LA FRANCE PITTORESQUE
Vox faucibus haesit
()
Publié le vendredi 22 juillet 2016, par Redaction
Imprimer cet article
Ma voix s’arrête au gosier (VIRGILE, Énéide, liv. III, v. 58)
 

Énée vient de quitter les rivages de Troie ; il aborde en Thrace et se prépare à offrir un sacrifice aux dieux ; il se dirige vers un bois épais afin d’y cueillir des branches pour orner l’autel improvisé. Mais à peine le fer a-t-il touché le premier arbre, que le sang jaillit, et une voix plaintive se fait entendre : « Énée, pourquoi déchirer un malheureux ? Epargne les morts ! » Celui qui parle ainsi, c’est Polydore, un des fils de Priam, confié aux soins de Polymnestor, roi de Thrace, et massacré par celui qui devait le défendre.

C’est pour peindre son étonnement à la vue de ce prodige, qu’Énée s’écrie : Obstupui, steterunique comae et vox faucibus haesit (Je demeurai immobile d’étonnement, mes cheveux se dressèrent, ma voix s’arrêta dans mon gosier). Cette image a été souvent employée par les poètes, pour peindre l’étonnement, la stupeur.

Dans ses Promenades hors de mon jardin, Alphonse Karr a parodié avec esprit le vox faucibus haesit : « Le jet d’eau est faible et ne s’élance pas assez haut ; des grenouilles de marbre qui dans le bassin doivent lancer de minces filets d’eau, quelques-unes ouvrant une bouche aride qui ne lance rien : Aqua (L’eau) faucibus haeret. »

« Nous donnons le nom de faucet à la voix de tête, parce qu’elle n’est point formée dans la poitrine, mais inter fauces, dans la gorge ; témoin cet hémistiche : Vox faucibus haesit, cent fois répété par Virgile et les autres poètes latins. Vous voyez que ce mot faucet d’origine antique, n’offre aucun rapport avec les qualités justes ou fausses de la voix. D’ailleurs, en musique, rien de faux ne saurait être admis. » (CASTIL-BLAZE)

« Voilà la lugubre vérité sur la Convention : la pitié, l’horreur, les vociférations du choeur sanguinaire, les rugissements des bourreaux, le cri prolongé et renaissant des victimes, elle eut tout cela, mais ce n’était plus la langue, c’était des hoquets et des sanglotements d’agonie : Vox faucibus haeret. Plus on aime la Révolution, plus on doit flétrir la Convention. » (LAMARTINE)

« Il est impossible, me dit Astruc avec son indépendance ordinaire, qu’on ait une piété bien fervente derrière ces murailles. La prière, cette aspiration religieuse, doit s’arrêter au gosier, faute d’oxygène : Vox faucibus haesit, comme dit Virgile. Mettez le plus grand saint dans une atmosphère saturée d’acide carbonique, et les livres sacrés lui tomberont des mains. » (Revue de Paris)

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE