LA FRANCE PITTORESQUE
Ad usum Delphini
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Publié le jeudi 14 avril 2016, par Redaction
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A l’usage du Dauphin
 

On appelle ainsi les éditions des auteurs latins entreprises par ordre de Louis XIV pour l’usage du Dauphin, son fils, par le conseil du duc de Montausier et sous la direction de Bossuet et de Huet, précepteurs du jeune prince. Les poètes de Rome subirent de nombreuses mutilations, et les passages qui n’étaient pas d’une chasteté rigoureuse furent effacés de leurs œuvres.

Racine lui-même dut passer plus tard par les ciseaux d’une censure non moins sévère. Dans une édition expurgée, ces quatre vers d’Esther :

Peut-être on t’a conté la fameuse disgrâce
De l’altière Vasthi, dont j’occupe la place,
Lorsque le roi, contre elle enflammé de dépit,
La chassa de son trône ainsi que de son lit,

se terminaient ainsi :

Lorsque le roi contre elle irrité sans retour,
La chassa de son trône ainsi que de sa cour.

Dans le style familier, on désigne par ces trois mots tout livre épuré, et, dans un sens plus général, toute phrase, tout discours arrangé pour les besoins de la cause.

« Vous-mêmes, vous êtes assez peu conséquents pour avoir fait imprimer ad usum Delphini l’athéisme de Lucrèce (on vous l’a déjà reproché), et nul trouble, nul scandale n’en est arrivé ; aussi laissa-t-on vivre en paix Spinosa en Hollande, comme on avait laissé Lucrèce en repos à Rome. » (VOLTAIRE)

« La pauvre enfant, dont toute l’assurance avait disparu, chanta donc d’une petite voix fraîche, tremblante et un peu fausse, une romance de sa pension, revue et corrigée comme les éditions ad usum Delphini. Le mot amour y était remplacé à l’hémistiche par celui d’amitié, et pour réparer la légère faute de prosodie, la syllabe surabondante se fondait en un hiatus qui eût fait dresser les cheveux à la perruque blonde de Boileau. » (Ch. De BERNARD)

« M. Thiers convoqua un à un, par lettres closes, amicales, caressantes, les députés des différents groupes, les conservateurs, le centre, la droite, le centre gauche et la gauche. Pendant vingt-quatre mortelles journées, il prêcha en tête-à-tête, variant son thème à l’infini, et ayant pour chacun une édition revue, corrigée et augmentée ad usum Delphini. » (L. VÉRON, Mémoires d’un Bourgeois de Paris)

« Il me revient encore entre un mot ingénieux de l’auteur du Printemps d’un Proscrit. Lors du blocus continental, le commerce était interdit avec la Grande-Bretagne, et, pour mieux faire la contrebande des marchandises, on emplissait les bateaux de bouquins et de livres sans prix qu’on jetait ensuite à la mer et qu’on remplaçait par quelque cargaison anglaise : plusieurs éditions d’ouvrages qui n’avaient pas eu de succès, se trouvèrent par là épuisées. Il en était arrivé ainsi à un poème de M. de Saint-Victor, les Tableaux de Paris. M. de Saint-Victor en profita pour se faire réimprimer, et M. Michaud appelait méchamment la première édition « l’édition ad usum delphini » (à l’usage du dauphin). » (Ch. LABITTE)

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