LA FRANCE PITTORESQUE
5 avril 1693 : fondation
de l’ordre militaire
de Saint-Louis par Louis XIV
(D’après « Histoire de l’ordre militaire de Saint-Louis depuis son institution
en 1693 jusqu’en 1830 » (par Alexandre Mazas), paru en 1855)
Publié le jeudi 4 avril 2024, par Redaction
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Henri III avait institué l’ordre du Saint-Esprit dans l’intention de détourner les grands du royaume d’embrasser le protestantisme, et de ramener ceux d’entre eux qui avaient abandonné la religion catholique. Le royal fondateur mit plusieurs conditions à l’admission des nouveaux chevaliers : il fallait qu’ils fournissent les preuves d’une naissance très ancienne, et en même temps qu’ils fissent profession de foi catholique.

Henri III atteignit le but qu’il s’était proposé. Les défections religieuses cessèrent parmi les grands, et l’ordre du Saint-Esprit se vit placé sur la même ligne que ceux de la Jarretière et de la Toison d’or. Pour ce motif, les rois de France s’en montraient avares et lui assignèrent des limites fort étroites. Le nombre des chevaliers ne devait pas dépasser soixante ; ils étaient choisis parmi les dignitaires de l’État. Par conséquent, très peu d’hommes pouvaient prétendre à l’honneur d’y être admis. D’ailleurs, l’obligation de fournir des preuves d’extraction antique entraînait quelquefois après elle de graves difficultés. Les maréchaux Fabert et Catinat refusèrent de prendre rang parmi les chevaliers du Saint-Esprit, pour n’être pas contraints de répudier leurs aïeux.

En cette situation, on pouvait procéder par analogie, et fonder sur des bases très larges un ordre purement militaire, pour l’obtention duquel les preuves de valeur remplaceraient les preuves de naissance. En outre, l’intérêt de Louis XIV lui commandait de rechercher le moyen de récompenser les services rendus par les officiers sous l’impulsion desquels les armées françaises avaient illustré son règne en remportant des victoires signalées et en faisant de solides conquêtes.

C’est pourquoi le roi résolut d’instituer un nouvel ordre de chevalerie. C’était un genre de gloire auquel un monarque tel que lui devait se montrer sensible. Cette création, destinée à récompenser des services rendus sur le champ de bataille, allait devenir le complément des belles institutions qu’on devait au génie de Louis Le Grand. Les idées qui dominaient alors la société commandaient que l’on plaçât le nouvel ordre sous les auspices de la religion.

Croix de chevalier de l'ordre de Saint-Louis

Croix de chevalier de l’ordre de Saint-Louis. © Musée de l’Armée

Ce fut une très belle conception que celle de choisir dans les propres ancêtres du monarque régnant un saint dans la vie duquel se fussent confondus les actes de piété avec des traits de valeur. L’histoire de Louis IX présentait l’heureux assemblage des exploits du héros et des vertus. Enfin le nom du patron était le même que celui du fondateur. Ceci devait imprimer à la nouvelle décoration un caractère national que n’avaient point les autres ordres de l’Europe.

Louis XIV, menacé par une puissante ligue que des revers successifs ne semblaient nullement rebuter, sentait le besoin de ne rien épargner pour exalter les sentiments de l’armée ; il commença par créer, le 27 mars 1693, sept maréchaux de France, qui furent MM. de Choiseul, de Villeroi, de Joyeuse, de Boufflers, de Tourville, de Noailles et Catinat. Le jour même où cette nomination occupait toutes les imaginations dans les salons de Versailles, le roi annonça comme très prochaine l’institution d’un ordre militaire : en effet un édit de création fut rendu le 5 avril, et enregistré en parlement le 10 du même mois. Le considérant est empreint d’un air de grandeur, que l’on remarque dans les divers actes de ce règne mémorable.

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut.

« Les officiers de nos troupes se sont signalés par tant d’actions considérables de valeur et de courage dans les conquêtes dont il a plu à Dieu de bénir la justice de nos armes, que les récompenses ordinaires ne suffisant pas à notre affection et à la reconnaissance que nous avons de leurs services, nous avons cru devoir chercher de nouveaux moyens pour récompenser leur zèle et leur fidélité.

« C’est dans cette vue que nous nous sommes proposé d’établir un nouvel ordre purement militaire, auquel, outre les marques d’honneur extérieures qui y sont attachées, nous assurerons, en faveur de ceux qui y seront admis, des revenus et des pensions qui augmenteront à proportion qu’ils s’en rendront dignes par leur conduite.

« Nous avons résolu qu’il ne sera reçu dans cet ordre que des officiers encore de nos troupes, et que la vertu, le mérite, et les services rendus avec distinction dans nos armées, seront les seuls titres pour y entrer. Nous apporterons même dans la suite une application particulière à augmenter les avantages de cet ordre, en sorte que nous aurons la satisfaction d’être toujours en état de faire des grâces aux officiers, et que de leur côté, voyant des récompenses assurées à la valeur, ils se porteront de jour en jour avec une nouvelle ardeur à tâcher de les mériter par leurs actions.

