LA FRANCE PITTORESQUE
19 février 1816 : mort de l’ingénieur
métallurgiste Jean Guillot-Duhamel
(D’après « Supplément de la Biographie universelle ancienne
et moderne » (Tome 63), paru en 1837)
Publié le jeudi 18 février 2016, par Redaction
Imprimer cet article

Né à Nicorps, dans le voisinage de Coutances (Manche), le 31 août 1730, Jean-Pierre-François Guillot-Duhamel appartenait à une famille de médiocre condition. Après avoir appris un peu le latin, il fut mis chez un procureur. Mais, malgré le proverbe qui nous donne les Normands si passionnés pour la plaidoirie, le jeune homme prit vite en grippe le plumitif, les dossiers ; et un beau matin, sans dire mot, il dirigea ses pas vers Caen pour s’y réfugier sous l’aile d’un oncle, jadis ingénieur, mais qui, las des mécomptes et des insuccès dont avait été semée sa carrière, était venu se reposer de ses tribulations dans un couvent de capucins, et en était devenu le gardien.

Ce digne religieux démêla qu’un enfant aussi timide et aussi réservé que son neveu ne pouvait avoir été conduit à un acte de désertion aussi éclatant que par une antipathie insurmontable pour la chicane, et il ne lui imposa d’autre pénitence que d’apprendre quelque autre chose. Il eut la joie de le voir mordre aux mathématiques, qu’il lui enseignait lui-même ; et bientôt l’élève fut plus fort que le maître.

Il lui fit faire alors le voyage de Paris, où Trudaine père venait de provoquer l’organisation de l’École des ponts et chaussées : le jeune homme se présenta comme candidat, et fut reçu. Il avait passé à l’école le temps requis et allait entrer dans le corps des ponts et chaussées, lorsqu’une nouvelle idée de Trudaine le jeta dans une autre voie. Cet habile administrateur formait alors le projet d’une École des mines.

Mais, à cette époque, il n’existait pas dans toute l’Europe un homme capable de professer, même médiocrement, la science des mines. Toutes les opérations du mineur étaient soumises à un grossier empirisme : on fouillait, on poussait les travaux au hasard, on recueillait une infinité de matières vides de minerai ; on manquait de riches filons ; on ignorait plus des trois quarts des mines qui ont depuis été ouvertes avec tant de profit pour la France. Si l’on connaissait déjà beaucoup de faits, d’une part personne ne les connaissait tous ; de l’autre, personne n’en saisissait les véritables rapports et n’avait ce qu’il fallait pour les grouper, pour planer sur leur ensemble. Enfin, c’est hors de France, c’est en Allemagne que l’ignorance générale était au moindre degré, et c’est de l’allemand qu’étaient traduits les maigres manuels que, faute d’autres ouvrages, employaient les chefs de mines.

Jean-Rodolphe Perronnet, premier directeur de l'École des ponts et chaussées

Jean-Rodolphe Perronnet, premier directeur
de l’École des ponts et chaussées

Le premier pas donc pour avoir un professeur de l’art des mines était d’envoyer sur les lieux, c’est-à-dire dans les entrailles de la terre et au milieu des ouvriers, des savants qui consentissent à suivre pied à pied leurs travaux, à recueillir de leur bouche les faits variés, fruits de leur expérience, à s’instruire par leurs yeux, et presque par leurs mains, des procédés d’un art jusqu’à cette époque enveloppé de mystères ; puis plus tard à comparer les résultats de ces recherches, à les grouper, à en saisir l’ensemble et les lois.

Gabriel Jars (1732-1769) et Jean-Pierre Guillot-Duhamel furent désignés au fondateur de l’École des ponts et chaussées Daniel-Charles Trudaine par son premier directeur Jean-Rodolphe Perronnet (1708-1794) pour remplir cette mission. Ils commencèrent par visiter en 1752 et 1753 le peu de mines que nous exploitions en Forez, dans les Pyrénées et dans les Vosges. Au commencement de 1754, ils partirent pour l’Allemagne, et d’abord descendirent dans les célèbres mines du Hartz. Ils passèrent de là en Autriche et dans les provinces illyriennes. Leur aménité, leur savoir les firent partout accueillir avec faveur.

Plusieurs souverains cherchèrent à se les attacher ; et le gouvernement autrichien, entre autres, leur fit des propositions avantageuses. Ils eussent bien fait dans leur intérêt de les accepter ; car lorsqu’ils revinrent dans leur patrie, tout avait changé de face à la cour et au ministère. Trudaine avait prudemment ajourné ses plans. Duhamel se vit derechef obligé de changer de carrière. Il se résigna en silence ; et, consacrant ses talents au service des particuliers, il se créa bientôt des ressources suffisantes.

En 1764, il s’engagea dans une grande fonderie de cuivre à laquelle étaient annexées plusieurs usines. On ne tarda pas à s’y apercevoir de l’utilité de la science dans des opérations jusque-là routinières ; les frais furent diminués, les produits doublés. Dès 1767, Duhamel avait découvert un procédé pour la cémentation — procédé consistant à enrichir du fer ou de l’acier en carbone pour le durcir. Dès cette époque, on fabriquait de l’acier assez parfait pour que les Anglais, jaloux de se maintenir dans leur réputation exclusive d’en fabriquer du plus beau, l’achetassent, bien qu’il s’en fabriquât par an trois cents milliers.

