LA FRANCE PITTORESQUE
Première entrevue du roi Clovis
et de sa future épouse
Clotilde de Burgondie à Villery
(D’après « Légendes, curiosités et traditions de la Champagne
et de la Brie », paru en 1860)
Publié le dimanche 18 juin 2023, par Redaction
Imprimer cet article
À la fin du Ve siècle, Clovis, qui a déjà acquis la réputation d’un chef militaire d’exception, dépêche un ambassadeur auprès de Clotilde en vue de s’assurer du consentement de cette princesse de dix-huit ans dont on lui a vanté la beauté et la sagesse : l’oncle de celle-ci, Gondebaud, roi des Burgondes, d’abord réticent, accepte cependant la proposition de mariage, préférant se faire momentanément du roi des Francs un allié plutôt qu’un futur ennemi.
 

Selon Grégoire de Tours, Gondioc, roi des Burgondes mort en 473, « avait eu quatre fils : Gondebaud, Godégisile, Chilpéric et Gondemar. Gondebaud égorgea Chilpéric son frère et noya la femme de celui-ci en lui attachant une pierre au cou. Il condamna à l’exil ses deux filles ; l’aînée, qui prit l’habit, s’appelait Croma ; la plus jeune Clotilde ». Celle-ci, née en 475, était encore une enfant lorsque ce massacre eut lieu, dans les années 480.

Depuis, Clotilde grandissait dans le palais de son oncle Gondebaud. Quoique soumise à une surveillance sévère, elle ne vivait pas tellement cachée à tous les regards que sa réputation de beauté et de sagesse ne se fût peu à peu répandue au dehors. Clovis, roi des Francs depuis 481, et qui entendait faire un continuel éloge de cette princesse, conçut un vif désir de l’avoir pour femme ; mais, prévoyant que sa demande serait difficilement agréée de Gondebaud, il résolut de s’assurer avant tout du consentement de Clotilde elle-même.

Clovis et Clotilde, par Antoine-Jean Gros (1811)

Clovis et Clotilde, par Antoine-Jean Gros (1811)

Il chargea donc de cette délicate mission un noble gallo-romain nommé Aurélien, homme prudent et avisé, qui, depuis la bataille de Soissons — remportée en 486 par Clovis contre le général romain Syagrius, maître d’un domaine s’étendant de la Loire à la Somme —, s’était attaché à la fortune du roi des Francs, et le servait avec beaucoup de dévouement. Déguisé en mendiant, portant sur son dos une besace au bout d’ un bâton, Aurélien se met en route vers la Bourgogne. Il devait remettre à Clotilde un anneau que lui envoyait Clovis, afin qu’elle eût foi dans les paroles du messager.

Lorsqu’il arrive à Genève, il se mêle à la foule des pauvres qui, chaque dimanche, se plaçaient sur le passage de Clotilde à sa sortie de l’église. La jeune princesse, distribuant ses aumônes, lui donne une pièce de monnaie, lorsque, saisissant ce moment, le Gallo-Romain se penche vers elle et lui dit à voix basse : « Maîtresse, j’aurais à t’annoncer de grandes choses, si tu voulais me conduire dans un lieu où je te puisse parler en secret. » Clotilde, étonnée de ce langage, s’éloigne sans rien répondre, et rentre dans sa demeure.

Mais, quelque temps après, le faux mendiant, introduit par une des femmes de la princesse dans son appartement, lui dit : « C’est le roi des Francs, l’illustre Clovis, qui m’envoie vers toi. Si c’est la volonté de Dieu, il désire vivement t’épouser, et pour que tu me croies, voilà son anneau. » Clotilde l’accepte et ne cherche point à dissimuler la joie que lui inspirent les paroles d’Aurélien. « Prends ces cent sous d’or pour récompense de ta peine avec mon anneau, lui dit-elle. Retourne vers ton maître, et dis-lui que s’il veut m’épouser, il envoie promptement des ambassadeurs à Gondebaud, car mon oncle attend son conseiller Aridius qui est à Constantinople, et qui pourrait bien empêcher l’accomplissement de ce mariage. »

Averti, Clovis s’empresse de suivre le conseil de Clotilde. Aurélien lui-même est chargé d’aller, comme ambassadeur, annoncer les intentions du roi franc au roi de Bourgogne. Gondebaud appréhendait que sa nièce, mariée à Clovis, n’excitât ce prince à la venger, elle et tous les siens ; mais il voulait aussi éviter le péril d’irriter par un refus le roi des Francs, et de lui fournir ainsi un prétexte de guerre. Il crut pouvoir se tirer d’ affaire par un faux-fuyant. Lorsque l’ambassadeur insista, il lui dit :

— Ma nièce est chrétienne et Clovis est païen ; si j’acquiesçais aux vœux de ton maître, elle-même les repousserait.

