LA FRANCE PITTORESQUE
Catastrophe au sein de la mine de charbon
de Courrières : une explosion fait 1200 morts
(D’après « Le Petit Journal. Supplément du dimanche », paru en 1906)
Publié le jeudi 10 mars 2016, par Redaction
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L’épouvantable tragédie qui se déroula le 10 mars 1906 dans la grande concession de charbon du Pas-de-Calais située entre Lens et Courrières, fut l’une des plus importantes de l’histoire minière, et fit battre de douleur et d’épouvante le coeur de la France entière. Un coup de grisou dévastait 110 km de galeries, et trois jours après l’explosion les recherches destinées à trouver des survivants étaient abandonnées, une partie de la mine étant condamnée pour étouffer l’incendie et préserver le gisement. Quatorze rescapés parvinrent à remonter après l’arrêt de l’opération de sauvetage : sur 1664 mineurs descendus avant l’explosion, 1200 restèrent ensevelis.
 

C’est dans ces circonstances que s’affirmèrent le courage, l’héroïsme, l’esprit de dévouement et de solidarité des sauveteurs, humbles ouvriers pour la plupart, qui, d’un commun accord, donnèrent le plus admirable exemple. À la nouvelle du sinistre, ils arrivèrent de tous les points du pays désolé. Et ce fut, aux alentours des puits, un spectacle saisissant que celui de tous ces braves attendant, dans l’immobilité et le silence, leur tour de danger.

Leurs chefs, les ingénieurs, leurs contremaîtres, les porions, les précédaient ; et tous ces hommes descendirent vers la mine meurtrière, en quête de cadavres ; simplement et dignement, ils s’acheminèrent vers l’abîme, pour retirer du brasier, où la mort avait entassé ses victimes, de pauvres loques humaines où vivaient la veille des âmes amies. Tant de dévouement prodigué fut malheureusement infructueux. Tous ceux qui ne purent se sauver dès les premières heures qui suivirent la catastrophe restèrent enfouis dans les galeries, asphyxiés par les gaz délétères ou carbonisés par le feu.

Courrières. La population affolée autour des puits en feu est maintenue par les gendarmes

Courrières. La population affolée autour des puits en feu est maintenue par les gendarmes

Combien peu s’échappèrent !... Et quelles affres subirent-ils ces malheureux ! Voulez-vous le savoir ? Ecoutez ce récit, fait par l’un d’eux, le mineur François Cerf, sauvé miraculeusement de la mort. A peine remonté au jour, cet homme demeura sur le carreau de la fosse, refusant de retourner au coron.

— Qu’attendez-vous donc, mon ami ? lui dit un ingénieur.

— J’attends le cadavre de mon petit, répondit-il en pleurant.

Et il raconta les terribles péripéties de sa fuite à travers les galeries croulantes et les gaz asphyxiants :

« J’étais descendu à quatre heures du matin, dit-il, et je travaillais dans une galerie entre le puits 3 et le puits 2 avec une quarantaine de camarades, quand, à sept heures cinq, j’entendis comme un grand coup de canon qui ébranla tout autour de moi ; en même temps, des gaz infects sifflaient à nos oreilles. Nous nous blottîmes tous dans une poche de galerie pour laisser passer la bourrasque.

« Nous restâmes là un temps que je ne saurais déterminer et, à tout instant, nous entendions le bruit d’écroulements qui nous arrivaient des diverses galeries. Puis, nous nous sentîmes étouffer ; les gaz nous empoisonnaient ; alors le porion nous dit : Mes enfants, si nous restons ici, nous allons mourir, il faut tâcher de sortir. Il se leva et nous le suivîmes. Des cadavres, il y en avait de tous côtés, et des remblais et des débris de boisages. Mon fils venait derrière moi avec mon jeune neveu. Celui-ci s’étant senti faiblir, je le pris sur mes épaules ; le porion allait devant. Il prenait une galerie, puis criait : Arrière ! arrière ! les gaz envahissent !

« Ainsi, nous avons tâtonné de sept heures du matin à quatre heures de l’après-midi. De temps en temps, l’un de nous tombait ; il ne fallait pas songer à lui porter secours ; car nous nous sentions mourir et il s’agissait de sortir au plus vite. Le porion lui-même était tombé au fond d’une galerie en nous criant de nous sauver ; il est resté là-bas.

« Enfin, je tombe sur les genoux, mon neveu toujours sur mes épaules ; je me traîne jusqu’à « l’accrochage ». Des camarades-nous attendaient là. On nous entasse mourants sur les bennes et l’on nous ramène au jour.

« Quand je repris mes sens, je m’aperçus que nous n’étions plus que vingt-quatre, et mon fils n’était pas là ! Pauvre petit, il est resté au fond ; il avait quinze ans ! »

Courrières. Les corps des victimes sont amenés au jour

Courrières. Les corps des victimes sont amenés au jour

Et l’homme pleurait toujours, silencieusement... De combien de scènes tragiques de ce genre les trois fosses atteintes par la catastrophe, furent-elles le théâtre... La catastrophe passée, le drame n’était plus au fond des galeries souterraines, mais à la surface du sol, dans ces villages privés soudainement de la moitié de leur population ; il était dans chaque maisonnette de ces corons, si gais naguère avec leurs chambres aux carreaux rouges poudrés de sable blanc, et maintenant plongés dans la douleur et dans le deuil. Des familles perdirent les deux tiers de leurs membres. Une vieille femme pleurait ses deux fils et ses cinq petits-fils ; une autre, plus jeune, avait perdu son père, son mari, son frère et son enfant, un pauvre petit « galibot » de quinze ans. Tous les foyers étaient vides. C’était la ruine, c’est le désespoir.

