LA FRANCE PITTORESQUE
30 mars 1349 : traité de Romans
désignant comme « dauphins »
les héritiers du trône de France
(D’après « Histoire de Louis XI » (par Charles Pinot-Duclos)
paru en 1745 et « Dictionnaire encyclopédique
de la France » (par Philippe Le Bas, Tome 6) paru en 1842)
Publié le mercredi 30 mars 2022, par Redaction
Imprimer cet article
Ce traité fixe que le fils aîné du roi de France reçoit le titre de dauphin et la région du Dauphiné. Ce fils aîné endossant parallèlement le rôle d’héritier de la couronne, le mot « dauphin » en vint tout naturellement à prendre le sens de successeur en puissance du souverain
 

La province du Dauphiné, qui aujourd’hui correspond aux départements de la Drôme, des Hautes-Alpes, de l’Isère et une partie sud-est du Rhône, constituait l’une des plus considérables de l’ancienne monarchie, et avait Grenoble pour capitale. Anciennement comprise dans la Gaule celtique, elle forma, après la conquête romaine, la province viennoise, qui dépendait en partie de la seconde Narbonnaise, en partie du gouvernement des Alpes maritimes.

La partie septentrionale, de l’Isère au Rhône, était habitée par les Allobroges. Lors des invasions barbares, les Burgondes s’en emparèrent, et leur roi établit sa résidence à Vienne. Plus tard, le royaume de Bourgogne passa sous la domination des Francs, qui le possédèrent jusqu’à la mort du roi Louis le Bègue. Envahi au VIIIe siècle par les Arabes, il fut bientôt après reconquis par Charles Martel, avant de faire partie du royaume d’Arles, lequel se démembra au XIe siècle et fut divisé en un grand nombre de petits États. Le plus puissant d’entre eux fut le comté d’Albon, dont les seigneurs acquirent successivement le Graisivaudan, l’Embrunois, le Gapençois et le Briançonnais. Lorsqu’ils prirent, au XIIe siècle, le titre de dauphin, ils donnèrent le nom de Dauphiné à l’assemblage des provinces qu’ils possédaient.

Humbert II de la Tour-du-Pin, dauphin de Viennois (1333-1349) et son sceau

Humbert II de la Tour-du-Pin, dauphin de Viennois (1333-1349) et son sceau

Humbert II de la Tour-du-Pin, dauphin de Viennois, fut le dernier souverain national du Dauphiné. Un jour, jouant avec son fils unique, encore enfant, à une fenêtre de son palais de Grenoble qui donnait sur l’Isère, il eut le malheur de le laisser tomber dans ce fleuve. Se voyant alors sans enfants, il résolut d’adopter un successeur et choisit, par acte passé au château de Vincennes le 23 avril 1343, Philippe, duc d’Orléans, fils puîné du roi de France Philippe VI de Valois. Philippe d’Orléans s’engageait, de son côté, à payer à Humbert 120 000 florins en trois ans.

L’année suivante, il changea le principal article du traité, c’est-à-dire, qu’au lieu de Philippe, duc d’Orléans, qui, par le traité de 1343 , était appelé à la succession du Dauphiné, et à son défaut Jean, duc de Normandie, son frère aîné, on mit, dans celui de 1344, le duc Jean, à la place et aux droits de Philippe, qui en fut totalement exclu. On lui donna, en récompense de la renonciation qu‘il fit à la succession du Dauphiné, la comté de Beaumont-le-Roger, les terres que Robert d’Artois tenait en Normandie, et le vicomté de Breteuil.

L’exécution de ce traité restait incertaine, par cette clause que le dauphin y avait mise : Supposé que le comte dauphin mourût sans hoirs [héritiers] mâles ou femelles nés en légitime mariage. Or le dauphin avait alors environ trente ans, et Marie des Baux, sa femme, était jeune. Cette princesse étant morte en 1347, son mari, qui avait toujours conservé ses États, pensa à se remarier, et rechercha Jeanne de Bourbon, fille du duc Pierre de ce nom. Ce mariage n’ayant pas été conclu par les obstacles qui survinrent, Humbert voulut que son successeur, non seulement portât la qualité de dauphin, mais encore épousât Jeanne de Bourbon.

Le duc de Normandie, alors marié à Bonne de Luxembourg, ne pouvait donc être dauphin : c’est pourquoi il offrit de céder ses droits à Charles, son fils aîné, depuis appelé Charles V le Sage. Le dauphin était devenu dévot, et laissait diriger sa conscience par Jean Buel, général des chartreux, et ses affaires temporelles par Henri de Villars, archevêque de Lyon, qui était chef de son conseil, et dans les intérêts du roi. Le général des chartreux l’entretint dans la disposition où il était de renoncer au monde, et l’archevêque de Lyon le détermina à choisir pour son successeur Charles, petit-fils de Philippe de Valois, et fils aîné de Jean, duc de Normandie. Le contrat de la donation que le dauphin Humbert II lui fit du Dauphiné fut passé à Romans le 30 mars 1349. L’on n’y changea rien d’essentiel de ce qui était dans le premier contrat de l’an 1343, que la personne du donataire.

L’investiture des états du Dauphiné fut donnée au nouveau dauphin dans la ville de Lyon le 16 juillet 1349 en présence de Jean, son père, duc de Normandie. Humbert lui ceignit l’épée delphinale, et lui mit dans les mains le sceptre et la bannière de saint Georges, après quoi, il se dévêtit lui-même des marques de son ancienne dignité, pour prendre l’habit de jacobin.

Armoiries delphinales

Armoiries delphinales

Le pape Clément VI avait parfaitement secondé les intérêts de Philippe de Valois qui, malgré les traités faits avec Humbert, avait sujet d’appréhender l’inconstance naturelle de ce prince. C’est pourquoi, afin de le mettre pour toujours hors d’état de changer ce qu’il avait fait, le roi Jean, qui venait de succéder à Philippe de Valois, engagea le pape à lui conférer les dignités ecclésiastiques. Clément, sous prétexte d’honorer davantage le dauphin Humbert, en faisant pour lui une chose extraordinaire, lui donna en un seul jour le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise : c’était le jour de Noël de l’an 1350, et dans le même temps il le fit patriarche d’Alexandrie et lui accorda l’administration de l’archevêché de Reims.

Charles V est donc le premier des rois de France qui ait porté le titre de dauphin, et ce titre a toujours été celui de leurs fils aînés, quoique cela ne fût point stipulé par les différents traités de la cession du Dauphiné, et que même ce titre dût d’abord être pour le second fils de Valois. Cependant Marcel dit qu’il fut arrêté, du propre mouvement du roi, que le Dauphiné serait réuni à la couronne, et que le fils aîné de France porterait seul le titre de dauphin.

L’expression réuni à la couronne n’est pas tout à fait exacte ; car le Dauphiné n’est pas incorporé au royaume, dont il forme en quelque manière un État séparé ; c’est pour cela que le roi, dans toutes les lettres qui regardent cette province, prend le titre de dauphin de Viennois ; aussi Humbert, dans le contrat passé avec Philippe de Valois en 1343, avait mis cette condition, que les États qu’il donnait ne pourraient être réunis au royaume, fors tant comme I’Empire y serait uni, parce que le Dauphiné avait toujours été de l’Empire ; que le roi n’en jouirait que lorsqu’il n’aurait point d’enfant mâle, et qu‘aussitôt qu’il lui naîtrait un fils, ce fils en naissant deviendrait souverain du Dauphiné, sans autre titre que celui de sa naissance.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE