LA FRANCE PITTORESQUE
Costume (Le véritable) de théâtre :
première apparition au XVIIIe siècle
(D’après « Grand dictionnaire universel du XIXe siècle » (Tome 5), paru en 1869)
Publié le samedi 10 octobre 2015, par Redaction
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Nos premiers comédiens ne se doutaient même pas de ce qu’auraient dû être leurs habits et, au théâtre, le costume en tant que tel n’était jusqu’au XVIIIe siècle que le reflet des goûts ou de la richesse des acteurs, les habits de cour étant adoptés lors de la représentation de pièces classiques et de tragédies antiques. C’est à l’actrice Justine Favart, particulièrement aimée du public, que l’on doit la réforme de costumes qui, à cette époque, manquent totalement d’esthétique : délaissant l’habillement peu naturel et peu réaliste, on lui en préfère alors un plus simple et plus crédible.
 

Les héros de tragédie prirent tout d’abord l’habitude (qu’ils conservèrent pendant un siècle et demi) de paraître le chef orné d’une perruque à trois marteaux ; Mondory (pseudonyme de Guillaume Desgilberts (1594-1653) est cité comme le seul qui se soit soustrait à cet usage ridicule ; il joua toujours les cheveux courts. Les pièces de Jean de Rotrou (1609-1650) étaient jouées en costumes modernes, et l’on vit les acteurs Michel (1653-1729) Baron et Charles Dufresne (1611-1684) se montrer dans Venceslas en habit français et avec des cordons bleus qui ressemblaient à l’ordre du Saint-Esprit.

« Le Cid et Cinna, nous dit le journaliste et historien Victor Fournel (1829-1894), firent leur apparition en costumes de cour de l’époque ; c’est-à-dire que les hommes avaient la fraise plate, les hauts-de-chausses à bouts de dentelle, le justaucorps à petites basques, la longue épée, les souliers à nœuds énormes ; et les femmes, le corsage court et rond, le sein découvert, la grande, ample et solide jupe à queue, les talons hauts, les cheveux crêpés et bouffants ou retombant en boucles. Auguste portait une couronne de laurier par-dessus sa vaste perruque. » Il ne manquait à ces héros antiques que d’arriver en chaise ou la canne à la main !

Les tragédies de Racine (1639-1699) furent également jouées en costumes de cour. Cependant ce grand poète, qui connaissait à fond l’antiquité, était choqué de ce ridicule, et il tenta plusieurs fois d’y mettre un terme, particulièrement lorsque Baron eut la velléité de jouer Achille, dans Iphigénie, avec les cheveux frisés et bouclés. Baron, grand artiste d’ailleurs, ne sentait pas la nécessité d’un costume moins burlesque, et plus tard, dans les Macchabées de La Motte, il joua le rôle de Misaël, vêtu comme eût pu l’être le fils d’un bourgeois parisien, avec un toquet d’enfant et des manches pendantes.

Costumes de théâtre du XVIIe siècle

Costumes de théâtre du XVIIe siècle

Quelques critiques cependant commençaient à s’élever sur ce point. Scarron (1610-1660), dans le Roman comique, s’égaye au dépens du costume théâtral en honneur de son temps. Dans la parodie de la Cléopâtre de La Chapelle, que La Fontaine et Champmeslé insérèrent dans le quatrième acte de leur Ragotin, nous voyons que la célèbre reine égyptienne paraissait sur la scène en grand costume espagnol, ce qui fait dire aux auteurs : « On va nous prendre ici pour Jeanneton la folle ! »

Tout cela n’empêcha pas les choses d’aller leur train, et le XVIIIe siècle de faire comme le XVIIe ; témoin ces lignes, extraites du vingt-troisième discours du Spectateur anglais : « Tous les acteurs qui viennent sur le théâtre (en France) sont autant de damoiseaux. Les reines et les héroïnes y sont si fardées, que leur teint paraît frais et vermeil comme celui de nos jeunes laitières. Les bergers y sont tout couverts de broderies... J’y ai vu deux fleuves en bas rouges, et Alphée, au lieu d’avoir la tête couverte de joncs, conter fleurette avec une belle perruque blonde et un plumet... Dans l’Enlèvement de Proserpine, Pluton était équipé à la française ».

Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, la Comédie-Française resta à peu près fidèle à la tradition de Baron ; on y conserva la grande perruque avec laquelle on mettait le casque au besoin, et le tonnelet de plus en plus bourré, de façon à faire d’énormes hanches au héros. On vit le roi Priam vêtu en marchand arménien. Mais le costume des femmes se modifia davantage, suivant les variations de la mode. Adrienne Lecouvreur abandonna les grands panaches, prit des étoffes de soie plus légères, la poudre, les paniers, qui, aussitôt après leur invention, furent adoptés par Andromaque et Mérope, aussi bien que par Araminte et Célimène, par les héroïnes tragiques aussi bien que par les danseuses. Adrienne conserva le corps de brocart, et la jupe de dessus s’étendant derrière elle en manteau de cour.

