LA FRANCE PITTORESQUE
Alchimistes du début du
XXe siècle et pierre philosophale
(D’après « La Science française », paru en 1904)
Publié le jeudi 1er février 2018, par Redaction
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Féru d’alchimie et versé dans l’ésotérisme, René Schwaeblé (1873-1938), auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, nous explique au début du XXe siècle que cet art n’est pas mort et qu’il y a encore des alchimistes. En France, souligne-t-il, il y a une cinquantaine de « fourneaux » allumés, il y en a plus en Allemagne, plus encore en Ecosse. Et d’ajouter que nos modernes alchimistes peuvent se diviser en deux classes : ceux qui continuent de fouiller les vieux textes et ceux qui s’intitulent chimistes unitaires.
 

Entre ces deux classes, poursuit Schwaeblé, il faut placer la Société alchimique de France dirigée par MM. Jollivet-Castelot, Delassus et d’Hooghe et servie par un organe, Rosa Alchemica, société qui, tout en méditant sur les classiques de l’alchimie, ne dédaigne pas les derniers progrès de la chimie officielle.

Parmi les représentants de la seconde classe (que ceux de la première traitent dédaigneusement de « garçons de laboratoire ») il convient de citer Tillereau qui fut amené en entendant les mineurs mexicains dire : « Ceci est bon et mûr » ou : « Ceci est mauvais et n’est pas encore passé à l’état d’or », à considérer l’or comme provenant de la transformation des minéraux ; Tillereau qui explique avoir obtenu des parcelles de ce métal en traitant par l’acide nitrique l’argent en limaille.

Fourneau d'alchimiste

Fourneau d’alchimiste

Citons aussi un Américain, Edward Brice, qui affirmait alors avoir obtenu également de l’or et de l’argent en formant d’abord un sulfite d’antimoine, puis un sulfite de fer, enfin un sulfite de plomb ; ou bien Strindberg, l’illustre homme de lettres suédois, qui fabrique un peu d’or en opérant sur du sulfate de fer, du chromate de potasse et du permanganate de potasse dont les poids atomiques sont précisément ceux de l’or.

Le Brun de Vilroy, qui disait arriver â un accroissement du cuivre de 90 à 100 % en traitant du phosphate de soude, du chlorure de sodium, du sulfate de cuivre et du sulfure de potassium ; un autre américain, Emmens, qui s’enrichit (?) à vendre l’or sorti des dollars mexicains soumis à un battage puissant dans des conditions frigorifiques telles que les chocs répétés ne puissent produire même une élévation momentanée de température ; M. de Rochas qui prépare de l’argent allotropique.

Au reste l’on trouvera aux Arts et Métiers plusieurs brevets pour la fabrication des métaux précieux (voir, entre autres, celui pris, à la fin du XIXe siècle, par Frantz et Favre), procédés consistant à combiner divers éléments métalliques avec le silicate de soude. Ajoutons que le propriétaire de l’un de ces brevets avançait que l’on pouvait obtenir un accroissement de la matière métallique mais à l’état pyrophorique seulement, que l’on ne pouvait lingoter le métal !

Quant aux représentants de la première classe, ce sont des personnes discrètes qui n’aiment pas à voir leurs noms cités. Tel cet homme proprement vêtu qui, à La Haye, le 27 décembre 1666, se présenta chez Helvétius, médecin du prince d’Orange, montra une boîte d’ivoire contenant trois petits morceaux d’une matière rouge et extrêmement pesante, assura qu’avec eux il fabriquerait vingt tonnes d’or et s’en alla sans donner son nom. Mais Helvétius, faisant mine de les examiner attentivement, avait, sans que l’autre s’en aperçut, détaché de la matière légèrement friable une portion imperceptible. Aussitôt l’inconnu parti, il acheta un creuset, y mit du plomb et la matière, plaça le tout sur le feu. A sa grande stupéfaction le plomb se changea en or !

Quoi d’étonnant, disent nos alchimistes modernes, si un peu de poudre de projection convertit en or une livre de mercure ? La diastase ne transforme-t-elle pas en sucre 2 000 fois son poids d’amidon ?

Il n’y a pas, selon les alchimistes, de corps simples. Tous les corps sont formés de la même substance matérielle, tous les composés d’une masse sont simples, ou, si l’on préfère, tous les corps sont composés — composés de mêmes atomes diversement groupés.

Sur un plat de verre étendre du verre pulvérisé en une couche égale, semer quelques grammes, cinq par exemple, de graines de cresson, et les arroser exclusivement d’eau distillée. Incinérer la récolte obtenue : dans cette cendre végétale on trouve de la potasse, de l’huile, du soufre, et des oxydes de fer et de manganèse. Prendre maintenant 5 grammes de graines pareilles à celles qu’on a semées ; les calciner et les analyser : on y trouve beaucoup moins de fer que dans les résidus produits par l’incinération de la récolte.

Des plantes, cultivées dans un sol privé de fer et alimenté d’air soigneusement filtré, finissent par contenir des quantités notables de sels de fer. Le fer s’est bien formé par la combinaison des gaz de l’air et de l’eau avec les matières du sol. Le blé, semé dans un sable stérile, produit des grains assez abondants en phosphate alors que ni l’air ni le sol ne contiennent des traces d’acide phosphorique.

Un alchimiste (XVIIe siècle), par David Teniers le Jeune (1610-1690)

Un alchimiste (XVIIe siècle), par David Teniers le Jeune (1610-1690)

Les propriétés des métaux, comme celles des autres matériaux, résultent de la constitution moléculaire. Beaucoup de composés, selon qu’ils cristallisent dans un système ou dans un autre, acquièrent des propriétés différentes sans que leur composition s’altère ou change. Et les fameux mots isomérie et allotropie n’expliquent rien. Le zinc, cassant à la température ordinaire, est-il le même métal que le zinc ductile et malléable entre 100 et 150° ? N’est-il pas plutôt un corps allotropique de celui-ci ?

En 1869, le chimiste russe Mendeleïev a rangé sur une spirale les corps simples suivant la progression de leurs poids atomiques, les séparant par des distances proportionnelles à l’écart de ces poids. Plusieurs des cases réservées par Mendeleïev à des corps inconnus furent par la suite remplies par des éléments découverts, comme Neptune s’est rencontrée à l’endroit du ciel où l’attendait Le Verrier. En considérant les rayons de cette toile d’araignée, on voit que les corps ayant mêmes propriétés, c’est-à-dire appartenant à même famille chimique, ont des poids atomiques multiples les uns des autres, et sont, par conséquent, formés de la polymérisation du plus léger d’entre eux.

Les alchimistes considèrent les corps comme des modifications polymériques d’un seul et même élément, et comme des modifications de durée variable. Pour eux la matière évolue. Plongez un cristal d’alun incomplet dans un bain approprié, il réparera par phénomène d’hérédité ce qui lui aura été enlevé et s’accroîtra régulièrement. Les matériaux se transforment dans la terre, la grande cornue, engendrant des métaux, de la houille et d’autres corps plus ou moins parfaits suivant le temps de cuisson.

Nicolas Flamel, Albert le Grand, Roger Bacon, Raymond Lulle, Arnaud de Villeneuve, Bernard le Trévisan, Denis Zacaire, Basile Valentin, Paracelse et autres maîtres de l’alchimie prétendaient que tout métal se compose de Soufre, de Mercure et de Sel (qu’il ne faut pas confondre avec le soufre, le mercure et le sel vulgaires).

Si l’on a beaucoup écrit et beaucoup discuté sur ces trois termes, Schwaeblé estime que le Soufre c’est le carbone qui donne aux métaux la densification, le Mercure l’hydrogène qui leur donne la volatilisation et le Sel l’oxygène qui résout le Soufre et le Mercure et les ramène à l’état de terre inanalysable (au moins pour la chimie officielle), à l’état de « corps simple ».

Carbone, hydrogène, oxygène constituent avec l’azote, qui, lui, n’est qu’un agent, les quatre éléments (issus tous quatre de la matière unique) dont sont formés les corps. Peu importent les noms ! Il faut seulement considérer la constitution atomique, le système de cristallisation et les types qui en dérivent.

Nicolas Flamel

Nicolas Flamel

Toujours selon Schwaeblé, plus un métal est oxygéné et carburé, par l’alchimiste, plus il est dense, coloré, plus il approche de la couleur jaune (exemple : l’or) ; plus il est hydrogéné plus il approche de la couleur blanche (exemple : l’antimoine, Ne pas oublier que la véritable couleur de l’argent n’est pas la couleur blanche). Dès lors, si dans un métal vil on enlève des éléments d’hydrogène et ajoute des éléments d’oxygène on doit obtenir un métal plus dense, l’on doit pouvoir arriver à l’or.

Pour parvenir à cette substitution d’atomes il faut employer un agent qui, jeté au sein d’un métal en fusion, produira une transformation atomique semblable à celle que subissent les matières organiques lorsqu’une levure les fait fermenter. Cet agent c’est la pierre philosophale.

Comment l’obtenir ? Il s’agit de rendre vivants, philosophiques le Soufre, le Mercure et le Sel des métaux, et de les mélanger dans un vase appelé œuf philosophique, que l’on expose de longs jours à la chaleur d’un fourneau nommé Athanor. Dans l’OEuf le Soufre et le Mercure philosophiques entrent grâce au Sel en putréfaction (les alchimistes pensent que la vie renaît de la putréfaction), deviennent véritable ferment des métaux, ferment qu’il n’y aura plus qu’à mêler à de l’argent ou de l’or pour le rendre ferment d’argent ou ferment d’or, c’est-à-dire pierre philosophale.

Ajoutons que, les matières une fois enfermées dans l’OEuf, il suffit de connaître les degrés du feu à donner. Toute la difficulté réside dans la confection du Soufre, du Mercure et du Sel philosophiques.

Pour conclure, Schwaeblé laisse la parole aux deux maîtres Berthelot et Dumas. Celui-ci a dit dans ses Leçons sur la philosophie chimique : « ... Serait-il permis d’admettre des corps simples isomères ? Cette question touche de près à la transmutation des métaux. Résolue affirmativement, elle donnerait des chances de succès à la recherche de la pierre philosophale... Il faut donc consulter l’expérience ; et l’expérience, il faut le dire, n’est point en opposition jusqu’ici avec la possibilité de la transmutation des corps simples ».

Et Berthelot a écrit : « .,. Au commencement de ce siècle la chaux et les alcalis étaient regardés comme des éléments, la découverte de la pile permit de les dissocier en éléments plus simples : dès lors rien n’empêche de penser qu’une invention analogue à celle de la pile nous fournira le moyen de réduire les corps que nous regardons actuellement comme simples. Des considérations tirées d’ordres très divers viennent à l’appui de ces vues sur la décomposition possible des corps réputés simples... ».

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