LA FRANCE PITTORESQUE
Plantation du mai : coutume
innocente mais forte de sens
(D’après « Histoire des fêtes civiles et religieuses, des usages
anciens et modernes du département du Nord », paru en 1834)
Publié le mercredi 4 mai 2022, par Redaction
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C’est à la puissante magie qu’exerce sur notre cœur et sur nos sens, le riant mois des fleurs, que nous attribuons l’usage de le célébrer soit par la plantation d’un arbre, soit par des danses et des jeux, et ce quelle que soit la région. Villes et villages apportaient leur note spécifique à ces réjouissances dont le trait commun était d’associer essence d’arbre et noblesse des mœurs de la personne devant la maison de laquelle il était planté.
 

À Beauvais (Oise), et dans un grand nombre de villes les habitants s’assemblaient le 1er mai, pour tirer au Papegault : c’était un oiseau de carton qu’on mettait à la cime d’un arbre ou d’une grande perche, et celui qui l’abattait était décoré du titre de roi de l’Arquebuse, et était exempt pendant l’année de toute espèce d’impositions.

À Lons-le-Saulnier et Château-Chalon (Jura), le 1er jour de mai, les jeunes filles de douze à quinze ans prenaient l’enfant le plus joli qu’elles pouvaient trouver, le paraient de beaux habits, le couronnaient de fleurs et le portaient de maison en maison en chantant :

Etrennez notre Epousée,
Voici le mois, le joli mois de mai,
Etrennez notre Epousée,
En bonne étrenne,
Voici le mois, le joli mois de mai,
Qu’on vous amène.

« Elle est belle comme l’Epousée du mois de Mai », dit de Jouy, est un proverbe immémorial dans la Franche-Comté. De Marchangy, rapporte un autre usage qui avait lieu en Bretagne, au XIVe siècle le 13 mai. « Plus de vingt mille personnes se rendaient à la Chapelle de Saint-Servais pour obtenir des récoltes abondantes. Les pèlerins élevaient à la fois des cris confus, pour demander les uns le blé jaune, les autres le blé noir, en même temps ils s’emparaient de la bannière du saint, et allaient processionnellement jusqu’au ruisseau qui séparait les évêchés de Vannes et de Quimper. Les habitants des deux territoires se livraient un rude combat pour enlever cette bannière, dont ils finissaient par emporter les lambeaux, qu’ils attachaient à leurs charrues, et aux poutres de leurs granges. »

Plantation du mai, d'après un dessin de N. Jefferys

Plantation du mai, d’après un dessin de N. Jefferys

Avant la Révolution de 1789, il y avait en Roussillon une coutume intéressante et romanesque, dont voici le détail : un amant villageois plantait à la porte de sa maîtresse, dans la nuit du 1er mai, un grand arbre surmonté d’une couronne, à laquelle étaient suspendus un sabre et un cordon de cordelier ; ces trois ornements étaient symboliques : la couronne demandait le prix de l’amour, le cordon et le sabre signifiaient que l’amant se ferait moine ou soldat, si la maîtresse ne voulait pas l’épouser.

Au XIXe siècle, dans les villages du département du Nord, le 1er mai se célébrait encore ordinairement par l’implantation de branches d’arbres, à la fenêtre ou au toit des filles et veuves du lieu. Ces branches exprimaient un sentiment ou une épigramme, parfois une obscénité. Jadis à Valenciennes et autres villes, on plantait un mai à la porte des personnes notables, dont on voulait honorer les qualités, aujourd’hui dans les villes de garnison, on bat encore la diane le 1er mai à la porte des officiers. Jean, duc de Berry, oncle de Charles VI, donna au chapitre de Notre-Dame son hôtel de Nesle, à condition que, tous les ans, le 1er mai, les chanoines feraient une procession avec un rameau vert à la main, et que l’église serait jonchée d’herbe verte.

À Armentières, petite ville de l’arrondissement de Lille, le premier jour de mai, on jetait au peuple, du balcon de la mairie, des nieulles, espèce de pain d’autel de toutes les couleurs. Tandis que les enfants s’empressaient de les ramasser, on faisait jouer sur leurs têtes des pompes à arroser : les éclats de rire, les cris joyeux de la multitude spectatrice, l’intrépidité des mouillés, que l’arrosage ne déconcertait pas, offrait un spectacle bizarre qui amusait singulièrement les habitants d’Armentières.

Ces usages tombèrent partout en désuétude, même au village. Pourtant, la plupart de ces fêtes naïves entretenaient l’amour de la concorde, l’exercice des vertus, et la gaieté. La gaieté, dit Duclos, est le contre-poison du chagrin. Elle éloigne les maladies du corps, égaie l’esprit, se moque du caprice de la fortune, calme l’orage des disgrâces, rend sensible aux agréments de la vie, qu’elle prolonge au delà du terme ordinaire.

