LA FRANCE PITTORESQUE
Grimoire
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Publié le samedi 12 mars 2016, par Redaction
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Les variantes d’un vers de la farce de Patelin nous mettent sur la voie de son étymologie. Patelin se vante à sa femme de sa capacité : Je suis, dit-il, la meilleure tête du pays ; il n’est personne ici pour me le disputer, hors le maire. Aussi, répond Guillemette :

Aussi a-t-il lu le grimaire,
Et appris à clerc longue pièce !

Grimaire est la leçon de l’édition de 1490 ; d’autres ont de grammaire ; enfin l’édition ou le manuscrit qui a servi à établir le texte donné par Coustelier, en 1723, met grimoire. Si Coustelier n’a raison dans la forme, qui paraît trop récente pour le XVe siècle, il a raison au fond, car grimoire et grammaire c’est la même chose, c’est le même mot originairement.

Dans le roman de Baudouin de Sebourg, le roi de France, effrayé des exploits de ce redoutable bâtard, se décide à lui envoyer l’archevêque de Reims pour demander une trêve. Le bon prélat, monté sur son palefroi, arrive aux portes de la forteresse où Baudouin est retranché ; le pont-levis s’abaisse, et l’archevêque se trouve en présence d’un groupe de barons. « Aussitôt il leur donne sa bénédiction, en disant : Je vous absous encore que vous soyez rebelles envers le roi de France et de Paris. Lequel de vous est ce hardi bâtard ? — Seigneur, dit le vaillant comte Eustache en prenant Baudouin par le bras, le voici. »

Et li bastard s’escrie : Vez me chi, biaus amis.
Lut avez de gramare : Je suis li anemis !
Quant l’arcevesque l’ot, s’en a getet un ris.

(Et le bâtard s’écrie : Me voici, mon bel ami.
Vous avez lu dans la grammaire (ou dans le grimoire) : Je suis le diable !
Ce mot fit rire l’archevêque).

La plaisanterie de Baudouin fait allusion à ces histoires si répandues au Moyen Age, de curieux qui, lisant imprudemment dans le grimoire d’un sorcier, avaient fait apparaître le malin esprit. « Vous avez lu dans le grimoire, dit Baudouin, vous avez évoqué le diable : me voilà ! » Au milieu du XIVe siècle, époque où fut composé le Baudouin de Sebourg, le mot grimoire, comme on voit, n’était pas encore distinct du mot grammaire : la prononciation gramare tient le milieu, achemine de la première forme à la seconde.

Par la grammaire on entendait alors l’étude du latin. « En France, dit Daunou, c’était aussi à l’étude du latin qu’on donnait le nom de grammaire. » (Histoire littéraire, XVI, 138). Et cela s’accorde bien avec les paroles de Guillemette : Aussi a-t-il lu la grammaire et longtemps étudié pour être d’église : « Et apris à clerc longue piece. » L’étude du latin était regardée par le peuple comme un grimoire abordable aux seuls ecclésiastiques.

Grammatice loqui signifiait parler latin (voir Du Cange, au mot GRAMMATICUS). Le latin était la langue par excellence, la seule constituée sur un ensemble de règles fixes qu’on appelait la grammaire. Le français n’avait garde d’avoir l’orgueil d’aspirer si haut ! Il traitait le latin avec un respect tout filial, avec admiration, le latin qui avait une grammaire !

Bientôt grammaire et grimoire sont devenus deux mots tout à fait étrangers l’un à l’autre en apparence ; mais il ne fut jamais de plus proches parents, et le lien qui les unit n’a jamais été rompu. « J’ai lu, dit Ménage, le livre du père Malebranche contre M. Arnaud, mais je n’y comprends rien, et quantité de gens m’ont dit la même chose : C’est un grimoire tout particulier aux philosophes. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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