C’est sous cet accoutrement, qui ne différait guère de celui des petites maîtresses que par une coiffure de plus mauvais goût laissée à l’imagination de l’actrice, que furent jouées les tragédies de Voltaire à leur apparition. La Comédie-Française d’ailleurs n’avait point de privilège sous ce rapport, et l’Académie de musique ne se montrait pas moins ridicule. Il semblait convenu que partout le luxe pouvait remplacer la vérité historique et se substituer à elle sans inconvénient. Les costumes adoptés à l’Opéra offraient un mélange vraiment risible des habits de l’époque et d’une imitation grossière de ceux de l’antiquité. Armide, ses confidentes, ses nymphes, se montraient en longue robe de soie traînante, à grands ramages, la taille longue et busquée, les manches serrées jusqu’aux coudes, avec de grandes engageantes de dentelle flottant autour de leurs bras. Une espèce de cimier, en forme de pain de sucre, s’élevant au-dessus de leur tête, retenait un voile gigantesque qui pendait jusque sur leurs talons.

Quant aux héros, ils portaient la perruque bouclée, avec un casque surchargé de plumes. On affubla les danseurs de costumes de fantaisie, taillés sans goût, massifs et lourds, et qu’on imita sans cesse par la suite, une fois ce modèle de convention adopté. Au reste, pour se faire une idée de l’accoutrement burlesque des acteurs de l’Opéra vers l’an 1730, il faut avoir recours aux gravures et aux dessins du temps. Toute description semblerait empreinte d’exagération. Les guerriers grecs, romains, dalmates, syriens, y paraissent avec des tuniques, des cuirasses, des cothurnes chargés de rubans de toutes sortes, des casques à grandissimes plumets, reposant sur une perruque poudrée à blanc et laissant retomber quatre queues à la conseillère de trois pieds et demi de long, crêpées et pommadées largement.

Ces perruques devaient s’agiter avec frénésie lorsque le héros apportait quelque vivacité dans ses mouvements, jeter autour d’elles des nuages de poudre, et déposer sur la cuirasse et les ornements une bonne partie de l’amidon dont on les avait chargées. Aussi, lorsque l’acteur quittait la scène un instant et rentrait dans la coulisse, les perruquiers s’empressaient de les repoudrer, tandis que les habilleurs époussetaient son armure et brossaient avec énergie toutes les parties de son costume. Deux des queues monstrueuses dont nous avons parlé, ramenées en avant, pendant sur la cuirasse, entre les deux bras, descendaient presque jusqu’aux genoux.

C’est à Justine Favart (1727-1772) qu’on doit les premiers essais de réforme en ce qui concerne le costume au théâtre. Idolâtrée des spectateurs de la Comédie-Italienne, dont son mari était directeur à cette époque, elle avait sans doute plus de facilité qu’aucune autre pour opérer une révolution de ce genre. Ce ne fut pas cependant sans soulever quelque opposition de la part d’un parterre alors très chatouilleux qu’elle put en venir à ses fins.

Écoutons ce qu’en disait l’abbé de La Porte dans la notice qu’il a consacrée à cette femme célèbre : « Ce fut elle qui, la première, observa le costume : elle osa sacrifier les agréments de la figure à la vérité des caractères. Avant elle, les actrices qui représentaient des soubrettes, des paysannes, paraissaient avec de grands paniers, la tête surchargée de diamants et gantées jusqu’aux coudes. Dans Bastienne, elle avait un habit de laine tel que les villageoises le portent, une chevelure plate, une simple croix d’or, les bras nus et des sabots.

« Cette nouveauté déplut à quelques critiques du parterre ; mais un homme sensé les fit taire en disant : Messieurs, ces sabots donneront des souliers aux comédiens. Dans la comédie des Sultanes, on vit pour la première fois de véritables habits de dames turques ; ils avaient été fabriqués à Constantinople avec les étoffes du pays ; cet habillement, tout à la fois décent et voluptueux, trouva encore des contradicteurs. Lorsqu’on donna la parodie des Indes galantes à la cour, il fallut que Mme Favart y parût sous le costume ridicule et fantastique que l’usage avait établi. Cependant, quelque temps après, on y représentait l’opéra de Scanderbeg, et l’on emprunta l’habit de sultane de Mme Favart pour en faire sur ce modèle.

