LA FRANCE PITTORESQUE
Procès en sorcellerie : tragique destin
d’une « petite sorcière » au XVIIe siècle
(D’après « Archives historiques et littéraires du nord de la
France et du midi de la Belgique », paru en 1837)
Publié le lundi 18 août 2014, par Redaction
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Le XVIIe siècle est émaillé de procédures d’où ressort une grande foi en la sorcellerie, tant du peuple que des magistrats chargés de l’administrer et de poursuivre sans pitié les personnes convaincues du « détestable crime de sorcellerie, magie et semblables inventions diaboliques ». Les archives du nord de la France nous révèlent par exemple le tragique destin de Marie, petite « sorcière » d’une dizaine d’années habitant le village de Préseau.
 

Greffes et archives recèlent de nombreuses procédures à l’encontre des sorciers et sorcières qu’une législation traquait. Le 24 avril 1606, le conseil souverain d’Artois écrivit dans ce sens à la ville de Saint-Omer et aux autres juridictions de la province. Les résultats ne se firent pas attendre.

L’année suivante Jean Bucquet, paysan d’Inchy-en-Artois, accusé de jeter des sorts fut condamné au bûcher par le conseil souverain d’Artois et livré aux flammes avec sa femme. Leurs enfants, Jean et Françoise Bucquet, âgés l’un de dix et l’autre de huit ans, également convaincus du crime de sorcellerie, obtinrent, vu la tendresse de leur âge, d’échapper à la mort, mais le conseil souverain compensa bien largement cette tolérance en ordonnant « qu’ils assisteroient aux supplices de leurs père et mère et seroient fustigés de verges ; qu’ils seroient détenus en prison dedans certaine maison qui seroit acquise aux frais etdépens de la gouvernance ou bailliage, y commettant un geolier, et où ils seroient souvent catéchisés et punis, s’ils s’obstinoient à nier leur crime. »

Le même conseil d’Artois déclara par arrêt, en 1635, la malheureuse Pasquette Crespin, atteinte et convaincue de sorcellerie, et la condamna pour ce fait à être brûlée vive sur la Place d’Arras. A Morbecque, on montre encore la butte sur laquelle furent dressés les bûchers qui, à deux reprises, consumèrent deux femmes réputées sorcières.

Trois sorcières sur le bûcher

Trois sorcières sur le bûcher

Enfin, le parlement de Flandre, par arrêt du 13 septembre 1679, soit trois ans seulement avant l’ordonnance libérale de 1682 — qui portera que les sorciers ne seront poursuivis que comme trompeurs, profanateurs et empoisonneurs —, condamnait la femme N*** à faire amende honorable, à être étranglée à un poteau, son corps brûlé, et ses cendres jetées au vent, pour avoir renoncé à son baptême, avoir été plusieurs fois, de nuit, aux assemblées des sorciers, avoir charnellement habité avec le diable, et en avoir acheté de la graisse avec quoi elle a maléficié Marie Boulanger.

Mais il est un fait dont les annales ont conservé tous les détails, et qui mérite d’être relaté avec quelques développements. Une jeune fille (car il est à remarquer que presque tous les personnages accusés de sorcellerie appartiennent au sexe le plus faible qui semble appelé, en diverses occasions à remplacer la force par la ruse), une jeune fille donc, nommée Marie Carlier, naquit en 1630, au village pittoresque de Préseau (Nord), situé entre les villes de Valenciennes et du Quesnoy.

Sa mère habitait une modeste chaumière ombragée par les hautes murailles du vieux château possédé jadis par les illustres maisons de Mérode et de Beaufort : cette femme, dont on ne connaissait pas le mari, avait dans la contrée une réputation faite en sorcellerie ; la petite Marie devait être une sorcière de pur sang ; aussi fut-elle, au dire des gens de l’endroit, initiée de bonne heure dans les secrets de la magie et les mystères sataniques. Voici ce que raconte à cet égard la procédure dont elle devint plus tard l’objet.

Le 20 novembre 1639, la jeune Marie, alors âgée de 9 ans, retournant avec sa mère de Valenciennes à Préseau, un samedi jour de marché, aperçut de loin un gros de soldats qui erraient par la campagne ; c’étaient des coureurs Français de la garnison de Landrecies qui profitaient du repos de l’hiver pour mettre le temps à profit, et qui, vrais corsaires de terre ferme, rançonnaient sans lettres de marque, tous les habitants qu’ils rencontraient isolément. L’endroit paraissait merveilleusement choisi pour des détrousseurs de passants ; c’était au lieu dit les Fontinettes, dans un endroit désert et enfoncé au dessus du village de Marly. Les soldats, oubliant leur qualité de militaires et de Français, dévalisèrent les deux pauvres femmes et emportèrent tout ce qu’elles possédaient.

La petite Marie se désolait, non de cette perte qu’elle ne comprenait pas, mais de l’affliction où elle voyait sa mère, quand celle-ci l’arrêta court dans un lieu où le chemin est aride et profondément creusé par lés ravins, sécha tout-à-coup ses larmes et lui dit : « Ma fille, veux-tu servir une belle demoiselle à laquelle toi obéissant toujours, tu seras en repos et à ton aise toute ta vie ? — Oui, mère, fit la petite. »

A l’instant même une elle dame, vêtue de blanc, apparut devant elle sans qu’elle eut pu voir d’où elle sortait, et lui renouvela la même question en ajoutant à sa demande si elle renoncerait à crême et à baptême ; ce qu’ayant fait incontinent la petite, la dame blanche la marqua au bras, non sans une grande douleur de la part de Marie, selon le rapport qu’elle en fit. Le même jour, elle fut rencontrée, dit l’instruction, par quelque diable qui avait pris la forme d’un serviteur nommé Joly, lequel la déshabilla, l’oignit d’un certain onguent diabolique, puis la conduisit à la danse où se trouvait sa mère et d’autres femmes. D’après sa confession, Marie resta l’espace de deux ans tranquille et sans user de maléfice.

A I’âge de onze ans, elle revit son diable Joly, qui lui fit réitérer sa renonciation au baptême et au saint-crême, et lui remit une poudre précieuse pour accomplir tout sortilège. Marie vint alors demeurer à Valenciennes chez un sien beau-frère, habitant sur la paroisse Saint-Jacques et qui avait deux fils. Ce parent l’ayant fortement battue un jour pour quelque désobéissance, elle conçut des projets de vengeance contre lui et, pour essayer son pouvoir magique, elle fit languir l’un de ses fils à l’aide de sa poudre, et donna la mort à l’autre.

Peu de jours après, elle voulut faire ses Pâques en l’église Saint-Jacques sa paroisse ; elle se confessa au chapelain, comme cela fut prouvé par le registre de l’église, mais au moment d’avaler la sainte hostie, il sembla qu’une puissance surnaturelle s’opposait à son introduction dans le corps d’une sujette de Satan ; elle fut obligée de la rejeter de sa bouche pour la cacher sous une pierre. En outre, elle confessa d’avoir cohabité plusieurs fois avec son diable Joly.

Elle déclara aussi qu’à la suite de quelque mécontentement, elle souffla un peu de sa poudre dans la bouche de la fille de la veuve Pésin, marchande de draps demeurant dans la rue Cardon ( aujourd’hui rue du Quesnoy), laquelle depuis ce temps partit possédée et fut diverses fois exorcisée dans l’église des révérends pères Jésuites, non sans une grande admiration du peuple Valenciennois qui se portait en foule à ce spectacle édifiant. Elle a fait languir plusieurs enfants, voire même mourir la fille de l’aumônier Hallier et d’autres encore, soit par haine, soit par jalousie.

Tous ces faits, énumérés dans l’instruction, avaient pris quelque consistance dans un public crédule et passablement ignorant ; ils avaient été répétés parmi le bas-peuple, exagérés par les béates craintives et cancanières ; bref, ils attiraient déjà l’attention des autorités civiles et ecclésiastiques sur la brune Marie, quand un dernier fait, plus positif que tous les autres, vint décider son arrestation.

