LA FRANCE PITTORESQUE
28 avril 1922 : mort de Paul Deschanel,
ancien président de la République
(D’après « Le Gaulois », paru en 1922)
Publié le jeudi 6 avril 2017, par Redaction
Imprimer cet article
Galant homme, lettré plein de savoir et de bonne grâce, esprit sachant élever les débats de la politique, au lieu de se laisser abaisser par eux, Paul Deschanel est un exemple extraordinaire de l’inconstance de la fortune et de la soudaineté de ses revirements
 

Paul Deschanel naît dans l’exil le 13 février 1855, à Schaerbeek (région de Bruxelles). Son père, républicain de nuance assez avancée, avait été banni par l’Empire. La grande voix de Victor Hugo salua la naissance de l’enfant au milieu des tristesses de la proscription.

Cependant, un obscur pressentiment avertit sa mère qu’une carrière magnifique l’attendait. On raconte que dès sa plus jeune enfance, elle l’encourageait au travail, en l’assurant qu’il devait jouer un grand rôle dans l’État, et que plus tard elle lui affirmait qu’il serait un jour « président de la république ». Ce qu’il y a de certain, c’est qu’une profonde tendresse unissait ce fils et cette mère, et qu’il ne se passait pas de jour où le président de la Chambre ne trouvât une heure pour la consacrer à cette femme d’un cœur et d’un esprit élevés.

Paul Deschanel lorsqu'il devient président de la Chambre des députés (1898). Illustration parue dans le Supplément illustré du Petit Journal du 26 juin 1898

Paul Deschanel lorsqu’il devient président de la Chambre des députés (1898).
Illustration parue dans le Supplément illustré du Petit Journal du 26 juin 1898

Jeune attaché de cabinet auprès du ministre de l’Intérieur Émile de Marcère et de Jules Simon, Paul Deschanel semblait à vingt ans, après de brillantes études, ne devoir demander à la vie que d’aimables plaisirs et ne chercher dans l’administration qu’une carrière facile, quand, à vingt-cinq ans, il semble obéir à la voix qui lui a promis les honneurs et la gloire. Il se jette dans la politique, se fait élire à la députation en Eure-et-Loir en 1885, et tout de suite occupe la tribune et l’emplit de sa jeune éloquence. Il songe à Lamartine, qu’aimait son père, et cette admiration n’est pas sans influence ni sur son talent, ni sur la direction qu’il donne à sa vie.

Il faut toujours se rappeler, quand on pense Paul Deschanel, qu’il est le fils d’un professeur de rhétorique, de l’homme qui fit au Collège de France un cours sur le Romantisme des classiques. Il y a beaucoup de littérature dans son existence et c’est peut-être ce qui en fit le malheur. Il fait songer à ces hommes de 1789 hantés par l’idée des vieux Romains. Lui fut tourmenté par des modèles plus récents et plus souvent préoccupé de réaliser le type de Lamartine, sur lequel il écrivit un beau livre, que d’être vraiment lui-même.

L’âge le tira de ce péril. A quarante ans, député de Nogent-le-Rotrou, il est vice-président de la Chambre. En 1898, il bat Henri Brisson et la confiance de ses collègues l’élève à la présidence de l’Assemblée. Il y est parfait de tact et de tenue. Sa haute culture, son intelligence rapide, son savoir et son expérience politique lui assurent du prestige et de l’autorité. La noblesse et la dignité avec lesquelles il sut exprimer, lors de la déclaration de guerre, le sentiment magnanime qui soulevait le pays, lui valurent une véritable popularité.

Au lendemain de la victoire, il semblait que toutes les fées réunies autour de son berceau, au pays de Brabant, le portaient vers son beau destin. Les voix unanimes, au Parlement comme dans la nation, le désignaient pour cette suprême magistrature qui lui était promise par l’oracle maternel. Il semblait que tous ses travaux, que toutes ses expériences, que son long labeur parlementaire ne fussent qu’une préparation méthodique à cette fonction de président de la République où toutes ses qualités trouveraient leur emploi. Il fut l’élu du Congrès le 19 janvier 1920, et on crut voir vraiment l’homme qu’il fallait à la place qui lui convenait.

Tous ceux qui eurent l’honneur d’approcher Paul Deschanel eurent bien le sentiment que, ce jour-là « l’enfant die l’exil » croyait avoir assuré sa revanche sur la fortune qui l’avait accablé à sa naissance, et qu’il avait réalisé sa destinée. Mais alors cet homme comblé fut pris d’une angoisse étrange ; il se sentit le prisonnier de sa fonction, il eut la sensation matérielle de la claustration, des chaînes, des entraves. Il étouffa à l’Élysée.

Il eut la phobie de la représentation et du pouvoir. Il fut pris d’une exaltation douloureuse. Il brisa lui-même l’édifice qu’il avait forgé. Une hallucination shakespearienne l’entraîna à saccager sa vie, à détruire tout ce qu’il avait construit, à se faire l’ennemi de ses plus chers désirs. Imagine-t-on rien de plus tragique, pour soi, pour ses proches, pour tout le pays qui avait placé en lui sa confiance et ses espoirs ? Malade, Paul Deschanel dut quitter l’Elysée et se démettre de ses fonctions. On le soigna. On le guérit.

Le Sénat l’accueillit. Au moment de sa disparition, il devait interpeller le gouvernement sur une question de politique étrangère, et faire ainsi une rentrée éclatante dans les affaires publiques. Mais la grippe l’emporta avant que la tribune n’ait de nouveau entendu sa voix.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE