LA FRANCE PITTORESQUE
Calendriers au fil des siècles :
julien, grégorien, républicain
(D’après « Musée universel : revue illustrée hebdomadaire », paru en 1872)
Publié le jeudi 16 août 2018, par Redaction
Imprimer cet article
Aujourd’hui familier, le calendrier grégorien, conçu à la fin du XVIe siècle pour corriger la dérive séculaire du calendrier julien de Jules César alors en usage, s’est étendu à l’ensemble du monde au début du XXe siècle : mais à bien l’examiner, on observe que le choix du nom des mois procède d’une singulière logique, fruit d’un assemblage hétéroclite que le calendrier républicain souhaita détrôner sans succès.
 

Le calendrier est à l’année ce que le cadran d’une horloge est au jour. Ils indiquent l’un et l’autre les divisions naturelles et les divisions arbitraires des deux mouvements de translation et de rotation du globe terrestre. Seulement, le second est mieux fait que le premier. Il représente fidèlement la durée d’une révolution apparente du soleil autour de la terre, ou mieux d’un tour exécuté par celle-ci sur elle-même.

Au moment où une pendule bien réglée marque minuit, une journée s’achève et une autre commence réellement pour le lieu où se trouve la pendule, parce qu’en ce moment le soleil est au méridien de l’hémisphère opposé. Lorsque la pendule marque midi, le jour est réellement à la moitié de sa durée ; le soleil est au zénith ; il a monté jusque-là au-dessus de l’horizon ; il va commencer à redescendre. En un mot, la pendule ne nous trompe pas. Le calendrier n’est pas aussi véridique. A l’en croire, l’année commence le premier janvier.

Or, que représente astronomiquement parlant, cette date du premier janvier ? Elle ne représente rien du tout. Seulement, lorsque le grand Jules César, imperator, consul, tribun perpétuel et souverain pontife, institua le calendrier qui porte son nom — et qui fut, il faut lui rendre cette justice, un progrès notable sur les calendriers antérieurs —, il eut d’abord l’idée très judicieuse de placer le premier jour du premier mois de son année au solstice d’hiver. Mais il paraît que les Romains bien pensants, conservateurs et orthodoxes furent fort scandalisés par cette innovation, et ce fut pour leur complaire que César recula de sept jours le commencement de l’année, afin de le faire coïncider avec la nouvelle lune.

Ce calendrier demeura en usage dans le monde romain, puis dans le monde chrétien pendant plus de seize siècles, bien qu’il présentât une inexactitude assez notable, puisque l’année, telle qu’il la mesurait, excédait l’année solaire de plus de 11 minutes, ce qui faisait une différence d’un jour en 130 ans environ.

En 1582, le besoin se fit sentir de corriger cette cause d’erreur, et le pape Grégoire XIII, lui aussi comme souverain pontife, chargea une commission d’astronomes de remplacer le calendrier Julien par un calendrier plus parfait. Celui-ci, qui prit naturellement le nom de calendrier grégorien, ne diffère du précédent que par le mode d’intercalation du jour complémentaire dans les années bissextiles.

La commission de réforme calendaire devant le pape Grégoire XIII

La commission de réforme calendaire devant le pape Grégoire XIII

Il fallut néanmoins, pour remettre pour ainsi dire à sa place la première année du calendrier réformé, pour ramener au 21 mars l’équinoxe de printemps, qui, depuis l’année du concile de Nicée (325), avait rétrogradé jusqu’au 11 du même mois, il fallut donc abréger cette année de 10 jours, et le 5 du mois d’octobre fut compté pour le 15. La concession faite par Jules César aux idées de son temps n’en subsiste pas moins dans le calendrier grégorien, sans même avoir pour excuse de donner satisfaction aujourd’hui comme alors à une croyance, à un préjugé quelconque.

Si les saisons étaient les mêmes pour toute la surface du globe, ce qu’il y aurait assurément de plus logique serait de faire commencer l’année avec le printemps, à l’équinoxe de mars. Les saisons variant selon les latitudes et se trouvant renversées d’un hémisphère à l’autre, on pourrait choisir indifféremment l’un ou l’autre des deux équinoxes ou revenir de préférence à l’idée de Jules César en ramenant le premier janvier au solstice d’hiver. Il ne faudrait, pour cela, que renouveler le petit coup d’État inoffensif de Grégoire XIII, en abrégeant une année de 10 jours.

Le calendrier grégorien ne pèche pas seulement par son défaut de concordance avec les phénomènes astronomiques. Il présente encore une autre anomalie non moins choquante : la nomenclature des mois. Que peut-on, en effet, rêver de plus incohérent, de plus hétérogène et de plus contraire au sens commun ?

