LA FRANCE PITTORESQUE
2 mars 1295 : Philippe IV le Bel
s’attache la Bourgogne
par le traité de Vincennes
(D’après « Essai sur l’histoire de la Franche-Comté » (Tome 1)
par Edouard Clerc, paru en 1840)
Publié le mercredi 2 mars 2022, par Redaction
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Ayant entamé une politique d’accroissement du domaine royal, Philippe le Bel s’était saisi, d’un côté, de Lyon qu’il avait réuni à la France (1292) ; de l’autre, s’assurait le comté de Bourgogne en fiançant l’un de ses fils à Jeanne, alors héritière unique du comte palatin (vigile de la Pentecôte 1291)
 

Ce mariage devait faire passer à l’un des fils de France les comtés d’Artois et de Bourgogne. Le comte Othon IV de Bourgogne promit même d’agir près de l’empereur pour affranchir les fiefs du comté de tout hommage envers l’empire. Adolphe, successeur de Rodolphe — ce dernier étant mort le 15 juillet 1291 — sur le trône de Germanie, se montra peu disposé à de semblables concessions. Il imita la politique de Rodolphe, qui, six semaines avant sa mort, signait encore deux diplômes pour assurer au baron d’Arlay de nouvelles faveurs, la garde de l’abbaye de Saint-Claude, et le droit de battre de la petite monnaie « par toute sa terre, où et quand il lui plairait davantage » (28 juin 1291).

Othon ne fut pas moins humilié sous Adolphe qu’il l’avait été sous son prédécesseur : en butte à tous les événements, abaissé par les empereurs, aigri par ses mauvais succès, excommunié, ruiné et harcelé par ses créanciers, extrême en tout, et comme un homme conduit par le désespoir, il se livra corps et biens à la France.

Philippe IV le Bel. Détail d'une peinture de Josef Kiss et Friedrich Mayrhofer

Philippe IV le Bel. Détail d’une peinture de Josef Kiss et Friedrich Mayrhofer

Philippe le Bel l’attirait plus que jamais à sa cour. Décidé à convertir le royaume d’Arles en provinces françaises, ce prince avait répondu avec fierté à l’empereur Adolphe, qui lui demandait compte de ses envahissements. Il fallait se presser, car la guerre semblait imminente. Au mois de mars 1295, tout fut consommé. Pour la dot de Jeanne, l’aînée de ses deux filles, promise à l’un des fils de France, Othon IV déclare abandonner au roi, et à jamais, « son comté, sa baronnie, sa terre, ses droits, ses hommages et ses fiefs ».

Pour gage de cet étrange traité, il livre au roi ses propres enfants, même ceux qui ne sont pas nés, même les héritiers mâles qu’il peut avoir. Tous seront mis, jusqu’à l’âge de dix-sept ans, entre les mains du monarque, qui est dès lors possesseur absolu du comté. En retour, Philippe lui donne une somme pour payer ses dettes, une pension pour vivre, et assure à ses enfants une pension sur le trésor de France.

Conséquence de cette abdication, Otton abandonne le comté de Bourgogne avec sa femme et ses enfants, et va cacher sa honte à Paris ou dans les armées françaises. Il conserva cependant encore le titre de comte palatin de Bourgogne et de sire de Salins, vain nom que la France et l’empire ne lui donnaient même plus — dans une charte de 1297, Philippe le Bel l’appel « Othes, jadis cuens palatin de Bourgogne », et l’empereur Adlophe lui donne le même nom.

Armoiries de la Bourgogne

Armoiries de la Bourgogne

Cet humiliant traité pour Othon fut conclu le 2 mars 1295 à Vincennes : quelques jours après la renommée le publiait déjà dans le comté de Bourgogne. La noblesse en frémit : c’est elle à qui l’on donne un maître, c’est elle que l’on vient de vendre au roi de France. On s’agite de toutes parts, du nord au midi on entend le même cri d’alarme. Un jour est fixé pour se rendre à Besançon. Le comte de Montbéliard, propre frère du comte palatin, Jean de Châlons, le comte d’Auxerre, vassal du roi de France, le connétable de Bourgogne et autres seigneurs, arrivent dans cette cité. On proteste, on s’unit, on jure que le roi de France ne règnera jamais sur le comté : l’acte d’association est écrit.

Le baron d’Arlay et le sire de Montfaucon étaient absents ; mais leur adhésion n’était pas douteuse : le premier surtout avait tout à perdre sous le joug de la France. Cependant, comme si toutes les révolutions devaient accroître sa haute fortune, l’archevêque Eudes de Rougemont, effrayé et voyant l’avenir si orageux, dépose entre ses mains la mairie et la vicomté de la ville, qu’il lui disputait jusque-là — lettre du 3 des nones de juin 1295 et charte du jour de la Nativité 1295.

Sans s’intimider, Philippe le Bel faisait envahir le pays. Il avait gagné Hugues de Bourgogne, frère du comte palatin, qu’une guerre récente animait contre le baron d’Arlay ; il le fit son lieutenant. Dans la famille des comtes de Bourgogne, sur cinq frères, Othon et Hugues suivaient la bannière du roi, Renaud et Jean celle de la confédération, et le chanoine Etienne, doyen de Besançon, demeurait neutre comme son archevêque.

Les troupes de Philippe le-Bel se saisirent des châteaux et des domaines du comte palatin, et entrèrent même dans les forteresses de l’empire, telles que le château de Vesoul. Ses intelligences lui ouvrirent les portes de Besançon, où il fit mettre sous sa main la mairie et la vicomte, fiefs de l’archevêque et de l’empire. Du sein de cette position formidable, que la force lui avait faite, il bravait les menaces de l’empereur Adolphe, qui, par sentence des princes, avait jeté la commise sur le comté de Bourgogne, et l’avait réuni au domaine impérial. En dépouillant Othon, Adolphe eût pu donner le comté au baron d’Arlay ; mais il voulut laisser au dernier comte la ressource du repentir, ou il craignit de faire un ingrat.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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