LA FRANCE PITTORESQUE
Reliques de Childéric, père de
Clovis, découvertes en 1653
(D’après « Lisez-moi historique », paru en 1936)
Publié le dimanche 21 février 2016, par Redaction
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La tombe de Childéric, l’un des rois francs du nord-ouest de la Gaule (457-481) et père de Clovis, fut découverte fortuitement le 27 mai 1653 à Tournai près de l’église Saint-Brice, et remarquablement étudiée par l’érudit bisontin Jean-Jacques Chiflet. Outre une bague sigillaire en or portant l’inscription CHILDIRICI REGIS, qui permit l’identification du défunt, la sépulture royale renfermait des insignes de pouvoir germanique et romain, l’ensemble des reliques connaissant dès lors un tumultueux parcours.
 

Childéric Ier, fils de Mérovée et père de Clovis, mourut en 481, à Tournai, sa capitale. Il était âgé d’environ quarante-cinq ans. Dès qu’il eut fermé les yeux, on le revêtit de ses vêtements royaux, on l’orna de ses bijoux, on fixa à son ceinturon sa bourse remplie de pièces d’or ; puis, l’ayant couché dans un coffre de bois garni de ferrures, on disposa ses armes autour de lui : l’épée à son côté gauche ; la lance, à droite ; la hache, sur la partie inférieure des jambes. Cela fait, le cheval du défunt ayant été sacrifié, son cadavre fut jeté dans la fosse qui reçut le cercueil du roi.

Et les siècles passèrent, et l’oubli se fit. Toute trace extérieure de la sépulture avait depuis longtemps disparu quand, brusquement, un incident banal mit au jour la dépouille royale, après douze siècles d’ensevelissement.

Un heureux coup de pioche
Au XVIIe siècle, l’église Saint-Brice, à Tournai, était entourée de petites constructions qui s’appuyaient sur elle, et qui étaient habitées par les prêtres attachés à la paroisse. La demeure du premier vicaire servait en même temps d’hospice pour les pauvres du quartier. Or, comme elle tombait en ruines, on résolut de l’abattre pour la réédifier sur place.

Garde de l'épée de Childéric Ier

Garde de l’épée de Childéric Ier

Le 27 mai 1653, à 15 heures, un pauvre diable, sourd-muet congénital, nommé Adrien Quinquin, creusait les fondations de la nouvelle construction ; il était arrivé à une profondeur voisine de deux mètres et demi, quand sa pioche ramena, mélangées à la terre, une boucle en or et une centaine de pièces d’or qui s’éparpillèrent dans la tranchée. Saisi d’un joyeux étonnement, le terrassier abandonna ses outils et courut chercher le curé de Saint-Brice, pour lui montrer sa découverte.

Le doyen Gilles Patte le suivit aussitôt, accompagné de deux marguilliers de la paroisse, Jean Berlo et Nicaise Roger. Les voisins se rassemblèrent : petites gens, boutiquiers et servantes. La nouvelle de cette intéressante découverte se propageant en ville, on vit bientôt réunies autour de la fosse toutes les autorités de la cité : évêque, doyen du chapitre, chanoines de la cathédrale, etc., sans parler des badauds...

On approfondit les fouilles et on mit au jour tout le contenu de la fosse qui fut rassemblé sur les déblais (cumulo terrae et sordium) au milieu desquels brillaient d’innombrables fils d’or. Le curé et le gouverneur se partagèrent le trésor ; mais nombre de débris furent recueillis par des amateurs improvisés.

 Parmi les personnalités assistant à la découverte, se trouvait le chanoine Jean Chiflet, qui remarqua particulièrement un anneau sigillaire en or sur lequel on lisait l’inscription : CHILDERICI REGIS. Cet anneau donnait à la trouvaille toute sa signification. Chiflet en prit une empreinte et l’envoya à son père, Jacques Chiflet, médecin (à Anvers) de l’archiduc Léopold-Guillaume qui gouvernait les Pays-Bas au nom du roi d’Espagne, Philippe IV.

L’archiduc comprit aussitôt la valeur inestimable du trésor et manœuvra assez habilement pour que les autorités de Tournai lui en fissent présent. En signe de satisfaction, il nomma le premier magistrat de la ville, maître Jean de Bargibant, chevalier de ses ordres et fit remettre six doublons d’or au pauvre « trouveur » Adrien Quinquin.

Un médecin archéologue
Aussitôt reçu le trésor de Childéric, Léopold-Guillaume le confia à Jacques Chiflet avec mission d’en poursuivre une étude minutieuse et de faire reproduire par des graveurs réputés tous les objets recueillis. Ce médecin était un de ces érudits encyclopédiques dont l’esprit possède assez de souplesse pour s’adapter sans cesse à des études nouvelles.

