LA FRANCE PITTORESQUE
1er mai 1878 : inauguration
de l’Exposition universelle
à l’occasion de laquelle a été
érigé le palais du Trocadéro
(D’après « Le palais du Trocadéro : le coteau de Chaillot, le nouveau
palais, les dix-huit mois de travaux, renseignements techniques » paru en 1878
et « Frédérick Gersal raconte Paris :
110 lieux mythiques » (par Frédérick Gersal) édition de 2016)
Publié le dimanche 1er mai 2022, par Redaction
Imprimer cet article
Pressenti par Napoléon pour y accueillir un palais impérial après avoir été successivement manoir féodal, habitation royale, seigneuriale et bourgeoise, lieu de plaisir, asile de retraite religieuse ou encore nécropole de souverains détrônés, Chaillot, village du Moyen Age, n’est destiné à recevoir du public qu’à la fin du XIXe siècle
 

En 1878, ce qui est alors le nouveau palais du Trocadéro s’élève sur le coteau de l’ancien village de Chaillot, dans la partie la plus pittoresque du tournant de la Seine et absorbe, au delà de ses limites, l’ancienne seigneurie de ce nom. Cette situation, à l’exposition du sud-est pour sa face principale, dominant la campagne avoisinante et commandant le cours du fleuve en aval et en amont, devait désigner ce point topographique des environs de Paris comme un emplacement privilégié pour y élever des constructions répondant aux habitudes et aux mœurs successives des temps.

Le Trocadéro fait partie du sol de l’ancien village de Chaillot, dont la première trace date du XIe siècle. Ce village appartenait à une région qui au VIIe siècle s’étendait jusqu’à Boulogne, le bois compris, et portait le nom de Nimio. Le roi Clotaire II (613-629) avait donné tout ce territoire à l’Église de Paris. L’abbé Leboeuf estime que les habitants de Nimio, plus tard Nijon, par corruption, s’écartèrent, les uns vers les sources et marais, tandis que les autres se rapprochèrent de Paris, en se dirigeant vers l’est dans la partie où l’on avait abattu l’extrémité de la forêt de Rouvray ou de Boulogne. Ce dernier lieu prit le nom de Chal ou Chail, mot celtique signifiant Destructio arborum. Deux villages furent ainsi formés des débris de Nijon, dont l’un fut Auteuil et l’autre Chaillot.

Palais du Trocadéro lors de l'Exposition universelle de 1878

Palais du Trocadéro lors de l’Exposition universelle de 1878

Le territoire de Chaillot consistait alors en quelques vignes et jardinages avec des terres labourées. Au sommet du coteau, l’aspect était fort séduisant ; on y apercevait, d’un côté, Paris et, de l’autre, le bois de Meudon. La physionomie de la ville est changée, les horizons de la campagne se sont transformés ; l’art et la nature se sont partagé tour à tour l’attention de l’observateur et de l’artiste.

Après la Révolution, durant laquelle les divers bâtiments qui s’y trouvaient alors furent employés à divers usages au service de la nation, ces derniers furent démolis pour donner place au projet de Napoléon. L’empereur avait chargé ses architectes Percier et Fontaine de trouver à Lyon un emplacement digue de lui élever un palais ; mais les difficultés de trouver dans cette ville un sol qui ne fût ni sujet aux inondations ni malsain, les ayant rejetés sur la montagne de Sainte-Foi, firent longuement discuter le projet. D’autre part, les événements politiques, qui se précipitaient, avaient fait abandonner Lyon comme centre du gouvernement impérial.

C’est alors que les deux artistes proposèrent un emplacement à Paris. « ... Nous proposâmes en échange un autre lieu aux portes de Paris dans la plus belle exposition connue, la montagne de Chaillot, en face de l’École militaire, et bientôt, après quelques légères hésitations, notre proposition fut agréée. Les maisons, les terrains nécessaires ont été de suite achetés sur estimations faites à l’amiable, non sans difficultés de la part des vendeurs, avec lesquels il était ordonné de traiter comme auraient fait des particuliers entre eux. »