La fatalité sinistre voulut que tout secours fût superflu. Et pourtant, jamais peut-être aucune catastrophe ne détermina pareille crise d’énergie et d’héroïsme. Des hommes, même, trouvèrent la mort en cherchant à sauver leurs compagnons : l’ancien porion Sylvestre, s’étant engagé dans une galerie que l’on venait de dégager, alla trop loin et fut asphyxié ; le surveillant Blaise, descendu deux fois et remonté sans connaissance, voulut redescendre encore ; cette fois, il ne put revenir de sa syncope, et, transporté chez lui, il y mourut en arrivant.

D’autres, pendant deux jours, usèrent leurs forces à tenter de pénétrer dans les galeries empoisonnées. A plusieurs reprises, on remonta des ingénieurs qui avaient perdu connaissance, des ouvriers épuisés de souffrance et de fatigue. D’autres encore donnèrent l’exemple d’une énergie farouche, tel ce délégué mineur Simon qui, ayant sauvé dix-sept hommes, retourna dans la fournaise où l’un de ses fils gisait parmi les morts.

La concession de Courrières où venait de se produire cet épouvantable sinistre était la plus ancienne du Pas-de-Calais et l’une des plus importantes de France. Elle avait été mise en exploitation un peu plus d’un demi-siècle auparavant, en 1852. C’est un ingénieur des mines d’Anzin, nommé Charles Mathieu, qui, le premier, y avait trouvé du charbon, et y avait créé les trois premières fosses : celles de Courrières, de Harnes et de Billy-Montigny, cette dernière sur le territoire même où se trouvait le puits n° 2, l’un des trois que la catastrophe ravagea.

De l’avis de tous les ingénieurs, le gisement de Courrières était des plus remarquables par la puissance et la régularité de ses couches. Aussi, dès 1857, produisait-il déjà 70 000 à 80 000 tonnes par an. En 1875, la production était de près de 450 000 tonnes ; en 1895, elle dépassait 1 500 000. Et l’année précédant le drame, elle était de plus de 2 300 000 tonnes. L’exploitation, qui se faisait par douze puits, s’étendait sur 5 439 hectares et occupait environ 9000 ouvriers, dont 7500 travaillent au fond et 1500 à la surface.

Ces travailleurs étaient logés dans 2300 maisons ouvrières construites sur deux modèles différents, par les soins de la Compagnie. Les habitations, installées avec confort et hygiène, formaient des cités qu’on appelait, dans la région, des « corons ». Tel est le milieu dans lequel vivaient et travaillaient les mineurs.

En dépit du terrible événement qui venait de se produire, les risques étaient alors moins grands qu’autrefois. Jadis, les mineurs gagnaient le fond des mines au moyen d’échelles placées dans un puits spécial. Il leur fallait ensuite, après une journée de travail, qui ne comptait pas moins de dix heures, remonter par ces mêmes échelles, mesurant toujours de trois à quatre cents mètres. Une minute de vertige, un échelon manquant, et le pauvre diable était précipité dans le gouffre de boue qui stagne au fond des puits et que les mineurs désignaient sous le nom de « bouniou ».

Cette gymnastique, outre qu’elle avait pour résultat de leur faire à tous des pieds plats et de les rendre impropres au service militaire, était si dangereuse que la plupart préféraient, pour peu qu’ils fussent asthmatiques, cas fréquent chez ceux qui vivent dans la poussière, rester huit jours sous terre et ne revoir le soleil qu’une fois par semaine. Certains obtenaient la permission de se faire remonter par le puits d’extraction. Mais là, les risques étaient plus grands encore. On amenait alors le charbon au jour par un procédé des plus simples : un treuil, une corde et deux tonneaux, dont l’un descendait tandis que l’autre montait. Or, il arrivait souvent, lorsqu’un mineur prenait, pour remonter, ce dangereux moyen, que les deux tonneaux se rencontraient, ou que celui dans lequel se trouvait l’ouvrier allait heurter les parois du cuvelage, ou bien encore que le fond se détachait ; et, dans les trois cas, c’était pour le mineur la mort à peu près certaine.

Courrières. Les sauveteurs découvrent un amoncellement de cadavres

Courrières. Les sauveteurs découvrent un amoncellement de cadavres

Ajoutons que les mines étaient très mal ventilées et que, par ce fait même, il y régnait une température insupportable et le grisou y faisait des ravages considérables. L’invention de la cage à parachute et les procédés modernes d’aération remédièrent à tout cela. À l’époque de la catastrophe, les mineurs gagnaient leurs chantiers ou en revenaient sans risquer vingt fois leur vie et ils descendaient à 300 mètres où ils remontaient en moins de deux minutes, alors qu’il leur fallait, avec les échelles, une demi-heure au moins pour descendre et une heure pour remonter, ce qui, surtout après le travail, était exténuant.

Quant aux procédés d’aération, ils permettaient, en 1906, de respirer au fond aussi bien qu’à l’air libre, et ils avaient absolument chassé le grisou d’un grand nombre de mines. Dans nos houillères septentrionales, il existait des appareils qui ne débitaient pas moins de sept à huit mille litres d’air par seconde... Or, parmi toutes ces mines, celles de Courrières étaient renommées pour leurs installations. Il n’y avait pas plus de deux mois qu’une grande commission allemande envoyée pour visiter nos mines le proclamait dans son rapport. Et l’affreux sinistre venait tout à coup démontrer l’insuffisance de ces précautions, l’inanité de ces installations modernes basées sur la science, et dont chacun vantait la puissance et l’efficacité.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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