« A ces causes, de l’avis de notre conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons créé, institué et érigé, par ces présentes, un ordre militaire sous le nom de Saint-Louis, et sous la forme, statuts, ordonnances et règlements qui ensuivent. »

L’article premier contenait les dispositions d’après lesquelles le roi se déclarait grand maître de l’ordre.

« Art. II. L’ordre de Saint-Louis sera composé de nous et de nos successeurs, en qualité de grands maîtres, de notre très-cher fils le Dauphin, et, sous les rois nos successeurs, du Dauphin ou du prince qui sera héritier présomptif de la couronne ; de huit grands-croix, de vingt-quatre commandeurs, du nombre de chevaliers que nous jugerons à propos d’y admettre. »

« Art. III. Ceux qui composeront ledit ordre de Saint-Louis porteront une croix d’or, sur laquelle il y aura l’image de saint Louis, avec cette différence que les grands-croix la porteront attachée à un large ruban couleur de feu qu’ils mettront en écharpe, et auront encore une croix en broderie d’or sur le justaucorps et sur le manteau. Les commandeurs porteront seulement le ruban en écharpe, avec la croix qui y sera attachée. Les simples chevaliers ne pourront porter le ruban en écharpe, mais seulement la croix d’or attachée sur la poitrine avec un petit ruban couleur feu.

Jeton de l'ordre de Saint-Louis, du temps de Louis XV

Jeton de l’ordre de Saint-Louis, du temps de Louis XV

« Art. IV. Notre intention étant d’honorer le plus qu’il nous est possible ledit ordre, nous déclarons que nous, notre cher fils le Dauphin, les rois nos successeurs, et tous ceux, les Dauphins ou héritiers présomptifs de la couronne, porteront la croix dudit ordre de Saint-Louis, avec la croix du Saint-Esprit.

« Art. V. Nous entendons aussi décorer dudit ordre de Saint-Louis les maréchaux de France, comme principaux officiers de nos armées de terre ; l’amiral de France, comme principal officier de la marine, et le général de nos galères, comme principal officier des galères, et ceux qui leur succéderont dans lesdites charges. »

En vertu de cette disposition, la dignité de maréchal de France donnait le droit d’être chevalier de Saint-Louis ; mais elle n’accordait pas aux titulaires la faculté d’être admis de prime abord dans les deux degrés supérieurs. L’article VI rendait le nouvel ordre compatible avec ceux qui existaient déjà. L’article VII disait que les grands-croix seraient pris parmi les commandeurs, et que les commandeurs seraient pris parmi les chevaliers, de manière à ce que personne ne pût franchir un degré. Les articles VIII, IX et X réglaient les préséances entre les chevaliers du Saint-Esprit et les grands-croix de Saint-Louis.

Le texte de l’article XI était formulé en ces termes : « Nous voulons qu’aucun ne puisse être pourvu d’une place de chevalier dans l’ordre de Saint-Louis s’il ne fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine, et s’il n’a servi sur terre ou sur mer, en qualité d’officier, pendant dix années. » On voit que le fondateur exigeait de la manière la plus formelle des preuves d’orthodoxie ; mais aucune disposition ne prescrivait la moindre preuve en fait de naissance, comme Henri III l’avait exigé en instituant l’ordre du Saint-Esprit. Les opinions s’étaient à cet égard singulièrement modifiées depuis un siècle et demi.

Le choix d’une devise devenait une chose essentielle ; sa composition se trouvait naturellement du ressort de l’Académie des inscriptions fondée par Colbert, et que l’on appelait la petite Académie. Racine et Boileau y avaient été admis en qualité d’historiographes du roi ; on les avait déjà chargés de rédiger les inscriptions placées au bas des tableaux de bataille peints par le Brun. La légende demandée pour l’ordre projeté fut composée par les érudits formant la petite Académie : on regardait la concision comme le principal mérite de ces sortes d’ouvrages ; trois mots suffirent à celle-ci : Bellicæ virtutis praemium (Récompense du courage militaire). Boileau paraît en avoir été le principal auteur. Racine différa cette fois d’opinion avec son confrère ; il aurait voulu que la légende ne renfermât que ces deux mots : Ordo militaris. « Chercherons-nous toujours de l’esprit — dit-il dans sa lettre à Boileau datée du 30 mai 1693 — dans les choses qui en demandent le moins ? »

A l’instar de toutes les décorations royales, la croix de Saint-Louis sera supprimée sous la Révolution. En 1802, Bonaparte créera la Légion d’honneur, en vue de récompenser les mérites civil et militaire, la nouvelle médaille ressemblant beaucoup à celle de l’ordre de Saint-Louis. En 1814, Louis XVIII tentera de recréer l’ordre de Saint-Louis, en vue de le substituer à la Légion d’honneur, mais l’ordre sera supprimé en 1830.

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