À propos des vertus, dans plusieurs communes du département de l’Isère on élisait le 1er mai, un Roi et une Reine, que l’on choisissait parmi ceux dont les mœurs étaient pures, et qui s’étaient distingués par leur vertu ; on les élevait sur un trône exposé aux regards des passants.

Dans plusieurs communes du département du Nord, la plantation du mai contribuait à la pureté des mœurs ; malheur à la fille légère, à la femme infidèle, leur honte devenait publique le premier jour de mai. La naissance ni la fortune ne pouvaient les garantir d’un affront humiliant, et en vain l’autorité essaya-t-elle de réprimer cet usage, elle n’y parvint jamais quoiqu’il révélait les mystères de la vie privée.

À Macon, hameau dépendant de Condé-sur-l’Escaut (Nord), la plantation du mai était encore une grande fête au début du XIXe siècle. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, les jeunes gens du village réunis en tribunal, jugeaient les mœurs de tout le sexe féminin de la commune.

La délibération prise à l’unanimité, ils l’exécutaient en masse ; précédés de la musique, c’est-à-dire du violon et de la clarinette, qui formaient l’orchestre obligé de chaque village, ils allaient en grande cérémonie planter un baliveau de bouleau, à la porte des jeunes filles dont la réputation n’avait reçu aucune atteinte ; ils attachaient une longue branche de sureau à la porte des maris dont les femmes étaient adultères, et plaçaient sur le faîte des maisons où il se trouvait des jeunes filles dont la conduite était irrégulière, un marmouset, auquel ils attachaient des écriteaux en lettres de quatre pouces afin qu’on pût les lire de loin : appelant un chat un chat, ils n’omettaient aucune des actions qui avaient provoqué le jugement, cet usage qu’on pourrait nommer fête des mœurs, retenant dans le devoir les jeunes filles. Aussi les bouleaux — arbres symbolisant la vertu — figuraient presque exclusivement dans la petite commune de Macon.

La plantation du mai. Peinture attribuée à Pierre-Antoine Quillard

La plantation du mai. Peinture attribuée à Pierre-Antoine Quillard

À Villers-Sire-Nicole (Nord), outre le mai planté annuellement sur la place publique, les jeunes gens profitaient de ce jour pour dévoiler leurs secrètes pensées. Les Promenades de l’Arrondissement d’Avesnes nous apprennent qu’ « ici, la plantation du mai décide souvent du sort des individus ; l’amant timide saisit cette occasion pour déclarer sa tendresse et ses vues légitimes ; l’amant aimé réclame son bonheur par des guirlandes dont il décore les fenêtres de sa vertueuse maîtresse — car on n’oserait, à Villers, rendre le moindre hommage à une fille dépravée — ; l’amour exerce sur ces villageois un empire absolu, mais il est toujours accompagné de la décence.

« La malheureuse qui forfait à l’honneur, est exclue de toutes les réunions ; le 1er mai lui devient plus fatal encore ; de nombreuses branches de sureau, plantées près de son habitation, indiquent le dégoût qu’elle inspire ; et tandis que ses sages et joyeuses compagnes dansent autour du mai public, tristement reléguée dans sa maison, elle gémit de son inconduite, et n’oserait se hasarder d’en sortir : elle serait huée par tous les enfants. Quelques branches d’épines, attachées furtivement par-ci par-là, annoncent un refroidissement de la part de l’amant, l’inconstance a gagné aussi les villages. Chaque essence d’arbre a sa signification, souvent conditionnelle entre les intéressés, ce qui déroute les curieux ; la branche du rendez-vous n’est pas oubliée parmi ces innocents interprètes de l’amour. »

À Jeumont (Nord), les habitants exprimaient leur pensée plus énergiquement que dans les autres villages, où l’on se contentait de dévoiler le vice : ils rendaient hommage à la vertu ; le 1er mai, la plupart des maisons étaient couvertes ou entourées de branches de bouleau, insigne de la virginité ; ce n’étaient pas les jeunes gens seuls qui se plaisaient à honorer ainsi la sagesse ; tous les habitants s’empressaient de porter leur branche : c’était un brevet d’honneur pour une jeune fille qui — cela arrivait assez souvent — n’avait pour dot que quelques fagots de ces branches, qu’elle réunissait et conservait soigneusement.

D’autres emblèmes peignaient le caractère des jeunes filles ou les sentiments qu’elles inspiraient : le cerisier fleuri indiquait la facilité, le relâchement des mœurs ; le saule peignait la coquetterie, et il y en avait, même au village ; le sureau, le houx indiquaient le délaissement, l’abandon, et souvent l’un de ces emblèmes était joint au saule, pour exprimer que l’abandon était causé par la coquetterie.

Le jour de l’Ascension, on renouvelait les branchages ; il était rare que les emblèmes épigrammatiques fussent implantés plusieurs fois à la même personne, preuve évidente que la leçon faisait effet.

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