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Enseignement laïque : volonté de dresser un tableau noir du passé ?
(Extrait de « La Terre mancelle », paru en 1905)
Publié le mercredi 17 mai 2017, par Redaction
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En 1905, quelques mois avant l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État, un jeune instituteur déclame, lors de la fête de l’enseignement laïque se déroulant à Évron (Mayenne), quelques vers portant aux nues une République libératrice et pétris des légendes noires martelées alors au sujet des siècles passés...
Publiés dans La Terre mancelle et présentés sous le titre La liberté par l’instruction, l’esclavage par l’ignorance, les vers ont pour auteur « un jeune instituteur » appelé Eugène Guideau, et s’inscrivent dans la bataille idéologique sévissant alors, à la veille de la promulgation de la désormais célèbre « loi 1905 » :
Et ceci se passa pendant dix-huit cents ans : Les Romains écrasés, les Barbares défaits, Les rivaux de Clovis assassinés, les Francs S’implantèrent chez nous pour prix de leurs hauts faits ? Le maître avait changé, mais non la servitude ; Ce fut un défilé tour à tour effrayant, Belliqueux, aveuli, parfois lier, toujours rude, De rois, de chevaliers à l’écu flamboyant. Puis l’unité se fît dans la caste insolente Et le blason royal porta la fleur de lys, Et la fleur en stylet, la fleur aux triples plis Pesa comme une croix sur la masse tremblante !
La masse, c’était nous, pour dire nos aïeux, Multitude sans noms autres que ceux d’esclaves, Troupeaux mourant de faim, décrépits, lépreux, hâves, Adorant les seigneurs, le roi, comme des dieux ! A la glèbe attachés tels des bêtes de somme, C’étaient les roturiers, c’était Jacques Bonhomme ! Homme de corps ou serf, cela valait-il mieux ? Comment vouliez-vous qu’il secouât son martyre ? Bonhomme ne savait pas lire !...
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Prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Illustration publiée dans Histoire de France (Tome 1) de Gustave Gautherot, paru en 1934 |
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On l’employait à tout : à creuser des sillons, A bâtir des donjons, à courir à la guerre ! Sans cesse du labeur !... le repos n était guère ! L’été, l’hiver, vêtu de lambeaux de haillons, Il battait les fossés pour que la châtelaine Pût sommeiller à l’aise en sa mante de laine. Lui, dans la nuit frappait grenouilles et grillons ! Comment vouliez-vous qu’il secouât son martyre ? Bonhomme ne savait pas lire !...
Quoiqu’il fût miséreux il devait à son roi La taille, et la corvée au seigneur, puis la dîme Au saint abbé du lieu ! On lui faisait un crime D’un délit et la mort était la seule loi ! Choix ravissant : gibet, brodequins, eau bouillante, Plomb, carcan d’in-pace, croc, roue écartelante, Et l’Inquisition pour éprouver sa foi... Comment vouliez-vous qu’il secouât son martyre Bonhomme ne savait pas lire !..
Un jour il se lassa d’être seul à souffrir, De voir ses oppresseurs princiers toujours en fête. Héroïque et farouche il releva la tête Et prit un fier mot d’ordre : être libre ou périr ! Il s’arma pour la lutte ; alors ce fut terrible : Lui, qui n’avait touché que l’araire ou la faulx. Démolit la Bastille, éleva l’échafaud, Et se servit partout des châteaux comme cible.
Certes, il dut clamer au fracas des canons : « Baron, prince, marquis, tous titrés aux grands noms Comte au sombre manoir qui masque une oubliette, Vous allez expier vos forfaits monstrueux ! L’histoire en gardera des souvenirs fameux, Bourreau fais ton office : Allons !... dans la lunette ! » Et les têtes tombaient !... c’est un livre de sang Ecrit du couperet et dont le spectre pèse Que l’évocation de l’an : quatre-vingt-treize, Pardonnons ! le Vengeur gémit dix-huit cents ans.
Or, un siècle a passé depuis cette hécatombe : Il a vu défiler l’ogre Napoléon, Les monarques déchus et l’ombre de l’aiglon. Mais le règne autocrate est muré dans la tombe. Il a vu les sabreurs conduire le pays, De défaite en défaite, à la ruine finale Et dans le tourbillon d’une charge fatale Engouffrer à la mort les plus forts de ses fils !
Il a vu ce que vaut le serment d’un despote, Ce qu’un peuple ignorant fait de la liberté S’il laisse indolemment flatter sa vanité, Puis comment le tyran l’écrase sous sa botte ! Il a vu fusiller des femmes, des enfants, Dans la rue ! et cela pour l’homme de Décembre ! Et, tandis que le deuil régnait dans chaque chambre, Les soudards de Mandrin, ivres et triomphants, Recomptaient leurs louis d’or, salaire de leur crime !...
Depuis trente-quatre ans la honte a disparu, Et le soleil de paix radieux a paru, Tel l’astre éblouissant qui dore chaque cime. Le Français, à présent connaît mieux son devoir : Etre juste, être bon, être loyal, SAVOIR !... SAVOIR est le grand mot proscrit sous les empires ; Son essence est divine ! aussi ne laissons pas Un si pur diamant se perdre sous nos pas !
On devrait l’incruster au sommet des porphyres Et répéter sans cesse aux petits écoliers Que le savoir créa l’entière indépendance, Qu’il change en un plomb vil couronnes et colliers Et qu’enfin à lui seul il a sauvé la France ! Dès lors nous lui devons notre reconnaissance, Nos droits de citoyens, notre plus cher bonheur, Notre sécurité, nos rêves, notre honneur !
C’est un gouvernement d’idéale justice Qui fit robuste et sain l’enseignement factice Donné par l’arbitraire au peuple encore bâté ! Mais de la nuit des temps jaillit la vérité ! Affirmons donc bien haut ce courage civique De crier d’une voix : « Vive la République ! »
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