LA FRANCE PITTORESQUE
Heure légale : les Français rajeunissent
le 9 mars 1911 en adoptant
le méridien de Greenwich
(D’après « Le Journal du dimanche », paru en 1911)
Publié le dimanche 27 février 2022, par Redaction
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Début mars 1911, Charles Nordmann, astronome de l’Observatoire de Paris, annonçait aux Français qu’ils allaient rajeunir de 9 minutes et 21 secondes : une loi, sur le point d’être promulguée au Journal officiel, décidait en effet que l’heure légale alors utilisée en France et en Algérie, et qui était l’heure de l’Observatoire de Paris, serait dorénavant retardée, afin de s’aligner sur le méridien de Greenwich.
 

L’origine de cette mesure, qui aurait pour effet de rajeunir un peu — au moins officiellement — tous les Français, était ainsi présentée : le soleil, dans sa course apparente de l’est à l’ouest, passe successivement au-dessus de tous les points du globe ; si l’on suppose réunis le pôle Nord et le pôle Sud par un de ces grands cercles qu’on voit sur les sphères géographiques des écoles et qu’on appelle un « méridien », il est clair qu’il sera midi en même temps pour tous les lieux, situés sur un même méridien ; midi sera plus tôt pour les méridiens situés à l’est et plus tard pour les autres.

La différence est même plus grande qu’on ne le croit pour de faibles distances : ainsi midi a lieu en réalité trente-sept secondes plus tard à l’extrémité ouest de Paris qu’à son extrémité est ; à Brest, midi vrai a lieu vingt-sept minutes et dix-neuf secondes plus tard qu’à Paris. Un aviateur qui, à midi précis partirait de Paris vers l’ouest à la vitesse de 288 kilomètres à l’heure, conserverait indéfiniment le soleil à son méridien, c’est-à-dire qu’il serait sans cesse réellement midi pour lui.

Avant 1891, les horloges des principales villes de France étaient mises à l’heure locale ; il fallait sans cesse régler sa montre quand on voyageait ; c’est alors qu’une loi (14 mars 1891) décida que, dans le but d’éviter les inconvénients qui en résultaient pour les chemins de fer, l’heure légale dans toute la France serait celle qui est réglée sur le méridien de Paris.

C’est pour, des raisons analogues qu’un grand nombre de nations se sont, concertées pour mettre en concordance leur manière de mesurer les heures. Un congrès international réuni à Washington décida à une grande majorité que la Terre serait divisée en vingt-quatre « fuseaux horaires » séparés par des méridiens bien définis distants chacun, de 15 degrés (de façon à réaliser au total les 360 degrés de la circonférence terrestre), que l’heure légale serait la même à l’intérieur de chaque fuseau et qu’elle augmenterait conventionnellement ou retarderait d’une heure suivant qu’on passerait dans un fuseau situé à l’est ou à l’ouest du précédent.

Ainsi l’Europe est divisée en trois grands fuseaux ; quand les horloges légales des pays situés dans le fuseau oriental marquent midi, il est seulement onze heures du matin dans le fuseau central et, dix heures dans le fuseau occidental dont fait partie la France. Celle-ci avait tout d’abord refusé d’adhérer à cette convention internationale, parce que le méridien adopté pour régler l’heure de ce fuseau (et par là même celle de tous les autres) est celui de Greenwich et non celui de Paris, qui en diffère de neuf minutes vingt et une secondes.

La loi de mars 1911 qui était en passe d’être promulguée revenait donc à décider que l’heure légale en France était, en réalité, non celle de Paris, mais celle de Greenwich. Aussi certaines personnes considérèrent cette mesure comme une abdication ; elles remarquèrent que si elle eût été adoptée à l’époque où le vieil astronome Janssen, au nom de la France, refusa de s’y associer au congrès de Washington, elle eût été tenue par beaucoup pour une sorte de Waterloo scientifique. Ces mêmes personnes se souvenaient que depuis que Louis XIV fit poser solennellement à l’Observatoire de Paris cette petite ligne de marbre qui définit le méridien zéro de l’Observatoire, celui-ci avait eu une longue et brillante carrière, et avancèrent que l’abandonnant, c’était laisser mourir un peu du passé de la France.

Les avantages pratiques qui ressortaient de la nouvelle loi justifièrent néanmoins le petit sacrifice qu’elle comportait. En outre, il convenait de garder à l’esprit que l’heure et le méridien initial adopté n’étaient après tout pas seulement anglais, mais également bien français, puisque le méridien de Greenwich traverse la France, et passe notamment par Saumur. Et certains de suggérer de décider que l’heure légale de la France serait dorénavant celle de Saumur qui, déjà capitale équestre de notre pays, en deviendrait aussi la capitale horaire !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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