LA FRANCE PITTORESQUE
À l’envi (et non à l’enviE)
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Publié le mardi 30 octobre 2018, par Redaction
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En rivalisant, avec émulation, à qui mieux mieux
 

On trouve dans le Florentin de La Fontaine une scène où Hortense confie à son jaloux déguisé, dont elle feint d’être la dupe, les tours qu’elle lui a joués de concert avec Timante. Entre autres bonnes histoires, il y a celle de la remise d’un billet amoureux :

... Prenant le frais tous deux devant chez nous,
Deux petits libertins qui mangeoient des cerises
Vinrent contre Harpagème à diverses reprises,
Riant, chantant, faisant semblant de badiner :
Ils jetoient leurs noyaux l’un après l’autre en l’air.
Un noyau vint frapper Harpagème au visage ;
Il leur dit de n’y plus retourner davantage.
Eux, sans daigner l’ouïr et jetant à l’envi,
Cet agaçant noyau de plusieurs fut suivi.

Harpagème se lève en colère, les polissons fuient, il les poursuit à cinquante pas... c’était trop loin ! Lorsqu’il revint la lettre était remise.

La funeste passion dont la mythologie a fait un monstre appelé l’Envie n’est pour rien dans cette façon de parler : il ne s’agit pas d’une envie, mais d’un envi. Qu’est-ce qu’un envi ? « C’est, dit Furetière, l’argent qu’on met au jeu pour enchérir sur son compagnon. » On fait des envis au brelan, au hoc, etc. » Par conséquent, à l’envi est une métaphore empruntée au vocabulaire des joueurs. Travaillons à l’envi, à l’envi l’un de l’autre, c’est-à-dire à l’enchère, par émulation, à la manière des joueurs lorsqu’ils poussent leurs enjeux l’un contre l’autre. Soit : voilà qui est bien pour à l’envi ; mais la question n’est que reculée. Pourquoi appelle-t-on cet enchérissement un envi ? D’où vient ce terme ?

Il vient du latin invitus, adjectif qui n’a plus d’équivalent en français, et qui avait autrefois celui d’envis : Hoc invitus. Nous sommes obligés de traduire : Il fit la chose malgré lui. On eût traduit au XIIIe siècle : Il le fit envis. « Icelui Buisson estoit povres homs, qui paioit envis et plaidoit voulentiers » (Lettres de rémission de 1427).

La qualité d’envis est parfois équivoque entre l’adjectif et l’adverbe ; cela tient à la construction latine, laquelle permet toujours de substituer à l’adjectif l’adverbe : Hoc fecit invitus ; hoc fecit invite. On disait dans la forme positivement adverbiale à envis, comme dans les Fabliaux de Barbazan :

Ou volontiers ou à envis
Le fist li prestres.

Arrivons au substantif. Un envi est un acte fait à envis (invite), un acte qui n’émane pas de la volonté libre et spontanée. Tel est un pari de jeu que vous êtes entraîné à tenir. L’amour-propre, le respect humain ne permettent pas de reculer : alors vous faites un envi (invitum quid).

C’est en passant par ces nuances que le terme consacré d’abord à l’idée de répulsion aboutit à signifier l’idée d’émulation. L’émulation implique l’effort ; l’effort coûte quelque chose à la nature et à la liberté. Quand ces petits polissons envoyaient à l’envi leurs noyaux de cerises au nez d’Harpagème, ils s’efforçaient de l’atteindre à qui mieux mieux. Voilà ce que c’est que faire un envi ou agir à l’envi.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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