Arrestation d'une sorcière au XVIIe siècle

Arrestation d’une sorcière au XVIIe siècle

Le 4 octobre 1643, jour de Saint-François, Marie ayant une velléité de se confesser, se rend à l’église et entre dans un confessionnal ; parvenue là, sa langue se glace dans sa bouche, sa parole refuse à se faire entendre ; elle ne peut prononcer un seul mot, si bien qu’elle est obligée de battre en retraite devant cette nouvelle marque de la puissance du démon. Sortie de l’église, et voyant que son diable qui l’avait empêchée de faire sa confession, la moleste encore, elle déclare elle-même aux pauvres qui se tenaient sous le porche du temple qu’elle est ensorcelée.

Elle veut entrer dans le parloir des Récollets pour demander des secours aux Révérends frères contre le mal dont est elle atteinte ; ceux-ci accueillent sa confiance et la consolent spirituellement. Elle se retire alors plus calme, du moins en apparence, et va trouver un échevin en lui répétant qu’elle est ensorcelée, qu’elle a fait mourir son neveu et d’autres enfants de la ville.

Le magistrat la voyant si jeune et si petite (elle avait alors treize ans), hésite de l’appréhender au corps, mais cependant dans l’intérêt du bien public , pour la décharge de sa conscience et surtout pour satisfaire aux ordres de la cour, il la fait conduire à la prison de la ville où elle continua ses aveux en déclarant avoir usé de maléfice envers la fille Pésin à l’aide d’une poudre qu’elle avait cachée dans les draps de sa boutique , où l’on pourrait encore en trouver un paquet. En effet, un zélé père Jésuite, envoyé chez la mère Pésin, rapporta le paquet de poudre.

Cette malheureuse enfant, qu’on aurait dû mettre entre les mains d’un médecin instruit et prudent, plutôt que de la livrer au bras séculier, resta un an et demi en prison tandis qu’on envoya toutes les pièces de son procès aux universités de Douai et de Louvain, où les docteurs Wallons et Flamands s’évertuèrent longtemps sur cette cause délicate. Les facultés de médecine, les seules compétentes vu l’âge de la jeune fille, ne furent même pas consultées.

On fit passer les avis des théologiens et des légistes à la cour de Bruxelles qui manda sans délai au magistrat de Valenciennes de faire exécuter Marie secrètement, vu sa jeunesse et sa petitesse. Le secret de l’exécution fut tout l’adoucissement qu’on crut devoir apporter à l’âge tendre de l’accusée et à son tempérament délicat. Il ne s’agissait pas d’atténuer la peine, mais seulement d’éviter d’émouvoir le public et d’exciter une pitié qui pût devenir embarrassante pour l’autorité.

D’après ces ordres cruels, un beau matin de l’année 1645, les magistrats de Valenciennes se levèrent avant le jour, comme pour mettre à fin une entreprise utile, et se portèrent en corps vers la cour Saint-Denis, derrière l’Hôtel de Ville dont l’aurore dorait à peine les plus hautes murailles. Là la jeune Marie Carlier fut extraite du cachot où elle languissait depuis dix-huit mois, et amenée devant l’échafaud chargée de plus de fers qu’elle n’en pouvait porter. Elle venait précisément d’atteindre sa quinzième année, et ce jour, qu’elle aurait dû solenniser comme celui d’une fête de printemps qui ouvrait pour elle la vie de jeune fille, elle ne devait plus le voir finir.

Le bourreau de la ville s’empara de sa tendre victime ; il parvint sans de grands efforts à la bâillonner, ses cris étant la seule opposition qu’elle eut pu mettre à ses desseins ; puis il l’attacha fortement à un pilori élevé dans la cour de la torture dont les portes avaient été soigneusement fermées pour rendre l’exécution plus sûre et plus secrète. L’on vit alors la douleur du serrement des cordes rappeler pour un moment, sur le visage décoloré de Marie, la couleur de la santé. Elle ne dura qu’un instant : l’exécuteur releva d’une main sa longue chevelure et de l’autre, d’un coup de son damas, il sépara du tronc la tête de la jeune fille au moment où le premier rayon du soleil levant venait de l’éclairer.

Le soir, on fit enlever le corps de la petite sorcière, comme on l’appelait, et on l’enterra à petit bruit et à la lueur des torches dans un fossé près l’Attre-Gertrude, sur le glacis de la ville entre les portes Cambrésienne et Cardon, lieu qui était déjà de funeste mémoire dont la terre paraissait destinée à recouvrir toutes les grandes infortunes.

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