Le palais dont Percier et Fontaine avaient ordre d’assurer l’exécution avait une étendue de 430 mètres de large en façade sur le quai de Billy, c’est-à-dire exactement les dimensions du palais du Trocadéro qui fut élevé pour l’Exposition universelle de 1878. Le château de la Petite-Muette, englobé dans le palais, en devenait la vénerie, et de vastes constructions, entre le parc et le bois, contenaient une faisanderie et une ménagerie impériales. Les parterres entourant le palais étaient joints à l’avenue de Neuilly, à l’Arc de Triomphe et à la grande route de Saint-Germain par de vastes avenues rectilignes plantées d’arbres. De l’autre côté de la Seine, le Champ de Mars et l’École militaire étaient complétés par deux casernes, cavalerie et infanterie, un hôpital militaire et un palais d’archives, symétriquement placés aux angles du champ de manoeuvres ; tandis que, latéralement aux bâtiments de Gabriel, on avait disposé des édifices pour les écoles d’art et d’industrie. L’Université elle-même avait sa place dans ce projet, dont le coteau de Chaillot avait été la raison d’être.

Cet ensemble était grand, majestueux, digne d’un souverain comme Napoléon, mais il fallait du temps pour le réaliser, et les événements marchaient plus vite que ces oeuvres de patience et de paix qu’on appelle des édifices. La désastreuse campagne de Moscou vint tout suspendre. Le palais que Napoléon avait placé sous l’invocation de son fils, en lui donnant le nom de palais du roi de Rome, était à peine aux fondations, lorsque l’ordre fut donné aux architectes de restreindre les dépenses et aux ministres de réserver une partie des crédits ouverts, pour faire face à de nouveaux combats.

Ce ne fut que l’année suivante, en 1813, après la défaite de Leipzig, que les constructions de Chaillot, le palais d’un souverain devint... « un petit Sans-Souci, une retraite de convalescent » ; en s’exprimant ainsi, Napoléon, après les deux revers consécutifs qu’il venait d’éprouver, voulut probablement trouver dans le sort de Frédéric le Grand, quoique bien différent, quelque chose d’analogue au sien.

Mais les projets du Sans-Souci de Napoléon étaient à peine achevés et approuvés, les travaux de terrassement repris, que la prise de Paris, l’abdication de l’empereur et son exil à l’île d’Elbe mirent fin à toutes les illusions et à toutes les espérances. Pendant les Cent-Jours, quelques ouvriers furent occupés à continuer les terrassements et les fouilles du palais, mais, comme le disent Percier et Fontaine, il leur fut impossible de retrouver « les illusions du rêve qui venait de finir ».

Le gouvernement de la Restauration ne devait pas reprendre les travaux du palais projeté. Les Tuileries devaient suffire à ce gouvernement traditionnel ; là où Louis XIV avait habité pouvait vivre Louis XVIII, mais une fêle nationale vint, en 1826, ramener l’attention sur le coteau de Chaillot et lui donner le nom qu’il porte aujourd’hui, celui de Trocadéro.

Le gouvernement avait décidé que l’ancien emplacement du palais du roi de Rome serait affecté à une caserne. Cet édifice était l’un des plus importants que la Restauration eût encore entrepris. Il fut arrêté que la pose de la première pierre se ferait solennellement. On fixa un programme : il consistait clans la cérémonie principale, précédée du simulacre du combat de la prise du fort de Cadix, appelé Trocadéro, et dont la reddition avait mis fin, d’une façon glorieuse pour nos armes, à la campagne d’Espagne. On choisit pour date de cette fête guerrière le troisième anniversaire de la prise du Trocadéro par le duc d’Angoulême, c’est-à-dire le 31 août 1826.

Sur l’endroit où devait être posée la première pierre, c’est-à-dire au sommet de la seconde terrasse, on avait élevé un arc de triomphe de cent pieds de hauteur. Des bas-reliefs y simulaient les actes importants de la vie du duc d’Angoulême ; cinq figures y représentaient les principales villes d’Espagne, et deux trophées et un quadrige, portant la France entre deux Renommées, couronnaient le monument.

Le dauphin et la dauphine, les ministres, le corps diplomatique, les principaux fonctionnaires de la cour et du gouvernement avaient été placés sous des tentes disposées sur des tertres élevés à droite et à gauche de remplacement de la caserne. Le Champ de Mars avait été préparé pour y recevoir les invités privilégiés et toute la population de Paris, qui pouvait être contenue dans son développement.

Palais du Trocadéro de l'architecte Davioud, élevé pour l'Exposition universelle de 1878

Palais du Trocadéro de l’architecte Davioud, élevé pour l’Exposition universelle de 1878

A neuf heures, le simulacre du combat commença, et dix bataillons de la garde royale firent un feu de mousqueterie, soutenus par des pièces de canon. D’autres bataillons, postés sur la rive opposée et appuyés également par de l’artillerie, répondirent à ce feu ; après un quart d’heure d’engagement, les assaillants, formés en colonnes d’attaque, eurent traversé le pont et enlevé les quais de la rive droite. C’est après ce simulacre de combat que le dauphin et la dauphine posèrent la première pierre de la caserne, avec l’accompagnement obligé de feux de Bengale et de feux d’artifice.

En 1830, la caserne n’était pas bâtie, mais le nom de Trocadéro, qui avait été donné au coteau de Chaillot, fut maintenu par le gouvernement de Juillet. Les rampes de Chaillot, ou plutôt du Trocadéro, telles que les avaient faites le palais inachevé du roi de Rome et la caserne interrompue des Bourbons, furent maintenues pendant longtemps dans un état de ruine pittoresque que la nature s’était chargée d’embellir par de vigoureuses végétations.

Les contemporains se souvenaient de ce plateau élevé, situé entre la barrière Sainte-Marie et la barrière Franklin, auquel on parvenait par des escaliers bordant le nouveau chemin de Passy, celui qu’on avait percé dans le chemin de ronde, côté nord de l’ancien couvent des Bons-Hommes. On avait également en mémoire ces matériaux abandonnés, ces murs à moitié démolis portant encore quelques restes des constructions du XVIIe siècle du maréchal de Bassompierre et de l’architecte Mansart pour les dépendances du couvent de Chaillot, et ces épures tracées sur les murs du chemin de ronde par les ouvriers qui se disposaient à tailler la pierre, pour édifier les constructions du palais d’un souverain. L’histoire de ce coin de Paris pouvait se résumer dans ce spectacle : des ruines et des projets ; quelque chose avait été, et la volonté, le temps ou la sécurité avaient empêché que quelque chose ne fût.

Mais le second Empire vint et avec lui la transformation de Paris, oeuvre gigantesque qui sera l’honneur de l’administration municipale de cette époque. L’annexion des faubourgs de Paris à la capitale était dans l’esprit général et décidée depuis longtemps ; on avait compris que le beau quartier de Passy était séparé par une zone inhabitée qui devenait un obstacle à son développement. Tout le monde comprenait qu’en face de cette splendide salle de réunion populaire, ayant pour voûte le ciel, qu’on appelle le Champ de Mars, il manquait une scène, et l’administration fit étudier des projets pour créer vis-à-vis de l’ancien Champ de la Fédération un autre espace découvert permettant aux habitants d’une ville comme Paris de devenir tour à tour acteurs ou spectateurs dans les fêtes nationales.

On résolut donc, dès 1856, de transformer les ruines de Chaillot en amphithéâtre d’une pente régulière, du quai à l’ancienne barrière de Longchamps, et d’étendre la place projetée non seulement à toute la surface acquise pour le palais du roi de Rome, mais à la largeur même du Champ de Mars. Le rond-point de la place du Roi-de-Rome fut tracé, ainsi que les avenues de l’Empereur, d’Iéna, du Roi-de-Rome et de Malakoff. Seul le cimetière de Passy était un obstacle, car il constituait une zone de terrain que l’expropriation ne peut toucher et que le temps seul peut permettre de transformer.

Les projets de 1856 ne consistaient pas seulement dans la création d’une place, ils comportaient l’érection d’un monument à la gloire de la jeune armée d’Italie, celle qui venait de remporter les victoires de Solférino et de Magenta ; une colonne monumentale devait y être élevée, dont les dimensions eussent surpassé tout ce qu’on avait fait de plus grand jusqu’ici ; au pied de ce monument, une abondante fontaine et une vaste cascade devaient transformer l’ancien coteau de Chaillot, y permettre des ombrages et y entretenir de la verdure et la fraîcheur.