Duhamel était encore au service du riche concessionnaire de mines, lorsqu’il conçut le projet d’établir des fonderies et des forges dans les Landes, et de tirer ainsi parti des pins si nombreux et alors si peu utiles de cette région. Il avait fait tous ses préparatifs pour se rendre à sa nouvelle destination ; son traité avec le bailleur de fonds était signé, lorsque le patron, instruit de ce qu’il méditait, le fit saisir brutalement par des soldats et garder à vue dans sa maison. Il fallut pour faire cesser cet indigne traitement que des amis de Duhamel allassent se plaindre en cour de la violence scandaleuse du patron. Il ne tarda point à redevenir libre, et même, comme cette aventure rappela et fit retentir son nom dans les bureaux du ministère, il vit se rouvrir pour lui la porte des emplois.

Il ne cessa pourtant point de regretter amèrement l’occasion qu’il avait manquée et qui, suivant ses calculs, devait au bout de quelques années le mettre à la tête d’une fortune indépendante, toujours plus sûre que les places même inamovibles. Il fut d’abord nommé en 1775 commissaire du conseil institué pour l’inspection des forges et des fourneaux. Lors de l’établissement de l’École des mines — sur ordonnance du roi Louis XVI en date du 19 mars 1783 —, il eut la chaire d’exploitation et de métallurgie, récompense un peu tardive ; car il y avait vingt ans que cette place lui avait été en quelque sorte promise par Trudaine. Correspondant de l’Académie des sciences depuis 1775, il en devint membre en 1786.

Entrée de l'École des mines de Paris. Gravure de 1897

Entrée de l’École des mines de Paris. Gravure de 1897

La Révolution, en brisant l’Ancien Régime, priva Duhamel de toutes ses places, et même en dépit de son caractère pacifique lui fit courir quelques risques. Heureusement sa vie modeste et retirée lui avait permis d’économiser. Il acheta des terres en Amérique, et il se proposait de mettre à la voile pour s’y rendre lorsque les approches du 9 thermidor — chute de Robespierre le 27 juillet 1794 et fin de la Terreur — se firent sentir. Il resta, et fit bien ; des gouvernements plus doux apprécièrent ses talents, et lui rendirent l’équivalent de ses places : il fut compris d’emblée dans l’Institut, académie des sciences ; avec sa chaire, il cumula le titre d’inspecteur-général des mines.

La vieillesse le força de donner sa démission comme professeur, en 1811, après trente ans d’exercice, interrompus seulement par la crise sociale qui bouleversa la France. Il avait alors quatre-vingt-un ans. Il vécut encore cinq ans, souvent harcelé par des douleurs de goutte, et désolé de ne pouvoir, comme par le passé, se rendre à l’Académie des sciences, où on le voyait écouter silencieusement et avec attention. Il mourut le 19 février 1816.

Duhamel était, suivant l’expression de Cuvier, un savant de la vieille roche, un de ces hommes profonds, utiles, modestes, qui ne font aucun éclat ; un de ces philosophes sans morgue qui, face à face avec les mécomptes de la vie, se retournent sans récrimination d’un autre côté et se créent des ressources sans se plaindre. Il était d’une bonté dont rien n’approche. Les succès de ses collègues ne trouvèrent jamais en lui un détracteur. Il ne contrecarrait même pas ceux qui avaient tort. Très désintéressé, il publia en 1777 son procédé pour la cémentation de l’acier. Depuis on a demandé des brevets d’importation pour la prétendue introduction en France de cette prétendue découverte anglaise : il ne réclama point la priorité.

Il en est ainsi de plusieurs procédés qu’on doit à Duhamel, et auxquels il négligea d’attacher son nom. Dès 1772, par exemple, pendant un voyage aux Pyrénées, il fixa l’attention publique sur l’économie des forges à la Catalane, et constata que ce mode de traiter le minerai de fer est possible avec d’autres fers que ceux des Pyrénées. En 1775, lors d’une visite à Huelgoat, il découvrit qu’une matière, d’apparence terreuse, qu’on rejetait comme inutile, était encore très riche en plomb et en argent. En 1779 il proposa un perfectionnement à la liquation de l’argent, c’est-à-dire à la manière de séparer l’argent du cuivre à l’aide du plomb.

En 1783 il imagina un instrument propre à mieux suivre la direction des filons dans l’intérieur du globe, et à fixer les points où ils se croisent entre eux. En 1784 il enseigna un procédé pour tirer parti des galènes — minerai composé de sulfure de plomb — les plus pauvres ; un autre pour utiliser la plupart des scories du plomb ; un autre pour retirer l’or et l’argent des cendres des orfèvres ; un autre enfin pour traiter sans peine les mines riches en fer (ce moyen est l’addition en proportion convenable de matière terreuse qui produise un laitier suffisant pour empêcher la combustion).

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE