LA FRANCE PITTORESQUE
Marchands de figures de plâtre
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1850)
Publié le jeudi 14 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Vous avez souvent rencontré suivant les trottoirs, côtoyant les quais ou arrêté aux coins des carrefours avec sa planche qu’entoure une corde en guise de balustrade, pouvait-on lire en 1850...
 

Là se dressent les bustes et les statuettes des grands hommes, les consoles cariatides destinées à l’ornement des modestes appartements, les figurines de fantaisie que recommande la mode. Le mouleur de plâtre est à la sculpture ce que l’orgue de Barbarie est à la musique.

Il adopte l’œuvre en vogue, il la popularise ; il constate à la fois et propage les succès. Sa planche est comme un musée portatif qui s’adresse aux préférences du passant, qui sollicite sa passion et l’excite à dénouer les cordons d’une bourse que la prudence tend toujours refermer.

L’examen de ces expositions en plein air donne une idée assez exacte, sinon de l’opinion publique, au moins des préoccupations de la foule. On peut y suivre les oscillations du goût et les variations de la popularité.

Dans notre enfance, nous nous le rappelons encore, ces planches étaient couvertes de princes et de maréchaux qui encadraient les bustes de Paul et de Virginie, les chiens à têtes mouvantes et les lapins blancs ; plus tard, nous y avons vu Bolivar, le général Foy, Voltaire et Rousseau ; puis les figures gothiques remises en faveur par l’étude du moyen âge ; plus tard encore, ce furent les têtes de Goethe, de Schiller, de Byron, faisant pendant à la Jeanne d’Arc ou aux pastiches en style Pompadour. J’en passe, et des meilleurs.


Chacun de nos lecteurs peut lui-même compléter la liste en recherchant dans ses souvenirs. La plupart des célébrités littéraires et politiques, des fantaisies de l’art, des résurrections historiques, ont paru là, à leur tour, comme sur un piédestal, pour en descendre bientôt et disparaître.
Les anciens élevaient des statues d’airain que la guerre et les révolutions renversaient bien vite ; plus sages, du moins en cela, nous nous contentons de mouler sur le plâtre nos admirations ou nos caprices du moment, comme si nous voulions symboliser, par la fragilité de la matière, la fragilité de ce qu’elle représente.

Hélas ! combien de ces réputations n’ont pu même avoir la durée du plâtre qui les célébrait ! Que de grands hommes disparus avant leurs bustes ; que de compositions devenues vieilles avant d’avoir été jaunies par le temps ! Le mouleur ambulant est un terrible juge ; il constate pour ainsi dire l’arrêt du siècle. La vogue passée, il brise impitoyablement le moule, et l’oeuvre ou l’homme, illustre quelques jours auparavant, rentre aussitôt dans le néant.

Considéré sous un autre point de vue, le marchand de figures a une véritable importance dans notre civilisation moderne ; il répand l’art, il fait l’éducation des yeux, il élève insensiblement le goût populaire. Quand on compare les plâtres qui couvrent aujourd’hui les éventaires ambulants à ceux qu’on y voyait il y a trente ans, on est frappé des progrès du style et de la forme. Évidemment l’intervalle qui séparait l’art populaire de l’art choisi, tend chaque jour à s’amoindrir ; les plus grossières épreuves vendues pour quelques centimes ont un vague reflet des grandes œuvres qu’elles copient ; on sent la main plus habile, l’œil mieux exercé, l’ouvrier qui comprend l’artiste, s’il ne l’est point encore lui-même.

Cette élévation croissante dans les productions d’ordre inférieur est un symptôme important ; elle prouve que les arts plastiques entrent de plus en plus dans les habitudes, qu’ils se font domestiques ; qu’après avoir été le privilège des nobles et riches demeures, ils tendent à devenir l’embellissement des plus humbles existences. C’est là plus qu’un progrès, c’est une véritable révolution qui révèle un mouvement d’ascension marquée dans l’éducation intellectuelle du plus grand nombre.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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