LA FRANCE PITTORESQUE
Farces, joyeusetés et facéties
du 1er avril au temps jadis
(D’après « Le Petit Journal illustré », paru en 1934)
Publié le vendredi 1er avril 2016, par Redaction
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Cependant qu’au XVIIIe siècle la plaisanterie classique du 1er avril consistait, dans les milieux professionnels, à envoyer les apprentis nouveaux venus quérir d’improbables articles, au XIXe siècle on vit fleurir de facétieux personnages qui ne rataient pas une si belle occasion d’exercer leur imagination de grand enfant pour commettre quelque tour pendable...
 

Mercier, le pamphlétaire, l’auteur du Tableau de Paris, rapporte qu’à la fin du XVIIIe siècle, il y avait à Paris une plaisanterie classique dont on usait le 1er avril à l’égard des jeunes domestiques frais émoulus de leur province. « C’est, dit-il, d’envoyer un nouveau débarqué chercher une place chez M. Picard, suisse du Château-d’Eau, rue Saint-Honoré. Ce Château-d’Eau n’est qu’une décoration pour faire face au Palais-Royal, et les laquais qui débarquent du coche le prennent pour un château réel. »

Il y avait ainsi, dans les milieux professionnels, des farces qui se répétaient chaque 1er avril et dont les apprentis nouveaux venus étaient les victimes habituelles. Ce jour-là, les épiciers voyaient arriver de jeunes bonnes qui leur demandaient sérieusement « un demi-litre d’huile à effacer les taches », ou « un kilo de sel dessalé ». Chez les menuisiers, on envoyait l’apprenti chercher « la varlope à renfler le bois », le « rabot à dents », ou « la mèche à trous carrés ». Chez les typographes, l’apprenti réclamait par tout l’atelier la pince à « aiguiser le composteur ». Dans les casernes, il se trouvait toujours quelque balourd pour aller demander au bureau du chef « la clef du champ de manœuvres ».


Au XIXe siècle, Henry Monnier fait une farce à un passager d’omnibus

C’était le bon temps où la fameuse facétie de « l’Invalide à la tête de bois » faisait florès. Les vieux briscards se plaisaient à la compliquer et à l’éterniser de leur mieux. Quand un naïf se présentait le 1er avril pour voir l’invalide à la tête de bois, on commençait par le promener à travers les couloirs, du haut en bas de l’édifice... Le glorieux mutilé n’était pas dans sa chambre.

« Il est peut-être à la cantine, disait quelqu’un. » A la cantine, on renvoyait le visiteur chez le barbier. Celui-ci venait tout justement de faire la barbe à l’invalide à la tête de bois. Mais le vieux guerrier devait-être à présent au jardin. Au jardin, on l’avait vu se diriger vers le corps de garde. Au corps de garde, pas plus de tête de bois que sur la main. Le célèbre invalide vient de sortir : « Tenez ! le voilà là-bas qui se promène sur l’esplanade... » Et le nigaud courait... Et les bons vieux riaient avec une joie d’enfant.

Chose curieuse : l’époque florissante des farces du 1er avril, ce fut, entre toutes, celle de Louis-Philippe, l’époque romantique où, pourtant, triomphait la littérature larmoyante. Au nombre des farceurs fameux, on compte Henry Monnier, Romieu, Vivier, qui firent alors la joie de Paris et des provinces.

Henry Monnier (1799-1877)
Monnier fut, à coup sûr, l’un des types les plus étonnants que le XIXe siècle ait produits. Il eut les talents les plus divers, dessina des charges excellentes que Daumier lui-même eût signées, écrivit des livres qui contrebalancèrent la vogue de ceux de Paul de Kock, composa des pièces qui firent courir tout Paris et dans lesquelles il interprétait magistralement le principal rôle ; il fut, en un mot, avec un égal succès, caricaturiste, homme de lettres, auteur dramatique, comédien. Enfin, il créa un type immortel, celui du bourgeois « louis-philippard », du bourgeois candide et prétentieux, solennel et satisfait de soi-même, le type de Joseph Prudhomme.

Comédien, Monnier l’était au suprême degré ; il avait l’art de se transformer, de se camoufler, de contrefaire toutes les voix. Ses victimes d’élection étaient les concierges. Il se plaisait à leur jouer toutes sortes de mauvais tours. L’incorrigible farceur mystifiait les gens pour le plaisir, sans même se préoccuper de savoir quel serait le résultat de ses mystifications.

On conte de lui ce trait. Un 1er avril, notre homme, rôdant aux galeries de l’Odéon, avise un vieux bonhomme tout chenu, quelque vénérable savant du quartier sans doute, qui monte dans l’omnibus de Batignolles-Clichy et va s’asseoir tout au fond de la voiture. Une idée baroque traverse la cervelle de notre loustic. Il s’approche du conducteur, qui fume tranquillement sa pipe en attendant le signal du départ :

— Vous voyez, dit-il, ce vieux monsieur là-bas, dans le fond ? C’est mon oncle, un brave homme, mais un peu... Vous comprenez, à son âge.

— Oui, Monsieur, dit le conducteur, sur un ton de commisération, je comprends.

— Eh bien ! poursuit Monnier, il est attendu, au point terminus, à la porte de Clichy. Il ne faut pas le laisser descendre avant. Il va vouloir descendre en cours de route, c’est sa manière ; empêchez-le. Il ne doit descendre qu’à Clichy seulement.

Ce disant, Monnier glisse une pièce de vingt sous dans la main du conducteur. « Entendu, Monsieur, dit celui-ci, vous pouvez compter sur moi. » Sur ce, l’omnibus démarre. Monnier le regarde partir, faisant de loin des signes d’adieu à son « oncle ». Et puis il s’en va, riant comme une petite folle à la pensée de ce qui va se passer tout à l’heure quand le vieux monsieur voudra quitter la voiture et que le conducteur l’en empêchera.

Auguste Romieu

Auguste Romieu caricaturé par Nadar

Monnier se plaisait à ces sortes de mystifications. Peu lui importait de n’en pas connaître les résultats. Elles ouvraient à son imagination les perspectives les plus folâtres. Cela lui suffisait, et n’était-ce pas là, vraiment, l’essence même de l’esprit mystificateur ?

Auguste Romieu (1800-1855)
Romieu, autre facétieux personnage de la même époque, et qui devait finir dans la peau d’un grave fonctionnaire — il fut directeur des Beaux-Arts —, avait émaillé sa jeunesse d’une foule de plaisanteries dont les mémoires du temps, et, en particulier, ceux d’Alexandre Dumas père, nous ont conservé le souvenir.

C’est lui qui, passant un soir de 1er avril dans le quartier Saint-Germain-des-Prés, pénètre d’un air affairé dans un magasin de nouveautés fort connu à l’enseigne des Deux-Magots. Un employé s’avance :

— Monsieur désire ?

— Je veux voir le patron, dit Romieu.

— Bien, Monsieur, je vais l’appeler.

Le patron arrive, empressé.

— Monsieur, lui dit Romieu, après l’avoir considéré, veuillez m’excuser, ce n’est pas à vous que je désire avoir affaire, c’est à votre associé.

— Mais, Monsieur, je n’ai pas d’associé.

— Vous n’avez pas d’associé ?

— Non, Monsieur, je suis seul à diriger la maison.

— Vous n’avez pas d’associé, reprend Romieu, haussant le ton avec un accent de reproche, mais alors, Monsieur, de quel droit mettez-vous sur votre enseigne : Aux Deux-Magots ?

On imagine aisément si le commerçant sauta sur son mètre afin de corriger l’insolent... Mais Romieu avait filé à toutes jambes et était déjà loin.

Eugène Vivier (1817-1900)
Quant à Vivier, c’était un type d’un autre genre. Musicien de talent, il faisait de nombreuses tournées en province et à l’étranger, et il semait sur sa route les farces les plus abracadabrantes, apportant, dans ses mystifications. un incomparable talent de pince-sans-rire. Résumons une de ses meilleures histoires, celle du « Bourreau de Lille ».

Eugène Vivier

Eugène Vivier en 1856

Ce matin-là, le coupé de la diligence Paris-Lille ne contenait que trois personnes : Vivier, qui allait donner un concert, et M. Paturot, bonnetier à Paris accompagné de Mme Paturot, son épouse, qui se rendait dans la métropole des Flandres pour affaire de négoce. M. Paturot exprimait ses regrets d’être parti :

— Oui, disait-il à Mme Paturot, je viens d’apprendre, en lisant Le Constitutionnel, qu’il y a demain une exécution capitale à Lille. Or, notre hôtel est près de la place où elle a lieu. Je crains que nous ne dormions guère.

Et, se tournant vers Vivier :

— Saviez-vous, Monsieur, que la guillotine devait fonctionner demain à Lille ?

— Hélas ! Monsieur, répondait Vivier avec un calme tragique, qui pourrait le savoir mieux que moi ?... Je suis le bourreau.

— Ah ! mon Dieu ! cria la bonnetière avec un geste d’horreur.

— Que voulez-vous, Madame, reprit Vivier d’un ton plein de bonhomie, dans ma famille nous sommes bourreaux de père en fils... Et puis il n’y a pas de sot métier.

Il y eut, après cela, quelques minutes de silence. Le mystificateur, en fin psychologue qu’il était, savait bien que les choses n’en resteraient pas là. En effet, bientôt la bonnetière se penchait vers lui :

— Je vous demande pardon de ma curiosité, Monsieur, mais, dites-moi, quand vous faites... votre métier, éprouvez-vous quelque émotion ?

— Aucune, Madame.

— Jamais ?

— Jamais !... Sauf, toutefois, quand je guillotine un innocent.

— Un innocent !... On guillotine donc quelquefois des innocents ?

— Pas très souvent, mais de temps en temps ; il le faut bien, pour l’exemple. Et, tenez, celui que je vais exécuter demain est innocent.

— Est-il possible !... On le sait et on le guillotine tout de même !...

— C’est évidemment fâcheux, Madame... Mais les crimes étaient nombreux dans le département. On ne trouvait pas les coupables. Alors, on a pris celui-là. Il est célibataire, orphelin, seul au monde, et ne tient pas autrement à la vie. Il se débattait bien un peu ; avec de la douceur on a fini par le faire avouer... Ah ! ça n’a pas été commode. En quittant l’audience, après le verdict, il disait encore aux gendarmes qui l’escortaient : « Tout de même, je suis innocent !... » Et le brigadier lui répondait : « C’est entendu, mon garçon, mais résignez-vous en pensant à l’immense service que vous rendrez à la société ! » Et le brave garçon s’est résigné. Voilà pourquoi j’aurai peut-être un peu d’émotion en le guillotinant demain matin.

Par là-dessus, le mystificateur coiffait un madras, se calait dans son coin et s’endormait du sommeil du juste.

Un art qui se perd
Aujourd’hui, l’art de la mystification a quelque peu dégénéré. A partir du XXe siècle, les bonnes farces défrayant la chronique ne sont plus nombreuses. Quelques fantaisies de Sapeck, d’Alphonse Allais, de Paul Masson, qu’on avait surnommé Lemice-Terrieux et qui excellait dans l’art de répandre les fausses nouvelles ; et quelques mystifications dont les victimes furent des membres du Parlement, telle la fameuse histoire de la statue d’Hégésippe Simon... C’est à peu près tout. Au surplus, on ne pense plus guère à se gausser les uns des autres. Trop de préoccupations graves nous assiègent.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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