LA FRANCE PITTORESQUE
Décapitation de sainte Procule,
patronne de Gannat (Allier)
(D’après « Le Mois littéraire et pittoresque » paru en 1903)
Publié le samedi 26 juillet 2014, par Redaction
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A sainte Procule, patronne de la ville de Gannat (Allier), se rattache une légende comme la tradition populaire les a souvent aimées : la jeune fille, en proie aux inlassables assauts d’un seigneur du Rouergue exigeant le sacrifice de sa virginité, préfère la mort et se fait décapiter... avant de se relever et de susciter une incrédulité mêlée de stupeur
 

Au milieu de la ville est la grande place qui porte un nom déjà cité : place Hennequin — Joseph Hennequin, avocat, trésorier de France à Riom, qui devint plus tard député sous la Restauration. L’église est là, avec son haut clocher carré et ses chapelles adjacentes, et sa badegorge, gargouille de pierre grimaçante, qui rejette dans la rue, de la hauteur des frises, toutes les eaux de pluie qui tombent sur les toits. Derrière le maître autel, on remarque la chapelle de sainte Procule, patronne du pays.

Comme sur le nom de Gannat, on n’est pas d’accord sur la vie de la sainte, sur son pays et sa famille. Au XIXe siècle, le docteur Vannaire essaya de l’alléger de ses traditions invraisemblables. Il pensa que Procule était la fille d’un prêtre païen, devenue chrétienne aux premiers temps de la prédication des apôtres dans les Gaules. Sollicitée d’abjurer, elle préféra le martyre au reniement de sa foi nouvelle. Histoire simple, la vraie peut-être.

Seulement, on n’y trouve aucun de ces faits mystérieux et inexplicables qui forment l’attrait des légendes. Le peuple s’en tint à celle que lui avaient transmise ses ancêtres. Elle touchait davantage son imagination et son cœur. Procule, dit-on, était une belle paysanne, poursuivie par un seigneur puissant du Rouergue. L’homme du château féodal exigeait le sacrifice de sa virginité.

Procule, très pure, voulant fuir l’obsession inlassable de son persécuteur — une sorte de Barbe-Bleue, brutal et méchant —, quitta le pays, allant toujours devant soi, afin de se cacher en un lieu ignoré et désert. Le hasard la poussa vers Gannat, au milieu des collines rocheuses, près d’un ruisseau, où, avec des branchages, elle se construisit un abri. Elle y vivait en recluse, priant Dieu, se nourrissant de racines et de fruits sauvages. Et elle se réjouissait, en son cœur simple, d’avoir obéi à l’inspiration divine qui l’avait incitée à l’exil pour éviter l’opprobre.

Sainte Procule décapitée portant sa tête

Sainte Procule décapitée portant sa tête

Mais, un jour, le méchant seigneur, que dominait la passion, s’étant mis à sa recherche, découvrit sa retraite, et comme elle lui résistait encore, il l’assassina en lui tranchant la tête de son cimeterre. Alors, l’intervention divine se manifesta visiblement : le corps de Procule se releva, ses mains s’emparèrent de sa tête détachée du tronc, et ce corps décapité marcha, à l’épouvante de son bourreau qui s’enfuit du pays. Procule s’en allait à l’église de la ville. Elle obéissait à Dieu qui voulait montrer par ce miracle la récompense destinée à la vertu.

Les bouchers de Gannat étaient sur leur porte, quand elle passa devant eux ; et croyant à une farce de sorcier, à quelque sortilège, ils lui montrèrent la langue pour se moquer. Le miracle divin agissant toujours, les bouchers furent punis et ne purent rentrer la langue dans leur bouche. A ce signe, le peuple convaincu se prosterna sous les pas de la martyre et l’accompagna en foule à l’église, où elle déposa la tête décollée.

On éleva une chapelle sur le rocher de la colline où la jeune fille avait vécu, et chaque année, après une neuvaine célébrée en cet ermitage, la ville honore l’anniversaire de la sainte par une procession solennelle à travers les rues pavoisées de banderoles et d’étendards. Aux greniers des maisons, les pétards éclatent, des coups de carabine sont tirés au passage de la statue, portée sur les épaules des jeunes filles en confrérie, vêtues de blanc et ceinturées de rubans rouges. Les mères, tenant en leurs bras les enfants malades, suivent la procession entre les jeunes filles, afin d’obtenir la guérison de leurs petits infirmes, tandis que la foule, accourue de tous les environs, suit avec respect la procession triomphale, croyant en sainte Procule si elle ne croit plus en Dieu.

Il existait à Gannat, à la fin du XIXe siècle, une vieille bouchère exploitant son commerce dans une maison qui datait de plusieurs siècles, basse, les fenêtres étroites et couverte d’un toit à pignon, comme au Moyen Age. La maison était située dans le quartier des bouchers d’autrefois ; et la vieille bouchère, que l’on appelait la mère La Flamme, grande femme mince, aux traits allongés, se disait la descendante des victimes de leur irrévérence, narquois incrédules qui s’étaient moqués de la jeune martyre.

Aussi, quelle religion pour la sainte ! Avec quelle componction et quel amour elle en parlait ! Rien ne lui coûtait pour honorer cette mémoire. Devant sa maison, tous les ans, le plus beau reposoir de la procession était construit de ses mains, tout en frisures de corne, qu’elle amoncelait jour par jour.

Un matin, on la vint avertir qu’une trombe d’eau de la veille avait fait déborder le ruisseau qui coule aux bords du sanctuaire de l’ermitage. Les murs étaient renversés, le toit effondré, tous les objets du culte entraînés dans les eaux bourbeuses, et peut-être la statue elle-même de la sainte. Elle y courut, éperdue, attristée, résolue à sauver sa patronne au péril de sa vie.

Quelle surprise l’attendait ! Si tout était dévasté, la statue de la sainte se dressait intacte au milieu des ruines. Les eaux l’avaient respectée. Comment ne pas croire ensuite à la persistance du miracle et à l’efficacité de la sainteté ?

Sa renommée est au loin répandue. Au début du XXe siècle, les maçons du Limousin qui viennent à Paris se détournent de leur chemin et se rendent au pied de la chapelle afin d’y réciter une prière. Puis, avant de s’éloigner, ils enlèvent, de leur couteau, un morceau de la porte, qu’ils considèrent comme porte-bonheur. La porte fut, un jour, si bien déchiquetée qu’il fallut, pour la protéger, la barder de fer.

Au total, la légende du docteur Vannaire, d’un érudit et d’un homme sensé, est beaucoup trop rationnelle et trop nue pour entraîner l’élan et la foi naïve de la foule. Qu’elle est plus touchante celle de la jeune paysanne qui préféra la mort au sacrifice de sa vertu ! Et c’est encore celle-ci que l’on répète et que l’on révère.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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