Né à Besançon, le 21 janvier 1588, il avait étudié la médecine à Dôle, à Paris, à Montpellier et à Pavie. Après avoir beaucoup voyagé, il était devenu médecin de l’archiduchesse Isabelle-Claire-Eugénie, souveraine des Pays-Bas, qui l’avait député en Espagne, au roi Philippe IV. De retour en Flandre, il fut choisi, après la mort de l’archiduchesse, comme premier médecin du cardinal Ferdinand, puis de l’archiduc Léopold-Guillaume, gouverneurs successifs des Pays-Bas. Lorsqu’il mourut, en 1673, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, Chiflet avait publié trente-cinq ouvrages : deux en français, les autres en latin, étudiant La ville de Besançon, L’Iccius portus de César, La Toison d’Or, Les Tombeaux germains, La Loi salique, Le Quinquina, Le Saint-Suaire, La Sainte Ampoule, Les Lys de France, L’Origine des Capétiens et enfin Le Tombeau de Childéric.

Cette dernière étude, commencée en novembre 1653 et terminée en 1655, constituait un volume in-4° de 376 pages, orné de 27 planches et de gravures sur cuivre. Voici son titre exact : Anastasis Childerici I, Francorum regis, sive thesaurus sepulchralis, Tornaci Nerviorum effusus et commentario illustratus, auctore Jean-no-Jacobo Chiffletio, equite, regio archiatrorum comite, et archiducali medico primario : Antverpiae, ex officina Plantiniana Balthasaria Moreli, M.DC.LV.

Reproduction de l'anneau sigillaire de Childéric découvert en 1653

Reproduction de l’anneau sigillaire de Childéric découvert en 1653

En 1656, Léopold-Guillaume quitta les Pays-Bas pour aller se reposer à Vienne, emportant avec lui le trésor sépulcral de Childéric. Il mourut le 19 novembre 1662, et son neveu, Léopold Ier, empereur d’Allemagne, hérita de sa collection.

Le trésor mérovingien en France
Or il se trouva que Louis XIV rendit service à l’empereur en lui envoyant un corps d’armée pour l’aider à repousser les Turcs en Hongrie (1664). Jean-Philippe de Schönborn, archevêque de Mayence et prince électeur du Saint-Empire, conseilla à Léopold de payer sa dette de reconnaissance au grand Roi, en lui faisant présent du tombeau de Childéric. Ce don du plus ancien monument de la monarchie française ne pouvait qu’être agréable à Louis XIV, qui le reçut au château de Saint-Germain, le 2 juillet 1665, et, après l’avoir admiré, le confia au Cabinet des Médailles installé au Louvre.

Mais le trésor mérovingien allait connaître une aventure singulière. Tout d’abord, le Cabinet des Médailles ayant été transféré à la Bibliothèque royale, les reliques de Childéric demeurèrent dans ses vitrines, à travers la Révolution, le premier Empire et la Restauration, quand, subitement, la plupart d’entre elles disparurent...

Dans la nuit du 5 au 6 novembre 1831, en effet, des voleurs s’introduisirent dans le Cabinet des Médailles. Ils y dérobèrent maints objets précieux en or, parmi lesquels se trouvait le trésor de Childéric... Ils commencèrent de fondre leur butin ; mais, sur le point d’être découverts par la police, ils ne songèrent plus qu’à se débarrasser des objets qui leur restaient et qui, saisis entre leurs mains, auraient été des pièces à conviction trop compromettantes : et ils ne trouvèrent rien de mieux que de les jeter dans la Seine !

Grâce à la cloche à plongeur, on put en repêcher, au pont de la Tournelle, la majeure partie ; et c’est tout ce qui nous reste du tombeau de Childéric. Ce n’est malheureusement qu’une très faible portion du trésor exhumé à Tournai ; mais ces rares souvenirs qui nous ont été conservés présentent une valeur inestimable. Nous allons les passer rapidement en revue.

Armes et bijoux
L’épée de Childéric fut vue entière le jour de la découverte ; mais la lame en fer, entièrement oxydée, tomba en poussière dès qu’on la toucha. Son fourreau, en bois recouvert de cuir, s’était consumé dans la terre. Il ne nous reste de cette arme que les parties à peu près inaltérables, parce qu’elles étaient en or.

