LA FRANCE PITTORESQUE
Fantôme de Rosette, ouvrière de
la manufacture de tapis d’Abbeville
(D’après « La Picardie littéraire, historique et traditionniste », paru en 1903)
Publié le mercredi 10 novembre 2021, par Redaction
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Parmi les vieilles légendes qui avaient cours dans le personnel ouvrier de l’ancienne manufacture royale de tapis d’Abbeville, il y en avait une rappelée assez fréquemment dans la conversation des ouvriers et dans celle des habitants du quartier. De vieilles ouvrières disaient qu’une très ancienne surveillante venait pendant la nuit examiner leur travail...
 

C’était pendant les nuits claires, quand brillait la lune, que la vieille Rosette venait faire sa ronde. Aucune des ouvrières ne l’avait jamais vue, mais plusieurs, très âgées, prétendaient avoir connu dans leur jeunesse de vieilles ouvrières qui assuraient l’avoir vue.

Rosette venait, disait-on, coiffée d’un grand bonnet de l’ancien temps qui lui cachait la figure, et passait d’un bout à l’autre de l’atelier sans se laisser approcher. Si on voulait la suivre, elle pressait le pas en sifflant, et, arrivée à l’extrémité, elle disparaissait et revenait à son point de départ pour recommencer sa tournée.

On voyait se détacher son ombre successivement devant chaque fenêtre ; des pièces d’étoffe et des écheveaux de laine s’agitaient à son passage. On donnait comme preuve de sa venue le déplacement des outils trouvés aux endroits où se plaçaient les ouvrières.

Rosette sifflait ou soufflait pendant toute sa visite, de façon à indiquer sa satisfaction ou son mécontentement. La visite de Rosette ne se faisait que dans un seul atelier, dans lequel elle aurait travaillé elle-même jadis disait-on ; jamais on ne l’avait vue dans les autres.

Ancienne manufacture de tapis d'Abbeville, datant du XVIIe siècle

Ancienne manufacture de tapis d’Abbeville, datant du XVIIe siècle

Un jour, une nuit plutôt, explique J. Vayson, chroniqueur de La Picardie littéraire, voulant me rendre compte des causes qui avaient donné lieu à cette légende, je me rendis dans cet atelier, composé de deux vastes pièces fort longues à la suite l’une de l’autre ; un escalier placé entre eux y donnait accès.

A chaque pas, les montants des métiers changeaient la direction de la lumière et se trouvaient éclairés différemment ; des écheveaux de laine de diverses nuances s’agitaient, poussés par le vent qui remuait parfois. Les carreaux dans les vieilles fenêtres et de grands dessins sur. papier. Cet. ensemble pouvait, avec un peu d’imagination, donner l’apparence du passage d’un fantôme. Il est certain qu’aucune des ouvrières n’eût voulu aller la nuit sans lumière dans ce long atelier.

En général, les légendes touchent par quelques points à une idée morale ou religieuse ; celle-ci, au contraire, a un caractère tout industriel assez rare et n’a trait qu’au travail.

Elle ne doit pas remonter à une époque antérieure à 1665, à moins qu’elle ne soit la suite d’une légende semblable plus ancienne, créée dans d’autres ateliers de la ville qui, à cette époque, était fort industrielle et possédait beaucoup d’ateliers de tissage de diverses étoffes, entre autres de tissus de laine et de toiles.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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