LA FRANCE PITTORESQUE
Cuistre
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Publié le vendredi 6 novembre 2020, par Redaction
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Personne pédante, vaniteuse de son savoir
 

Cuistre, qui est aujourd’hui un terme de mépris et d’injure, a été longtemps un titre d’office ecclésiastique très honorable : toute la différence est qu’on écrivait coustre. Les coustres de l’église de Saint-Quentin avaient le privilège de porter la mitre lors de leur première entrée dans l’église. Guillaume de Sainte-Maure, coustre de Saint-Quentin, fut chancelier de France sous Philippe IV. Les coustres, qu’on appelait en quelques lieux custodes, étaient préposés à la garde et surveillance de tout ce qui intéressait l’église. « Cette dignité, dit Piganiol de la Force, fut supprimée (à Saint-Quentin), et réunie au corps du chapitre en 1485. »

L’étymologie de ce nom est manifeste : coustre est la transformation de custor, employé au Moyen Age pour custos, à l’imitation des Latins, qui disaient indifféremment arbor et arbos, honor et honos. Dans cette basse latinité, on avait fait de custodia custoderia, et de custoderia, par syncope, cuistria : « officium cuistriae. » Du Cange en cite des exemples du XIIe siècle. Ainsi cuistre, cuistrerie ne signifient étymologiquement autre chose que gardien, garde.

Coustre est la forme plus ancienne, cuistre est la forme plus moderne. Le mot allemand küster, qui est aussi un nom propre, signifie un sacristain, celui qui prend soin des vêtements ecclésiastiques, de l’ornement de l’église, etc. Seulement les Allemands n’ont jamais eu l’idée de transformer cette appellation en insulte.

Il y avait des coustres de toute sorte : le coustre de l’autel, le coustre du chœur, celui de la croix, etc. On en peut voir le dénombrement dans Du Cange, au mot Custos. N’omettons pas de mentionner le coustre des petits enfants (custos puerorum infantium), c’est-à-dire le gardien ou gouverneur des oblats du monastère. C’est de là, selon toute apparence, que cette dénomination de coustre ou cuistre a passé dans les collèges.

Les cuistres donc sont originairement des serviteurs d’église, et Béranger ne croyait peut-être pas dire si vrai, lorsqu’il chantait, dans les Capucins : « L’église est l’asyle des cuistres. » Bachaumont aussi emploie ce mot dans sa véritable et primitive acception. A la date du 5 août 1772, il raconte qu’un chantre de La Rochelle fut enlevé par lettre de cachet au chapitre de cette ville, pour le faire débuter à l’Opéra. Mlle Guimard l’ayant essayé sur son théâtre de Pantin, on reconnut que cette voix, magnifique dans le haut, « n’avait point de bas. On a renvoyé ce chantre, qui, après avoir goûté des filles d’Opéra, répugnait beaucoup à retourner avec les cuistres ses confrères. »

Le Dictionnaire de Trévoux dit, au mot Cuistre : « Valet de pédants ou de prêtres, qui leur sert à faire cuire leur viande... Plusieurs dérivent ce mot de l’allemand küster, un serviteur de l’Église, mais il vient plutôt du latin coquere. » Il semble que Trévoux ait eu peur d’outrager l’Église par l’étymologie véritable. La dignité de l’Église n’est point engagée par le hasard et les caprices de la langue. Napoléon Landais adopte la fausse étymologie de Trévoux, et, en homme d’imagination qu’il était, renchérit encore par-dessus : « Cuistre, dit-il, du latin barbare coquister, fait de coquus, cuisinier, valet de cuisine, marmiton, valet de collège. »

Coquister est en effet du latin barbare, et si barbare, qu’il n’a jamais existé. C’est une imitation du procédé de Ménage. On veut faire venir cuistre de coquus ? Rien de plus facile ; dites : Coquus, en latin barbare coquister, retranchez co, il reste quister, qui est la même chose que cuistre. Voilà !

On a beaucoup abusé du latin barbare : c’est la ressource habituelle de Nodier et de son école. Le latin barbare souffre tout. A-t-on besoin d’une étymologie absente ? On fabrique un mot qu’on apporte comme du latin barbare ; personne n’ira y voir. Et quand on irait ? Un fait négatif ne se prouve pas, et l’étymologiste a toujours un refuge tout prêt dans les profondeurs inaccessibles de son érudition.

Coustre nous a laissé le verbe accoustrer, qu’on écrit aujourd’hui sans s, comme on l’a toujours prononcé. Accoutrer, c’est arranger, mettre en ordre, comme faisait le coutre des ornements de l’église.

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