LA FRANCE PITTORESQUE
Macédoine
(D’après « Le Courrier de Vaugelas », paru en 1878)
Publié le dimanche 12 juin 2016, par Redaction
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D’où vient ce mot désignant un assemblage disparate de morceaux hétérogènes ? Est-ce par les cartes, la cuisine ou la littérature qu’il est entré dans la langue ?
 

Le mot macédoine, en tant que nom commun et au sens de mélange de choses hétérogènes, ne se trouve ni dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie (1694), ni dans Furetière (1727), ni dans Richelet (1728), ni dans Trévoux (1774), ni dans Pierre Marin (1782) : c’est, à n’en pas douter, une recrue du vocabulaire assez récemment faite.

Mais ce mot apparaît dans le 32e volume des Mémoires secrets de Bachaumont, au milieu du paragraphe qui suit : « 9 août 1786. — On annonce un ouvrage fort singulier de M. Monvel, arrivé depuis quelque temps aux comédiens. Il a pour titre Bayard ; c’est une macédoine littéraire ; il y a de tout ce que comporte le théâtre : opéra, tragédie, comédie, drame, ballet... Les acteurs ont déjà fait nombre de répétitions. »

Pour qu’en 1786, un auteur se soit servi de l’expression « macédoine littéraire », il faut qu’à cette époque macédoine, sans épithète, désignât un mélange concernant autre chose que la littérature. Était-ce le jeu de cartes, était-ce la cuisine ? On trouve le terme en question dans des ouvrages postérieurs à 1786, et voici dans quels contextes :

La Suite du Dictionnaire des Jeux, volume de l’Encyclopédie méthodique publié en 1799, et qui donne (p. 116) la description d’une macédoine au jeu de cartes : « C’est quand on fait une poule composée de plusieurs jeux ; par exemple, on fera deux tours de chat qui dort, deux d’as qui court, deux de peur, deux de chnif, et on finira par un trottin. »

Le Nouveau vocabulaire français de Noël-François et Étienne-Augustin de Wailly (Paris, 1803), qui porte cette simple mention : « Macédoine, sorte de ragoût. » Le Cuisinier impérial de Viard, homme de bouche (Paris, 1806), où l’on trouve, p. 411 : « Macédoine à la béchamelle. — Vous préparez beaucoup de petites racines et des légumes, comme il est dit à la macédoine aux entrées, de carottes, navets, petits oignons, pois, asperges, haricots blancs, haricots verts, etc. »

Le Dictionnaire général de la langue française du lexicographe François Raymond (1825), qui consacre à la définition de macédoine les lignes suivantes : « Macédoine s. f. Mets composé de plusieurs sortes de légumes. — Sorte de jeu de cartes. — Littér. Mélange, brouillamini. C’est une vraie macédoine. »

On est ainsi évidemment fondé à croire que c’est par l’art culinaire que macédoine est entré dans la langue, quand on considère :

1° Qu’en qualité de terme de jeu de cartes, ce mot apparaît treize ans après le 32e volume des Mémoires secrets de Bachaumont, où il ne se dit pas encore sans épithète en parlant d’un mélange littéraire ;

2° Que le Dictionnaire de De Wailly, qui semble avoir été le premier à l’enregistrer, le signale comme signifiant uniquement une « sorte de ragoût » ;

3° Enfin, que François Raymond, qui donne les trois significations actuelles de ce mot, commence par celle de « mets composé de plusieurs sortes de légumes ».

Quant au mot macédoine lui-même, ce n’est probablement qu’une allusion à la variété incroyable de peuples auxquels Philippe et Alexandre imposèrent les lois de la Macédoine, et dont on remarquait les vêtements divers et confus dans les armées de ce dernier. Rien ne permet toutefois de changer cette conjecture en certitude.

Remarquons que les Soupers de la Cour font figurer ouille (de l’espagnol olla, que contient olla podrida, pot pourri), dans des recettes où les traités plus modernes sur l’art de la cuisine emploient le mot macédoine ; tandis que François Marin, dans une édition parue en 1758 de ses Dons de Comus ou l’Art de la cuisine (tome 2), mentionne page 116 le terme macédoine au sein de sa recette de la Poularde à toutes sortes de légumes : « Aux pois. Aux petits haricots. Aux fèves de marais, à l’ordinaire, ou en macédoine. ». Si ce terme de macédoine est né près des fourneaux, comme on peut fortement le croire, il faut que le fait se soit passé entre 1755, date où fut publié les Soupers de la Cour, et 1758 où le mot figure dans les Dons de Comus.

Avec un champ de recherches ainsi limité et beaucoup de patience, on peut espérer de découvrir enfin le Vatel de la seconde moitié du XVIIIe siècle qui a doté la langue du terme auxquels nous avons consacré ces lignes.

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