« Mlle Clairon, qui eut aussi le courage d’introduire le véritable costume à la Comédie-Française, fit faire, à peu près sur le même patron, un habit dont elle se servit au théâtre. Dans l’intermède intitulé le Chinois, représenté aux Italiens, Favart parut, ainsi que les autres acteurs, vêtue exactement selon l’usage de la Chine ; les habits qu’elle s’était procurés avaient été faits dans ce pays, de même que les accessoires et les décorations, qui avaient été dessinés sur les lieux. En un mot, elle n’épargnait rien pour augmenter le prestige de l’illusion théâtrale. »

Il est juste cependant de dire qu’avant les tentatives de Mme Favart une actrice française avait essayé de réformer le costume ; c’était Mlle Marie Sallé (1707-1756), la célèbre danseuse chantée par Voltaire, l’une des étoiles de l’Académie royale de musique ; mais c’est en Angleterre, et non à Paris, que cette artiste fameuse eut le courage de se présenter au public dans un costume vrai, et sans les falbalas ridicules qui faisaient le bonheur des spectateurs français. Mlle Sallé était allée à Londres pour y monter un ballet de sa composition, Pygmalion, dans lequel elle remplissait le rôle de Galatée, et le correspondant du Mercure de France s’exprimait ainsi à son sujet :

« Vous concevez, monsieur, ce que peuvent devenir tous les passages de cette action exécutée et mise en danse avec les grâces fines et délicates de Mlle Sallé. Elle a osé paraître dans cette entrée sans paniers, sans jupe, sans corps (sans corsage), échevelée, et sans aucun ornement sur la tête. Elle n’était vêtue, avec son corset et un jupon, que d’une simple robe de mousseline tournée en draperie, ajustée sur le modèle d’une statue grecque. »

Costumes de théâtre du XVIIe siècle

Costumes de théâtre du XVIIe siècle

Cette innovation ne réussit pas à Paris. Cependant la Camargo, l’émule et la digne rivale de Mlle Sallé, introduisit une autre modification de costume qui avait son importance au point de vue de la décence. Laissons Castil-Blaze raconter le fait : « C’est Mlle de Camargo qui la première battit des entrechats, en 1730, à quatre seulement. Elle s’était munie d’un caleçon, et c’est la première virtuose de l’Opéra qui se soit montrée prévoyante sur ce point. Peu de temps après cette innovation, que ses camarades tournaient en ridicule, Mariette, une des railleuses, eut ses vêtements accrochés par un châssis, qui, surgissant à l’improviste, la fit poser pour l’ensemble devant le public : l’exhibition fut complète, et le modèle obtint un succès merveilleux, inespéré. Une ordonnance de police enjoignit alors à toute actrice ou danseuse de ne figurer sur aucun théâtre sans caleçon. Le maillot vint ensuite remplacer celui-ci. »

Par le fait que nous venons de citer relativement à Marie Sallé, on a vu que l’Opéra se montrait rebelle a toute réforme à l’égard du costume. L’exemple de Justine Favart n’eut pas plus d’influence dans cet asile inviolable de la routine. A la Comédie-Française même, la réforme n’atteignit d’abord que la tragédie, parce que, disait Chamfort dans son Dictionnaire dramatique, publié en 1776, « il ne suffit pas que dans la représentation d’un sujet il n’y ait rien de contraire au costume, il faut encore, autant qu’il se peut, qu’il y ait quelque signe particulier pour faire connaître le lieu où l’action se passe, et quels sont les personnages qu’on a voulu représenter. On entend aussi, par le costume, tout ce qui regarde la chronologie, l’ordre des temps et la vérité de certains faits connus de tout le monde. On a longtemps négligé le costume au théâtre : il n’était pas rare d’entendre Pharasmane dire dans un palais somptueux :

La nature marâtre, en ces affreux climats,
Ne produit, au lieu d’or, que du fer, des soldats.

« Auguste paraissait entre Cinna et Maxime avec une vaste perruque qui lui ombrageait les épaules, et un chapeau garni d’un large plumet. Cornélie était emprisonnée dans un grand panier. Le bon goût et la hardiesse de quelques acteurs ont banni cet usage ridicule. Il serait à souhaiter qu’il s’introduisît dans le comique ; qu’Harpagon n’y fût pas vêtu ridiculement, et que Mme Argant n’eût pas une coiffure si monstrueuse. Cette réforme sera l’ouvrage de quelque actrice qui se sentira assez de talent pour hasarder cette innovation. »

On pense bien que, si les acteurs de Paris en usaient ainsi, les comédiens de province se gênaient moins encore à l’égard du costume et de ses exigences. Aussi un écrivain pouvait-il dire à ce sujet, en 1759 : « Il n’y a pas longtemps qu’en province plus d’un comédien représentait Mahomet en robe de chambre d’homme et Joad en jupon de femme ; on voyait Orosmane doubler Lusignan. C’est au bon goût d’une actrice célèbre, trop tôt retirée du théâtre, qu’on doit le retour (il aurait pu dire l’adoption) du costume exact. »

D’ailleurs, les étrangers, il faut le constater, n’étaient pas plus avancés que nous. Dans son Nouvel Art dramatique, Lope de Vega blâme les acteurs espagnols de représenter des Romains en hauts-de-chausses et des Turcs affublés de collerettes à l’européenne. Il en était de même en Angleterre, où l’on voyait les héros antiques paraître en perruques in-folio, absolument comme chez nous. David Garrick (1717-1779), le grand Garrick lui-même, jouait Macbeth en costume d’officier général moderne, et ce fut Macklin, un autre acteur célèbre, qui fit disparaître cet usage singulier.

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