LA FRANCE PITTORESQUE
16 mai 1364 : bataille de Cocherel
et victoire de Bertrand Du Guesclin
sur les troupes de Charles le Mauvais
(D’après « Victoires, conquêtes, revers et guerres civiles des Français
depuis les Gaulois jusqu’en 1792 » (Tome 4), paru en 1822)
Publié le lundi 16 mai 2022, par Redaction
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En guerre contre le royaume de France depuis son échec à obtenir le duché de Bourgogne, Charles le Mauvais profite de la mort de Jean le Bon, survenue le 8 avril 1364, pour relancer les hostilités, en coupant la route de Reims de façon à empêcher le couronnement du nouveau roi Charles V
 

Charles le Mauvais, roi de Navarre et petit-fils de feu Louis X le Hutin, roi de France, n’avait pas obtenu la succession du duché de Bourgogne en 1361, lequel avait été confié à Philippe le Hardi, fils du roi de France Jean II le Bon. Mais ce dernier venant à mourir le 8 avril 1364, Charles le Mauvais espérait trouver quelque facilité à renouveler les troubles du royaume afin d’empêcher le sacre du nouveau roi Charles V, et comptait sur les secours des Anglais, qui lui en refusèrent, ou du moins qui ne lui en fournirent que secrètement ou fort peu.

Les intrigues et l’acharnement de ce prince durent céder au génie de Du Guesclin. Le règne de Charles V s’ouvrit par une victoire éclatante. Le roi de Navarre, qui avait rassemblé une armée en Normandie, tenait encore, dans les environs de la capitale, Mantes, Meulan, et le château de Roulleboise. Ces places, situées entre Paris et Rouen, en interceptaient les communications. Peu de jours suffirent à Du Guesclin pour s’emparer de Mantes par surprise, de Meulan et de Roulleboise par la force, et pour rendre libre la navigation de la Seine.

Le connétable Bertrand Du Guesclin à la bataille de Cocherel. Illustration réalisée à l'occasion de l'émission, le 18 novembre 1968, d'un timbre de la série Grands noms de l'histoire

Le connétable Bertrand Du Guesclin à la bataille de Cocherel. Illustration réalisée à l’occasion
de l’émission, le 18 novembre 1968, d’un timbre de la série Grands noms de l’histoire

Ces premiers succès, en ranimant toutes les espérances de Charles V, auraient entièrement découragé le Navarrois, si le captal de Buch, Jean de Grailly, au service des Charles le Mauvais, ne fût arrivé dans le même temps avec quatre cents lances de renfort, et n’eût pris le commandement des troupes de ce méchant prince. L’armée navarroise, conduite par ce nouveau chef, ne tarda pas à marcher à la rencontre de l’armée française, et les deux partis se trouvèrent en présence près de Cocherel (Hardendourt-Cocherel), village situé sur la rivière d’Eure, à trois lieues d’Évreux, en Normandie.

Les forces étaient à peu près égales : Grailly et Du Guesclin, tous deux les meilleurs capitaines de leur temps, éprouvaient le même désir d’en venir aux mains ; mais le captal, prenant l’avantage de la position, établit ses troupes sur une colline qui dominait la plaine où l’armée française se trouvait rangée en bataille. Du Guesclin, ainsi prévenu par cette manœuvre, aussi promptement exécutée qu’habilement conçue, résolut de la rendre inutile. L’expérience des batailles de Crécy et de Poitiers lui avait révélé tout le danger d’attaquer de front un adversaire favorisé par le terrain ; et il voyait, par les dispositions du captal, que celui-ci comptait d’avance sur l’ardeur imprudente des Français.

En effet, Jean de Grailly, après avoir partagé ses troupes en trois corps de bataille, avait garni d’archers son front de bandière, déjà couvert en partie par des haies et quelques broussailles, et, dans un hallier un peu en arrière de sa première ligne, il avait fait placer, sous la garde de soixante hommes d’armes, l’étendard royal de Navarre pour y rallier ses troupes pendant la mêlée.

Ces remarques faites, Du Guesclin manœuvra comme si son intention eût été d’abandonner le champ de bataille. Aux premières démonstrations de ce mouvement rétrograde, l’armée ennemie demanda à grands cris qu’on la conduisît à la poursuite des Français. « Ne voyez-vous pas qu’ils fuient, disaient la plupart des officiers au captal. — Vous vous trompez, répondit le prudent Grailly, jamais Du Guesclin n’a fui en présence de l’ennemi ; c’est un stratagème, retenez les troupes, restons sur nos gardes. »

Il n’était plus temps. Emportées par leur ardeur, sourdes à la voix de leurs chefs, une partie des troupes navarroises s’était déjà précipitée de la colline. Les premiers assaillants trouvèrent l’armée française en bataille. Du Guesclin venait d’arrêter ses troupes de pied ferme, et de les former face à l’ennemi. « Le filet est bien tendu, dit-il aux chefs, nous aurons les oiseaux ; pour Dieu, souvenez-vous, amis, que nous avons un nouveau roi en France : que sa couronne soit aujourd’hui étrennée par vous ; pour moi, j’espère donner le captal de Buch à mon souverain pour étrennes de sa noble royauté. »

Le capitaine anglais Jean Joüel, commandant l’avant-garde de l’armée ennemie, engagea l’action par les archers qui faisaient partie de cette armée. Les Français, bien couverts par leurs boucliers, repoussèrent sans grands efforts cette première attaque. Devenus assaillants à leur tour, ils enfoncèrent successivement les deux autres corps de bataille. Le succès ne fut pas longtemps douteux ; la victoire couronna la valeur des soldats de Charles V et l’habileté de leur digne chef. Un des corps ennemis, enveloppé de toutes parts, fut forcé de mettre bas les armes en entier. Jean de Grailly et ses principaux officiers se trouvèrent au nombre des prisonniers.

À la bataille de Cocherel, Du Guesclin fait prisonnier le captal de Buch. Lithographie couleur parue dans Histoire de Bertrand Du Gusclin de Théodore Cahu (1900), d'après le dessin de Paul de Sémant

À la bataille de Cocherel, Du Guesclin fait prisonnier le captal de Buch. Lithographie couleur parue
dans Histoire de Bertrand Du Guesclin de Théodore Cahu (1900), d’après le dessin de Paul de Sémant

Ce triomphe mémorable rendit aux Français toute leur confiance guerrière. Depuis trente ans, ils avaient désappris à vaincre ; mais, à la voix de Du Guesclin, l’honneur national venait de se réveiller, et l’amour de la gloire embrasa de nouveau tous les cœurs. Après la bataille de Cocherel, Du Guesclin acheva de soumettre la Normandie. Le château de Valogne lui coûta seul quelque peine à réduire ; mais il réussit à s’en rendre maître.

Le roi de Navarre, comprenant enfin qu’il n’avait plus affaire à un général inhabile ou disposé à se laisser gagner, à un roi sans énergie, fut forcé, l’année suivante (1365), non seulement de redemander la paix qu’il avait si souvent rompue, mais encore de respecter les nouveaux engagements contractés, au moins pendant quelque temps. Les troupes anglaises qui avaient combattu en Normandie pour le roi de Navarre, furent envoyées par Édouard d’Angleterre au comte de Montfort, en Bretagne, en même temps que Charles V ordonnait à Du Guesclin d’aller renforcer le parti de Charles de Blois.

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