LA FRANCE PITTORESQUE
Disjecti membra poetae
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Publié le mardi 19 avril 2016, par Redaction
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Les membres dispersés du poète
 

Il ne suffit pas, dit Horace (liv. I, satire IV, v. 61), de mettre un vers sur ses pieds pour mériter le nom de poète. « Prenez les vers de mes satires, ou ceux du vieux Lucilius, déplacez les mots, ôtez le rythme et la mesure, et vous trouverez de la prose toute pure, sermo merus, et vous ne reconnaîtrez pas les membres dispersés du poète, disjecti membra poetae. »

« Les parties d’un édifice gothique cachées par les masures sont ordinairement fort laides ; les parties dentelées, ouvragées, composées réellement avec harmonie, membres séparés d’une pensée d’art, disjecti membra poetae, demeurent au contraire exposées à l’admiration du public. » (André DELRIEU)

« Tel hémistiche, tel vers, telle période de M. Lemercier, ne seraient pas désavoués par les grands maîtres. C’est quelquefois Rabelais, Aristophane, Lucien, Milton, disjecti membra poetae, à travers le fatras d’un parodiste de Chapelain. Ouvrez le livre, vous avez retrouvé l’auteur d’Agamemnon, et l’on peut se contenter à moins ; une page de plus, et vous aurez beau le chercher, vous serez réduit à dire comme le bon abbé Chaulieu : C’est quelqu’un de l’Académie. » (Charles NODIER, Mélanges)

« La plupart des femmes, en rentrant du bal, jettent autour d’elles leurs robes, leurs fleurs fanées, leurs bouquets, dont l’odeur s’est flétrie. Alors plus de mystère, tout tombe ; les doubles épingles, les doubles crochets, les bouffants de baleine, les entournures garnies de taffetas gommé, les chiffons menteurs, les faux cheveux vendus par le coiffeur ; toute la fausse femme est là éparse : disjecti membra poetae. La poésie artificielle tant admirée par ceux pour qui elle avait été conçue, élaborée, embarrasse tous les coins. » (BALZAC)

« Mais le pastiche, au contraire, au lieu de saisir le foyer, rassemble des rayons partiels ; au lieu de chercher à pénétrer à travers la forme dans la grande âme de Titien ou de Rubens, il prend çà et là des figures, des torses, des draperies et des muscles, triste dépouille ! Ce n’est plus l’homme, ce sont les membres de l’homme : disjecti membra poetae. » (Alfred DE MUSSET, Le Salon)

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