— Non, reprit Aurélien, cela n’arrivera pas, car elle les a agréés d’avance.

A la vue de l’anneau de la fille de Chilpéric que lui montre l’ambassadeur, Gondebaud, surpris et indigné que Clotilde eût osé, sans son aveu, disposer de sa main, voulut rompre la négociation ; mais la réflexion le calma. La perspective d’un danger éloigné lui parut moins redoutable que la crainte d’une guerre certaine et imminente. Il prit donc le parti de céder, et donna son consentement au mariage de Clotilde. Aurélien présenta un sou et un denier, selon l’usage, et s’occupa activement des préparatifs de voyage.

Quand tout fut prêt, la jeune princesse se mit en route dans une voiture couverte appelée basterne — voiture traînée par des bœufs, et particulièrement à l’usage des femmes — derrière laquelle venaient plusieurs chariots portant les bagages. Aurélien et quelques guerriers francs qui l’avaient accompagné à la cour de Gondebaud, formaient l’escorte. Le cortège s’avançait assez lentement, lorsque Clotilde reçut la nouvelle qu’Aridius était de retour en Bourgogne. Convaincue que quelque grand péril la menaçait, elle descendit aussitôt de sa basterne, sauta sur un cheval, et, suivie d’Aurélien et de sa petite troupe, se dirigea en toute hâte vers la frontière des États de Clovis.

L’événement prouva que ses craintes étaient fondées : à son retour de Constantinople, Aridius s’était immédiatement rendu auprès de Gondebaud. Ce prince l’apercevant lui dit :

— Sais-tu ce qui s’est passé en ton absence ? Eh bien, j’ai fait amitié avec le roi des Francs et je lui ai accordé la main de ma nièce.

— Que parles-tu d’amitié ? s’écria Aridius ; c’est là le germe d’une discorde sans fin. As-tu donc oublié, ô roi ! que tu as fait périr par le glaive le père de Clotilde ; que tu as fait noyer sa mère et jeter dans un puits les cadavres décapités de ses deux frères ? Ne crains-tu pas que Clovis ne veuille les venger un jour ? Crois-moi, envoie promptement des soldats à la poursuite de ta nièce, avec ordre qu’on te la ramène. Il sera toujours moins fâcheux pour toi de supporter les plaintes et les reproches d’une jeune fille irritée d’avoir vu s’évanouir ses espérances de mariage, que d’être continuellement aux prises avec les Francs.

Mariage de Clovis et de Clotilde en 493 à Soissons

Mariage de Clovis et de Clotilde en 493 à Soissons

Le roi des Bourguignons, effrayé des prévisions d’Aridius, envoya sur-le-champ des cavaliers à la poursuite de sa nièce ; mais il était trop tard. Les cavaliers ne purent atteindre que la basterne vide et les bagages de Clotilde. Franchissant les vallées et les collines, cette princesse avait traversé les villes d’Autun, de Saulieu et d’Auxerre, et avait ordonné d’incendier et de ravager douze lieues de pays derrière elle. Arrivée sur les terres des États de Clovis, elle s’était écriée : « Je te rends grâces, Dieu tout-puissant, de voir le commencement de la vengeance que je devais à mes parents et à mes frères ! »

Clovis sortant de Soissons, sa nouvelle capitale, avait traversé les villes de Reims, de Châlons-sur-Marne, d’Arcis-sur-Aube et de Troyes, et s’était avancé jusqu’à Villery — bourg situé à 16 km de Troyes, sur la route d’Auxerre, où Clotilde s’arrêta pour prier sur le tombeau de saint Germain —, lorsque Clotilde parut avec son escorte. Charmé de la beauté et de la modestie de sa fiancée, le roi des Francs l’emmena dans sa résidence, où le mariage fut célébré en 493.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE