LA FRANCE PITTORESQUE
Oeufs de Pâques : fantaisies
gastronomiques et décoratives
(D’après « Le Mois littéraire et pittoresque », paru en 1910)
Publié le samedi 3 avril 2021, par Redaction
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Pâques est par excellence la fête des oeufs : légendes et présents s’y rattachent, semble-t-il, avec toute la fatalité d’un mystère antique. Symbole d’éclosion et de joie, leur forme harmonieuse se prête à toutes les décorations, s’adapte à tant d’usages que mille objets de luxe et d’utilité l’empruntent sans rien perdre de leur grâce ou de leur destination pratique.
 

En sucre, en chocolat, en carton, en vannerie, en porcelaine décorée — étuis à surprises ou friandises de choix —, les œufs de Pâques resplendissent aux vitrines : il y en a pour toutes les bourses et de toutes les tailles, depuis le petit œuf qu’achètent les écoliers jusqu’aux délicieuses fantaisies enrubannées et embaumées qui portent la marque des faiseurs en renom.

C’est une fabrication importante, à laquelle non seulement la confiserie trouve son compte, mais qui intéresse encore différents corps de métier, principalement ceux dans lesquels triomphent l’adresse des doigts, le tour de main, la grâce coquette avec quoi se crée « l’article de Paris » dans tant d’industries diverses. Lorsque se trouve terminée la fabrication des bibelots d’étrennes, les ateliers préparent la « saison » de Pâques : on s’ingénie à rajeunir les formes et les garnitures, à en combiner de nouvelles en rapport avec le goût du jour, à présenter enfin de façon séduisante l’objet qui constituera l’article en vogue, le succès de l’année : attelages de poussins ou de coqs, carillons de cloches, poules couveuses, panier de fermière, nids cachés sous les fleurs...

On a fait cette remarque curieuse que, plus la fête de Pâques se trouvait reculée dans l’année, plus la clientèle se montrait empressée : elle ne pense plus aux lourdes acquisitions liées aux festivités de fin d’année, et les bourses se délient pour de nouveaux présents.

C’est une très vieille coutume que celle d’offrir, le jour de Pâques, des œufs en guise de cadeau : on distribuait jadis de simples œufs de poule, parfois teints de couleurs diverses, gardés pendant le Carême et mangés au jour de la Résurrection en signe de réjouissance.

Au XIIIe siècle, à Paris, les clercs d’église et les étudiants de l’Université se réunissaient sur le parvis de Notre-Dame pour chanter laudes le Samedi-Saint et se répandaient ensuite par la ville pour quêter les œufs de Pâques. C’est une tradition que l’on retrouve dans les vieilles coutumes de nos provinces : de nos jours encore, les enfants des campagnes — surtout les enfants de chœur — vont ainsi de porte en porte en chantant des cantiques.

La fête de Pâques coïncide avec l’époque des pontes les plus abondantes chez les poules, et l’on a remarqué que cette date suscitait un mouvement d’affaires considérable parmi tous les pays d’Europe pour la vente des œufs : à l’étranger, comme dans nos villages, c’est l’œuf naturel qui se trouve mêlé aux réjouissances populaires. A Nantes, le lundi de Pâques, se tient encore, au début du XXe siècle, sur la route de Paris, la grande foire aux œufs : il en existe alors une autre à Châteauneuf. Aux manches les plus renommées du Berry, à Chavy ou à Bois-Gros, on mange force œufs durs les lundi et mardi de Pâques, et les quêteurs se nomment cacoteux.

C’est également à cette époque qu’apparaît chez les fruitiers parisiens l’œuf rouge, qui date — le croiriez-vous ? — du règne de Louis XIV ! Le premier industriel qui s’avisa d’en fabriquer en grande quantité pour les vendre fut un nommé Solirène, qui s’était établi à la descente du Pont-Neuf, près de la Samaritaine.

L’œuf en chocolat et en sucre rempli de bonbons est le cadeau par excellence du jour de Pâques dans la société moderne : ce n’est guère que depuis le commencement du XIXe siècle que la confiserie s’en mêle, et, s’il vous plaît de savoir comment se fabriquent contenant et contenu, entrons chez un des plus renommés industriels qui veut bien nous livrer les mystères de son laboratoire.

C’est une vaste usine de confiserie et de chocolaterie où se broient les cacaos, où se malaxent les pâtes fines et fondantes, les mélanges parfumés qui composeront des bonbons exquis. Passons devant les « caches » d’amidon en poudre où se cristallisent les globules de liqueur, devant les lourdes bassines, sans cesse remuées, où sèche, couche par couche, le sucre des dragées, et regardons bouillir dans son poêlon de cuivre rouge le sirop destiné à la confection des œufs blancs ou roses. Une fois atteint le degré de cuisson voulu, ce sirop sera versé dans des moules en plâtre, préalablement mouillés d’eau tiède pour faciliter le « détachage » de la pièce refroidie et prête à passer à l’étuve.

C’est un travail délicat, exigeant beaucoup de dextérité, car une seconde de plus ou de moins suffit pour manquer la cuisson ; la température des moules doit être toujours égale afin d’obtenir des surfaces nettes, sans cassures ni « graine ». Notons, en passant, que l’œuf lisse a presque entièrement détrôné l’ancien œuf en sucre candi dont les cristallisations brillaient en facettes diamantées, mais dont la fabrication, paraît-il, exigeait des soins trop minutieux.

Plus loin, sur des tables de marbre maintenues à une température constante par un chauffage intérieur, se délayent les pâtes de chocolat. Là, les moules sont en fer-blanc. L’ouvrier passe d’abord dans le creux, au pinceau, une mince couche de pâte presque liquide — c’est la « couverture » —, qui, en raison de sa fluidité, prendra au refroidissement un ton plus lisse ; la pâte la plus épaisse est ensuite tassée contre les parois du moule, égalisée au tampon, soigneusement pressée afin d’éviter les bulles d’air ou les défauts résultant d’une inégale compression. Le refroidissement s’opère dans des caves, à une basse température.

Tous ces œufs sont en deux parties séparées, que réunit, après leur remplissage, un lien de ruban ; mais il est des œufs de petite dimension qui sont coulés d’une seule pièce, ingénieusement creusés au milieu pour que s’y place la « surprise » : bibelot, breloque ou menu jouet qui en constitue l’attrait. Voici encore des œufs naturels, ingénieusement percés et vidés pour être remplis de gelée ou de crème ; des œufs minuscules posés dans des nids de sucre filé sur un socle de nougat ; les œufs fondants, les œufs dragées. Nous saurons, de plus, que les œufs de chocolat les plus communs, recouverts d’arabesques ou de motifs en sucre blanc, se décorent au « cornet » tout comme les petits cochons de la foire aux pains d’épices, et que, dans la fabrication fine, il n’est employé que du chocolat de qualité supérieure, ce qui, avec les difficultés d’exécution, explique le prix fabuleux de certaines pièces.

C’est de chez le cartonnier, par exemple, et de chez le gainier que sortiront les œufs de satin tendu, peint, brodé, ou même recouverts de simples chromos. Les fleuristes en confectionnent d’autres tout en fleurs naturelles ou artificielles, roses, violettes, narcisses, primevères. Chez les fabricants de jouets, les œufs de cartonnage ou de vannerie contiennent des trousseaux et des ménages de poupées. Enfin, ce sont, paraît-il, les cristalleries d’Allemagne et de Bohème qui fournissent les articles de porcelaine et de verrerie. On voit quel personnel de confiseurs, de colleuses, de garnisseuses, de brodeuses, d’ouvriers et d’ouvrières de toutes sortes, s’occupe de l’éclosion des œufs de Pâques !

Autrefois, à la cour de France, le roi distribuait des oeufs de couleur aux dames de la cour, le jour de Pâques. Au XVIIIe siècle, ces présents prirent une valeur inattendue parce qu’on s’avisa de les décorer d’une manière artistique. Lancret et Watteau ne dédaignèrent pas d’y peindre de fraîches miniatures. Bien avant cette époque, d’ailleurs, les œufs de Pâques avaient été le prétexte de luxueuses ou galantes surprises. Henri II offrit ainsi à Diane de Poitiers un collier de perles dont l’écrin se trouvait formé par deux coquilles de nacre.

Ce fut un présent plus austère que fit, sur le tard, Louis XIV à Mme de la Vallière, repentante et retirée chez les Carmélites, où elle reçut, de la part du roi, un œuf de Pâques contenant un morceau de la vraie Croix. Les idées de Louis XV n’étaient pas, à beaucoup près, aussi édifiantes, et la comtesse de Berry se vit gratifiée d’un simple œuf de poule entièrement recouvert d’une couche d’or fin et valant plus de 400 livres, œuf dont le marquis de Boufflers disait plaisamment : « Si on le mange à la coque, j’en retiens la coquille ! »

Ces petits œufs peints et dorés firent fureur sous Louis XV et Louis XVI ; on en fabriqua d’autres qui s’ouvraient et dans lesquels se trouvaient représentés des décors avec des personnages minuscules : on en conserve encore de cette sorte, à Versailles, qui furent offerts à Madame Victoire et à Madame Elisabeth, filles de France. Un émule de Vaucanson en construisit un dans lequel un coq automatique chantait des airs d’opéra, et qui coûta plus de 20000 francs.

Avec le XIXe siècle, l’œuf de Pâques devint l’apanage de la confiserie, et la fabrication moderne ne compte plus ses pièces remarquables, historiques ou humoristiques, dont il est fait hommage aux reines du monde et du théâtre, voire même aux impératrices régnantes. Tout le monde sait que le plus grand œuf de Pâques en chocolat qu’on ait jamais fabriqué, et qui contenait le plus gigantesque éventail de plumes qui soit sorti des ateliers parisiens, fut offert, au début du XXe siècle, à Sarah Bernhardt.

Pour charmantes que soient ces coûteuses fantaisies, elles ne causèrent assurément pas de transports plus vifs que ceux des bambins de condition modeste recevant une friandise depuis longtemps convoitée ; que soit donc bienvenue cette éclosion des œufs de Pâques qui éclaire d’un sourire des visages de femmes et fait s’épanouir, dans leur naïf bonheur, tant de petites figures d’enfants !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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