Nous ignorons à quelle circonstance ce projet dut de ne pas être suivi d’exécution ; mais, en 1865, une Exposition universelle venant d’être décrétée, et le Champ de Mars ayant été choisi comme terrain d’exhibition, l’administration municipale d’alors, à la tête de laquelle le baron Haussmann était encore, comprit que les deux opérations, celle de la construction d’un palais de l’industrie dans la plaine militaire et l’abaissement des buttes de Chaillot, pouvaient se prêter un mutuel secours ; il y avait, en effet, d’un côté, de vastes remblais à faire pour niveler convenablement le Champ de Mars, et, d’autre part, une masse considérable de terres à enlever et à replacer dans un lieu voisin.

En conséquence, des rails furent établis sur le pont d’Iéna, et la terre du jardin des Visitandines, les débris des murs de leur couvent furent transportés par la vapeur sur l’ancien sol du Champ de la Fédération ; peu à peu, les projets des ingénieurs apparurent, et l’on vit surgir, au moment de l’Exposition, de grands parterres de verdure, bordés de fleurs, ayant dans la partie haute la forme d’un éventail coupé au milieu par un grand perron en marches de granit, conduisant à la place du Roi-de-Rome.

Les parterres inférieurs, ceux près du quai avaient leurs contours déterminés par des avenues et des voies carrossables, destinées à rendre commode l’accès du seizième arrondissement ; malheureusement, si les promeneurs franchissant le sommet du coteau jouissaient d’un beau point de vue, puisqu’ils dominaient le cours du fleuve, l’aspect du Trocadéro, pris du pont d’Iéna, était sans charmes ; de vastes parterres, bien entretenus de fleurs et de candélabres, terminés par un horizon de masures et par les murs d’un cimetière aux arbres verts significatifs, ne pouvaient constituer un élément d’attraction.

Aussi, le Champ de Mars ayant de nouveau été choisi pour l’emplacement de la troisième Exposition universelle, le programme du concours de mai 1876 comporta-t-il l’utilisation du Trocadéro et l’étude de constructions capables de compléter la décoration de cette partie de la capitale. Le programme du concours, qui précédait la rédaction définitive du projet, demandait aux concurrents une salle de concerts et de réunions publiques, entourée de portiques ou galeries.

Le programme verbal qui fut donné aux architectes, lors de l’étude du projet définitif, indiquait en plus deux vestibules entre la place du Trocadéro et les jardins intérieurs, avec salles de conférences au-dessus. Les architectes durent donc ajouter à leur composition primitive ces vestibules et ces salles de conférences, le surplus restant le même dans son ensemble.

Palais de Chaillot, vu depuis la tour Eiffel

Palais de Chaillot, vu depuis la tour Eiffel et remplaçant l’ancien Palais du Trocadéro

L’architecte Gabriel Davioud imagine un bâtiment de style mauresque au sommet de la colline : une rotonde entourée de deux tours et de deux minarets. Pour décorer la tribune d’honneur du palais, une multitude de sculptures sont installés, dont six représentations féminines des différents continents et quatre sculptures d’animaux. Durant plus d’un demi-siècle, le palais du Trocadéro, qui accueille notamment le musée des Monuments français et le premier musée d’Ethnographie, va surplomber la Seine.

À l’occasion de la nouvelle Exposition universelle de 1937, il va offrir sa place et une partie de son ossature à un nouveau bâtiment, le palais de Chaillot. On détruit l’ancien édifice, mais en conservant les ailes majestueuses qui se déploient face à la Seine. À la place, on conçoit une immense esplanade sous laquelle est installé un théâtre (l’actuel théâtre national de Chaillot). De part et d’autre sont construits deux grands pavillons surmontés de sculptures monumentales en bronze représentant, sur l’un, Les Éléments et, sur l’autre, Les Connaissances humaines — c’est-à-dire l’Art et l’Industrie. Ce chantier important est confié aux architectes Jacques Carlu, Louis Boileau et Léon Azéma qui utilisent du calcaire doré de Massangis (dans l’Yonne) pour décorer l’extérieur du bâtiment.

Depuis, le palais accueillit différents musées consacrés aux arts et aux sciences. On y trouve aujourd’hui le musée de l’Homme, le musée de la Marine, ainsi que la Cité de l’architecture et du patrimoine. Quant au Trocadéro, il ne désigne plus désormais que la place et les jardins qui couvrent les pentes de la colline de Chaillot.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE