LA FRANCE PITTORESQUE
Seine (La) : oeuvre d’un saint
ou fille de Bacchus ?
(D’après « Légendes du vieux Paris », paru en 1867)
Publié le lundi 15 mars 2021, par Redaction
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Connaissez-vous, de la Seine, la légende de sa source — à l’ombre d’une abbaye — et celle de son embouchure — où se dresse le cap de la Hève, tombeau de la nymphe Héva attachée au service de Sequana, fille de Bacchus —, les deux extrémités du fleuve qui naît et ne coule qu’en France, et sur lequel navigue, calme et majestueux, le vaisseau symbolique de la ville de Paris, représenté par la Cité ? On a presque autant divagué sur la source de la Seine que pour découvrir celle du Nil ; mais au lieu d’entreprendre ici d’ennuyeuses discussions, concentrons-nous sur les légendes...
 

C’était au VIe siècle. En ce temps-là, Dieu envoya un de ses élus dans les forêts des Burgondes. Seine était son nom, il sortait du moustier de Saint—Jean, en pays d’Auxois, et avait reçu l‘habit religieux des mains de l’évêque de Langres. Saint Seine appartient à la phalange héroïque de ces moines hardis qui seuls, ou à la tête de quelques fidèles, vont batailler contre les idoles au milieu des païens et des sauvages ; chevaliers errants de la religion, leur forteresse est la foi, turris eburnea ; leur bouclier, la robe de bure ; leur arme, la croix.

A leur voix, les arbres consacrés par la superstition tombent, les idoles chancellent, des miracles naissent. Sous leurs pas, c’est la féerie chrétienne, marchant de prodiges en prodiges, frappant d’étonnement les peuplades barbares qui tombent à genoux et se prosternent devant une simple croix de bois. Rien ne les arrête dans ces forêts aux profondeurs effrayantes ; ils s’avancent, calmes et tranquilles, chantant les gloires de Dieu au milieu des bêtes féroces ; ils ne craignent rien, et les loups viennent se ranger autour d’eux, respectant le serviteur de Dieu ; ils rampent à genoux sous des fourrés de ronces et d’épines, habitent dans les cavernes sombres à côté des animaux, qui oublient leur férocité et abandonnent leurs tanières à l’envoyé de Dieu.

C’est ainsi que s‘avança le moine bourguignon à travers les forêts :

C’est opinion commune
Qu’il n’y avait si grande beste
A qui il ne fit baisser la teste.

C’est là qu’il bâtit la cellule qui devint la pierre angulaire de la célèbre abbaye de Saint-Seine. Dans une prière ardente, il demande à Dieu de lui envoyer un ange pour lui faire connaître si c’est sa volonté qu’il demeure en ces lieux solitaires. Pendant son sommeil il entend, trois nuits de suite, retentir les sons de la cloche invisible d’un monastère lointain : à la troisième aurore il se lève et se met en route à travers les ronces et les épines, guidé par les tintements mystérieux.

Abbaye de Saint-Seine

Abbaye de Saint-Seine

Il arrive dans un vallon verdoyant, abrité par l’ombre séculaire de chênes touffus... Soudain, la clochette invisible devient muette, il s’arrête : c’est là le lieu choisi par la volonté divine et où doit s’élever son monastère. Il prend possession au nom de Dieu de cette terre vierge conquise à la foi, arrache deux branches de coudrier, les pique en terre, suspend à leurs rameaux mis en croix les reliques qu’il portait à son cou, s’agenouille humblement, et chante au Seigneur un cantique d’allégresse.

Les oiseaux des bois gazouillent a l’entour et redisent dans un concert harmonieux les chants du moine, avant d’aller répéter à tous les échos de la forêt la bonne nouvelle qu’il apporte. Une colombe descend des voûtes verdoyantes et vient se poser doucement sur le rameau planté par le moine, comme pour souhaiter la bonne venue à l’envoyé et lui présenter l’hommage des hôtes de ces lieux.

La forêt était infestée de bandes de brigands : il change leur férocité de bêtes fauves en douceur de colombes et en fait ses ouvriers ; ils abattent les chênes et les façonnent, bâtissent les murs de l’abbaye, lui apportent des pains cuits sous la cendre et des rayons de miel. Convertis, ils forment autour de son monastère une bourgade qui d’abord porta le nom champêtre de Segestre, et, plus tard, celui de Saint-Seine, à cause de son fondateur.

Le monastère devint célèbre en renom de discipline et de vertu ; il fut pillé et ravagé en 721 et 937, et relevé par les libéralités des chevaliers croisés bourguignons. Les ducs de Bourgogne en avaient la garde. Le roi Jean, après avoir fait sortir de ses ruines la maison abbatiale, la fortifia pour la mettre à l’abri des excursions des Anglais. Les paysans étaient tenus d’entretenir ses bastions et, en échange, avaient droit d’asile en cas de danger. L’église du vieux monastère date du XVe siècle ; c’est un des monuments historiques les plus curieux de la Bourgogne.

C’est à l’ombre de cette abbaye que la tradition place la source de la Seine, sous une pierre légendaire très vénérée dans la contrée. Selon la croyance populaire, un jour, saint Seine, chargé d’années, revenait lentement à l‘abbaye, monté sur l’animal qui eut l’honneur de porter le Christ à son entrée solennelle dans Jérusalem. L’âne, en serviteur prévenant, s‘agenouilla sur cette pierre pour éviter au saint homme de descendre avec trop de fatigue. Son genou y fit un trou, et, quand il se releva, de l’eau en sortit miraculeusement et forma la Seine.

Depuis ce prodige, c’est croyance générale dans les campagnes environnantes que saint Seine a le don de faire la pluie et le beau temps. Sur ce bloc calcaire, qui sert de borne au territoire de l’abbaye, un bas-relief représente saint Seine monté sur son âne. On voit une rigole que l’on croit avoir été faite par la moulure du genouil de l’âne du saint. A deux pas plus loin se dresse une croix de bois au pied de laquelle tous les ans, le 19 septembre, on célèbre une messe en grande cérémonie, pour amener la pluie cule beau temps. Les villageois viennent y plonger la tête de saint Seine dans la source.

Saint Seine jouissait d’une grande vénération au Moyen Age, car, dès le IXe siècle, aux assises générales dans les plaines de Thil-Châtel, et trois cents ans plus tard, quand on convoquait les plaids de Dieu pour juger les grands vassaux, les seigneurs et barons qui avaient commis injustices, violences, malveillances, roberies et pilleries, on mettait sur un autel dressé sous des voûtes de feuillage orné de bannières aux couleurs du duc, toutes les reliques des saints de Bourgogne, pour la vénération des fidèles accourus de toutes parts ; saint Seine était au premier rang. La foule s’y rendait processionnellement à la suite des évêques, archevêques, abbés de Clairvaux, de Cîteaux et autres grandes abbayes. Le légat du Saint-Siège présidait ce tribunal et donnait la bénédiction avec force indulgences. Ces grands plaids, rendus importants et solennels par la présence de tous ces saints comme témoins invisibles des serments, eurent une influence salutaire et civilisatrice, en mettant, du moins momentanément, un frein aux rapines des barons puissants qui pliaient le menu peuple sous des verges de fer, et leur apprenaient à traiter leurs vassaux en frères.

C’est un fait bien remarquable, qu’à l’origine de tous les grands fleuves se dresse une abbaye. Un des disciples de Colomban, Sigisbert, franchit les glaciers, s’arrête au pied du mont Saint-Gothard et, comme pour la bénir, fonde à la source même du Rhin dont les eaux baignent tant de monastères, de cathédrales et de couvents, la fameuse abbaye de Dissentis. Le Rhône n‘a-t-il pas eu sur les rochers qui entourent son berceau la cellule d’un moine fameux, qui fonda une abbaye grandement renommée, immense foyer intellectuel ?

La Seine, elle aussi, le fleuve catholique par excellence, prend sa source au pied d’une croix, non loin du berceau de saint Bernard et de Bossuet, et, au moment où elle quitte la terre de France, deux Notre-Dame se dressent sur ses rives, jetant du haut de leurs falaises bénies un regard de protection sur les nombreux navires qui s‘éloignent des côtes de France, et vont porter au loin ses missionnaires et ses soldats, la civilisation et la protection.

Principale source de la Seine, près de Saint-Seine-l'Abbaye

Principale source de la Seine, près de Saint-Seine-l’Abbaye

Une légende rustique, qui charme encore les veillées bourguignonnes, raconte autrement l’origine de la Seine. Disons la pour ne rien omettre, elle a son charme et son symbolisme, et commence comme la fable de Philémon et Baucis. Un jour, un bon pèlerin vint au village de Saint-Seine ; il était fatigué et de chétif aspect. Après avoir frappé en vain avec son bâton poudreux à toutes les chaumières, il allait quitter tristement la bourgade inhospitalière, plaignant du fond du cœur l‘endurcissement de ses habitants, quand une porte s’ouvrit pour lui. La ménagère lui donna escabeau à sa table et place à son foyer.

Le soir était venu, et, voyant qu’elle ne lui demandait rien, il lui souhaite la bonne nuit en lui disant : « Bonne femme, merci de m’avoir donné un gîte quand tout le monde me repoussait ! Et en récompense, laissez-moi vous octroyer un don. La première action que vous ferez demain matin, en vous levant, se continuera toute la journée ; et que Dieu, qui voit d’un œil favorable toute les bonnes actions, bénisse vous et toute votre postérité. » Et il s’en alla, laissant la villageoise peu crédule au souhait d’un si piètre voyageur.

Mais il arriva que le matin, au premier chant du coq, sans songer au don de son hôte, elle se mit à ranger le linge du ménage, et les hardes se multiplièrent avec la même rapidité que les petits pains et les petits poissons avec lesquels le Christ nourrit miraculeusement autrefois tout le peuple qui l’avait accompagné sur la montagne. Les hardes montaient, montaient toujours, et il y en ont tant et tant que le soir la hutte fut comble jusqu’au faîte. Et alors elle tomba à genoux et remercia Dieu de ce qu’un de ses saints serviteurs avait visité son humble demeure.

Une voisine qui connut l’aventure eut repentance de sa dureté, et se promit de ne plus repousser le voyageur que la Providence enverrait à son seuil. A quelques jours de là, le même pèlerin, retournant en Judée, traversa de nouveau le village et vint heurter a sa porte. Elle lui ouvrit, lui offrit le pain, le vin, un gîte pour la nuit, et, le soir, le voyageur paya son hospitalité avec sa monnaie habituelle, c’est-à-dire, avec un don. La première action du lendemain matin devait se répéter, non seulement pendant une journée entière, mais pendant cent ans.

Or, il arriva que la ménagère dormit, et dormit si bien qu’elle ne se souvint plus, en se levant avec l’aurore, du souhait dont l’avait gratifiée le pèlerin ; elle se mit à puiser de l’eau dans un trou vis-à-vis de sa cabane et à l’apporter dans une auge en pierre pour la lessive de la journée, et, malgré elle, poussée par une force mystérieuse, elle continua toujours ainsi, puisant éternellement de l’eau dans un trou inépuisable et venant la verser dans l’ange qui, débordant continuellement, forma un ruisseau, origine de la Seine.

D’après cette naïve tradition, cette bonne ménagère serait la naïade villageoise de notre grand fleuve parisien, et ceux qui la racontent ajoutent que si ses eaux limpides sont si recherchées des lavandières et blanchissent si bien le linge, c’est à cause de la corvée matinale de la rustique Bourguignonne. En pays bourguignon, beaucoup préfèrent cette rustique légende à la tradition mythologique que Bernardin de Saint-Pierre rapporte dans son Arcadie, et que nous allons à notre tour essayer de raconter mythologiquement.

La Seine (Sequana), fille de Bacchus, était la plus jolie des nymphes qui accompagnèrent la blonde déesse des moissons lorsqu’elle parcourut la Gaule à la recherche de sa fille Proserpine. Quand elle l’eut retrouvée, elle était en Normandie. Là, Cérès, pour récompenser la nymphe de sa fidélité et de ses nombreux services, lui donna les prairies fleuries qui longent le rivage, et le don de pouvoir faire pousser le blé partout où elle porterait ses pas.

Remplie de sollicitude pour sa compagne de prédilection, elle lui donna pour suivante la nymphe Héva, chargée de veiller sur elle afin qu‘elle ne fût pas enlevée, comme sa fille, par quelque dieu marin fasciné par ses charmes. Un matin que l’aurore, comme Danaé, versait à pleines mains toutes les perles de rosée que contenait sa corbeille sur le tapis verdoyant de son domaine, la belle insoucieuse folâtrait sur le sable qui bordait la rive, ramassant les plus beaux coquillages pour orner sa ceinture.

Soudain, la mer enfle, et la nymphe aux pieds légers fuit en jetant de grand cris, car déjà l’écume marine frangeait le bas de sa robe d’azur. Héva, qui la suit, voit le danger ; aussitôt elle se tourne vers la mer pour invoquer Thétis, et aperçoit alors, sous le voile transparent de la plaine liquide, les cheveux blancs, le visage empourpré et la robe bleue de Neptune précipitant sa course vers la rive. Il arrivait des Orcades. Un tremblement de terre avait ébranlé son empire, et, en monarque prudent qui sait que rien ne doit échapper à l’œil du maître, il faisait sa ronde, sondant du bout de son trident pointu les rochers du rivage, pour voir s’ils n’avaient pas été disloqués.

A sa vue, Héva qui, pour avoir entendu chuchoter dans les roseaux les naïades de fontaines, connaissait les galanteries aquatiques du roi des mers, pousse un cri pour avertir sa maîtresse de fuir ou de se cacher ; et la Seine, effrayée, abandonne le rivage et court à travers les prairies cherchant les vallons dont les recoins secrets peuvent favoriser sa fuite. Mais Neptune avait vu la nymphe de Cérès, sa démarche altière, ses charmes, sa légèreté, sa blonde chevelure ; tout en elle l’avait séduit, et il lance sur ses pas ses chevaux marins qu’il anime et du geste et de la voix.

La pauvrette fuit toujours, et la rusée imitant Hippomène dans sa lutte avec Atalante, jette à l’amoureux Neptune, pour ralentir sa course, des grappes de raisin qu’elle cueille à droite et à gauche sur les coteaux chers à son père ; et pendant que le dieu ramasse ces grappes de perles noires et s’enivre davantage en ajoutant les feux de Bacchus à ceux de Vénus qui le dévorent, elle glisse légère comme la brise qu’entraîne le Zéphire dans les vallées, effleure les saules des prairies et allonge les distances en le gagnant de vitesse.

Mais elle se fatigue ; encore quelques pas et Neptune tient sa proie ; déjà il va l’atteindre, déjà même le voile flottant de la nymphe effleure la narine fumante des tritons ; le dieu allongé le bras pour enlacer voluptueusement la taille gracieuse que protège la ceinture de Vénus, quand la fugitive invoque Bacchus son père et Cérès sa mère ; alors l’aquatique amoureux ne saisit que le vide ; le corps de la jeune fille se fond en eau, son voile et ses vêtements deviennent des flots couleur d’émeraude et elle est métamorphosée en un fleuve de cette couleur, qui parcourt encore aujourd’hui les lieux qu’elle a aimés étant nymphe.

Statue de la nymphe Sequana érigée sur le lieu même de la principale source de la Seine

Statue de la nymphe Sequana érigée sur le lieu même de la principale source
de la Seine. Monument de François Jouffroy inauguré en 1866, la statue d’origine
fut endommagée durant la Première Guerre mondiale, et remplacée

Malgré sa mésaventure, Neptune n’en est pas moins resté le modèle des amoureux fidèles ; deux fois par jour, les échos du rivage retentissent du son des conques marines et deux fois l’eau du fleuve rebrousse chemin. C’est Neptune qui passe, traîné par des chevaux marins poussant des rugissements, et la nymphe qui chaque fois court se cacher dans les roseaux protecteurs de sa source. De tout temps elle a gardé de l’aversion pour son puissant amoureux ; elle ne coule que lentement vers lui, essayant de s’accrocher aux anfractuosités de ses rives, et séparant toujours ses eaux vertes des ondes azurées de Neptune. Les autres nymphes ses compagnes subirent le même sort, et devinrent l’Aube, l’Yonne, la Marne, l’Oise, l’Eure, l’Andely.

Héva, montée sur la falaise, attendit longtemps le retour de sa maîtresse ; elle mourut de désespoir en apprenant sa métamorphose ; son œil sec ne versa nulle larme : c’est pourquoi elle ne forma aucune source. Les Néréides, pour la récompenser de sa fidélité, lui élevèrent, sur le rocher où elle rendit le dernier soupir, un tombeau composé de pierres noires et blanches, sur lequel elles placèrent une sentinelle vigilante, un écho, afin qu’Héva, après sa mort, prévînt les marins des périls de la terre, comme, pendant sa vie, elle avait averti la Seine des dangers de la. mer. L’écho redit tout haut ce qu’elle lui dit tout bas.

Son tombeau forma le cap de la Hève ; il se dresse à l’embouchure du fleuve, comme pour narguer Neptune qui use sa rage à mordre de ses flots le rocher de granit. A ses pieds, Amphitrite fit creuser par l’escadron aquatique de ses Néréides une baie que les routiers de mer appellent la baignoire aux mouëttes, et qui sert de refuge aux mignonnes sources qui, comme la Seine, échappèrent aux poursuites amoureuses de son trop volage époux.

De même que le soleil a deux orients, celui d’hiver et celui d’été, la Seine a deux sources ; l’une, abondante, celle d’hiver, est à Douix, ce qui fit nommer le ruisseau primitif la Douée, c’est-à-dire fontaine, et coule à l’extrémité du village de Poncey, à cent pas de Saint-Germain-la-Feuille. Celle d’été, plus faible, est à la Chapelle-Notre-Dame-des-Fontaines, de la commune de Billy-les-Chanceaux, sur le territoire de l’abbaye de Saint-Seine. Les sources et les petits ruisseaux y sont si nombreux qu’il semble que la terre pleure et saigne par toutes ses veines pour alimenter le grand fleuve parisien.

Rien de charmant comme le vallon qui lui sert de berceau. La nymphe

Qui tantôt se promène au long de ses fontaines,
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L‘argent de leurs ruisseaux parmi l’or des moissons,
Et tantôt se repose avecque les bergères
Sur les lits naturels de mousse et de fougères
Qui n’ont d’autres rideaux que l’ombre des buissons.

La petite nymphe devient grande fille, et, à Châtillon, son bras vigoureux fait manœuvrer les marteaux des forges et des usines. Arrivée à Pont-sur-Seine, où elle reçoit l’Aube, elle porte des trains de bois. Si, écartant les roseaux, nous fouillons dans sa corne d’abondance, nous y trouvons plus de grappes de raisins que d’épis de blé ; car Bacchus contourne amoureusement ses verts feuillages autour du berceau de sa fille bien-aimée. Elle voit sur ses rives dorées de Bourgogne

Le vendangeur ployer sous le faix des paniers.
Il semble qu’à l’envi ces fertiles montagnes,
Ces humides vallons et ces grasses campagnes
S‘efforcent à remplir la cave et les greniers.

Si petite et si humble à sa source, comme elle devient fière et majestueuse pour arroser Paris et refléter dans ses eaux vertes et limpides les églises et les palais qui font l’admiration du monde, les usines et les ateliers qui produisent tant de chefs-d’œuvre. Comme elle ramasse avec sein dans sa course tous les ruisseaux et rivières : le Revisson, l’Aignay-le-Duc, l’Ourse, la Seigne, l’Arse, l’Aube, La Voulzie, l’Yonne, la Marne, la Bièvre pour se faire belle avant son entrée solennelle dans la capitale et se rendre digne de la plus belle ville de l’univers. Comme elle porte bien son orgueilleuse devise : « Rivière ne puis, fleuve ne daigne, la Seine suis. »

Loin d’être rapide, voyez comme elle coule doucement ; quittant à regret Paris, elle côtoie langoureusement ses collines, flâne le long des prairies, fait l’école buissonnière sous les saules de ses îles, se tortille de tous côtés comme une curieuse qui veut voir tous les lieux célèbres de l’Ile-de-France, admirer la magnificence de ses monuments. C’est pourquoi tous les poètes la comparent au Méandre sinueux de l’Asie, et les bateliers qui allaient par eau de Paris à Saint-Germain et à Poissy, disaient qu’ils avaient beau ramer, ils étaient trois ou quatre jours à ne faire autre chose que passer et repasser devant monseigneur saint Denis.

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