Voici d’abord le premier mois qui est consacré au vieux Janus. Va pour Janus ; mais alors les mois suivants rappelleront aussi des personnages mythologiques ou historiques de l’antiquité ? Attendons un peu. Le second mois s’appelle février, c’est-à-dire le mois des fièvres ou des fiévreux ? La fièvre est-elle dans ce mois plus commune que dans les autres ? Cela est au moins douteux. Mais supposons qu’il en soit ainsi. En ce cas, il faudrait donner à chaque mois un nom indiquant le genre de maladies qui lui est plus particulièrement propre. D’après cela, janvier, par exemple, serait le mois des fluxions de poitrine ; mars celui des indigestions ; juillet celui des coliques ; octobre celui des rhumes de cerveau, etc.

Au lieu d’un calendrier mythologique, nous aurions un calendrier pathologique. Mais le troisième mois de l’année (mars) nous ramène à la mythologie, et avril suggère un autre ordre d’idées, en nous rappelant que c’est dans ce mois que s’ouvrent les bourgeons (aprilis, de aperire, ouvrir). Le mois de mai est à volonté un mois païen, comme mars, ou au contraire, un mois éminemment chrétien (le seul de tout le calendrier), selon qu’on y veut voir le nom de Maïa, mère de Mercure, ou celui de Marie, mère du Christ ; juin, juillet, août ne sont, on le sait, que des dérivés des noms de Junius, Julius et Augustus, et nous revenons à l’histoire romaine.

Mais voici tout à coup un autre système, le meilleur de tous assurément, s’il n’était pas appliqué à contre-sens : c’est le système numérique, qui consiste à donner aux mois des noms indiquant tout simplement leur ordre de succession. Malheureusement, c’est le neuvième mois qui se trouve dénommé et même chiffré comme s’il était le septième (septembre, par abréviation 7bre), puis viennent, avec le même à propos, octobre (8bre) qui est le dixième, novembre, qui est le onzième ; enfin décembre qui est le douzième ! N’est-ce pas admirablement imaginé !...

Lorsque la Convention nationale entreprit l’œuvre titanesque de reconstruire sur les ruines de l’ancienne société tout un ordre nouveau, politique, économique, scientifique, artistique ; lorsqu’elle put croire que la Révolution qui s’accomplissait en France inaugurait pour le monde entier une ère de transformation et de régénération, elle voulut doter la société future d’un calendrier en rapport avec les idées philosophiques qui devaient la diriger en toutes choses. Elle chargea les astronomes Lalande, Laplace, Romme, et le poète Fabre d’Églantine de composer le calendrier républicain.

On sait quelle fut l’œuvre de cette commission : œuvre défectueuse, et qui même nous paraît aujourd’hui puérile et grotesque à certains égards, mais dont on ne peut méconnaître le côté grandiose, poétique et relativement très rationnel.

Par un singulier hasard, la royauté avait été abolie en France, le dernier jour de l’été (21 septembre) de l’année 1792. L’avènement de la République coïncidait avec l’équinoxe, en même temps qu’avec l’entrée du soleil dans le signe de la Balance, « symbole de l’égalité », disait le rapporteur Romme. Le commencement de l’année était donc marqué à la fois par une phase nettement déterminée de l’évolution terrestre, et par un événement politique d’une importance incomparable.

Le 22 septembre 1792 fut le premier jour du premier mois de la première année de l’ère républicaine. On sait que le calendrier de la Révolution partageait les douze mois en quatre séries de trois mois chacune, correspondant aux quatre saisons : les mois de chaque saison étant désignés par des noms qui rappelaient les phénomènes météorologiques ou les grandes opérations agricoles qui s’y rapportent. On avait choisi, pour l’automne, vendémiaire (mois des vendanges), brumaire (mois des brumes), frimaire (mois des frimas) ; pour l’hiver, nivôse, ventôse, pluviôse ; pour le printemps, germinal, floréal, prairial ; pour l’été, messidor, thermidor et fructidor.

Il ne se pouvait rien de plus ingénieux, de plus poétique et de plus musical. Les mois n’avaient que 30 jours ; ce qui donnait un total de 360 jours, complété par les cinq ou six jours complémentaires, malheureusement appelés sans-culottides. Chaque mois était divisé en trois décades, et les jours désignés par les noms cardinaux de primidi, duodi, etc.

Mais ce calendrier, en premier lieu tendait à isoler la France des autres nations en lui imposant un système chronologique qui ne pouvait convenir qu’à elle seule ; en second lieu donnait aux mois des noms qui se rapportaient exclusivement aux saisons de notre climat et de notre hémisphère. Quant à la division du mois en décades au lieu de semaines, elle n’avait qu’une importance secondaire, et rien n’empêchait de conserver à cet égard l’habitude traditionnelle de la semaine et du dimanche qui la termine. Le calendrier républicain fut aboli par Bonaparte devenu empereur, le 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805).

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE