fois ! Je m’aperçois, en attendant, que nombre de voyageurs guignent ma jolie voisine avec plus d’attention que la ligne. Et pourtant, de quel intérêt n’est point celle-ci avec ses courbes audacieuses, ses voûtes en demi-ellipses ou revêtues d’un tablier métallique... Au passage du train — et tels des éclairs aux approches d’un orage — de grandes étincelles bleuâtres flamboient sur la ligne...

Gare de la Bastille du Métropolitain de Paris

Gare de la Bastille du Métropolitain de Paris

« L’Hôtel de Ville ! » Grouillement de monde. Les uns montent, les autres descendent pendant la demi-minute d’arrêt, sous la voûte étincelante. Cette gare, illuminée de lampes à arc, est, avec la gare de Lyon et la gare des Champs-Élysées, la plus spacieuse du parcours. Mais que de stations intermédiaires n’avons-nous pas brûlées ! À ma prière, le conducteur me tend un bout de papier, et je transcris, pour vous, la liste complète des dix-huit stations qui s’échelonneront entre la Porte Maillot et Vincennes :

La porte de Vincennes, la place de la Nation, la rue de Reuilly, la gare de Lyon, la place de la Bastille, Saint-Paul, l’Hôtel-de-Ville, le Châtelet, le Louvre, le Palais-Royal, les Tuileries, la place de la Concorde, les Champs-Élysées, la rue Marbeuf, l’avenue de l’Alma, l’Étoile, la rue d’Obligado et la porte Maillot. Embranchements : de l’Étoile à la porte Dauphine et de l’Étoile au Trocadéro.

Une grande lumière envahit le wagon. Les femmes clignent des yeux, un instant surprises. Nous voici à la Bastille, plein air et en plein soleil. « Comme on va vite, monsieur, dit la jolie femme, qui rit aux secousses du train, à son voisin. » Je vous crois ! De l’Hôtel de Ville à la Bastille, 4 minutes à peine. Et de la station ensoleillée — la seule sortie de dessous terre — à Vincennes, en passant par la gare de Lyon, d’une si belle ordonnance, et la place de la Nation, 6 minutes suffisent. Soit au total, pour les treize kilomètres du trajet complet, 27 minutes. Je le crois qu’on va vite ! N’empêche qu’à l’observation de la jolie femme, le monsieur a répondu — est-ce fadeur, niaiserie ou impertinence ? — « On ne va jamais assez vite, madame. »

Que lui faut-il à celui-là ? « Vincennes ; tout le monde descend ! » Nous voici arrivés. Le train s’arrête, en face d’un escalier où les voyageurs, satisfaits, grimpent, après avoir jeté les tickets dans une sorte de tronc en bois, puis, vide, il disparaît derrière une rotonde, par laquelle il vient se replacer de l’autre côté du cours de Vincennes, sur la gare du départ...

Un même cri échappe à tous, sur l’escalier par où l’on remonte au jour : « Quelle chaleur !... C’est atroce ! » On se croirait, en. effet, à la gueule d’un four : un vent chaud vient sur nous, puant et torride. Dehors, c’est l’habituel décor de banlieue ; des arbres gris de poussière et les petits murs sales des propriétés particulières. Par là-dessus, un soleil implacable. Où se réfugier ? Parbleu d’où nous venons. Il y a justement un train qui repart.

Et nous sommes bien une cinquantaine qui redégringolons dans le Métropolitain !... Voilà un succès de plus, que n’avaient pas prévu les ingénieurs !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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