La poignée, qui mesure 85 millimètres de longueur sur 35 millimètres de diamètre, n’est pas exactement cylindrique, mais un peu aplatie ; son armature, en fer et en bois, avait été restaurée par les soins de Jacques Chiflet ; les lames d’or qui la recouvrent sont des pièces authentiques ; elles sont divisées par trois nervures horizontales en quatre compartiments dont le diamètre va en diminuant à mesure qu’on s’éloigne de la pointe de l’arme.

Le pommeau a été perdu. La garde, la chape qui ornait le fourreau, l’anneau qui l’entourait au centre, la garniture de son extrémité sont en cloisonnage d’or sertissant des verres rouges translucides, et cet ensemble ornemental est d’une très grande richesse.

La francisque et le fer de la lance ont été vivement attaqués par la rouille ; le manche en bois de ces deux armes a été détruit par l’humidité du sol.

On trouva, dans la fosse de Tournai, un globe de cristal d’un pouce et demi de diamètre. Bien des hypothèses ont été émises sur sa destination. Les préoccupations médicales de Jacques Chiflet l’avaient conduit à penser que le roi devait tenir cette boule dans sa main pour se rafraîchir, quand il avait la fièvre. Ribault y voit plutôt un symbole de la puissance royale, quelque chose d’analogue au globe que les artistes placent dans la main de Dieu ou dans celle de l’empereur. L’hypothèse la plus vraisemblable est celle de Montfaucon et de l’abbé Cochet, pour qui cette boule de cristal devait être enchâssée dans une monture de métal et suspendue, soit au cou du roi, soit à l’extrémité d’une fibule.

Des nombreuses boucles recueillies dans la fosse de Childéric, il ne nous reste qu’un anneau d’or pur et massif qui devait être la boucle du ceinturon du roi. Chiflet avait fait dessiner son ardillon qui est maintenant perdu ; mais il nous reste l’ardillon d’une petite boucle ; le petit et le grand étaient incrustés de verroteries, ornementation qui semble tout à fait particulière.

Abeilles d'or de Childéric Ier

Abeilles d’or de Childéric Ier

Chiflet rapporte avoir vu à Tournai une telle quantité d’abeilles d’or qu’on ne put en apprécier le nombre ; il estime que le chiffre devait dépasser 300. Il nous en reste deux : ces ornements ont, en effet, la forme générale d’une abeille, avec la tête et le corselet nettement dessinés, et deux ailes incrustées de verre rouge. Une attache ventrale semble avoir été placée pour les fixer à une étoffe qui, dans l’occasion, était le manteau de Childéric. Le corps du roi avait été revêtu de son manteau de cérémonie, en soie de couleur pourpre, brochée d’or et parsemée d’abeilles du même métal. Napoléon Ier reprit cette idée pour son compte, et, répudiant les lys des Bourbons, il replaça sur le manteau du sacre les abeilles de Childéric...

Il y avait, dans le tombeau du roi mérovingien, autant de pièces de monnaie que d’abeilles : plus de 100 pièces d’or et 200 d’argent. Les pièces d’or portaient les effigies de neuf empereurs d’Orient et d’Occident, tous contemporains de Childéric ; le dernier représenté était Zenon (c’est au cours de la septième année du règne de cet empereur que mourut Childéric). Les pièces d’argent ont toutes disparu ; il nous reste deux pièces d’or de Léon, empereur d’Orient.

Le portrait de Childéric
Une des pièces les plus importantes du tombeau de Childéric est l’anneau sigillaire du roi. Nous ne possédons pas le véritable anneau qui été volé en 1831, et qu’on n’a pas retrouvé au pont de la Tournelle. Celui qu’on présente aujourd’hui est une reconstitution galvanoplastique qui a été donnée par Peigné-Delacour. Il nous reste à dire d’après quels documents cette reconstitution a pu être faite.

Dessin de Dauban, d'après l'empreinte conservée à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris

Dessin de Dauban, d’après l’empreinte
conservée à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris

Le Cabinet des Médailles possédait une empreinte sur plâtre du chaton de l’anneau de Childéric, qui avait été prise par Muret, entre les années 1829 et 1831 ; mais ce moulage était entièrement défectueux. Heureusement, en 1857, Dauban, alors employé au Cabinet des Médailles, découvrit, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, une empreinte sur cire, parfaitement conservée, de l’anneau sigillaire perdu. Cette empreinte se trouve appliquée sur la marge de la page 118 d’une Histoire (manuscrite) de sainte Geneviève et de son église apostolique à Paris, écrite par le Père F.-C. du Molinet, chanoine et bibliothécaire de l’abbaye Sainte-Geneviève-du-Mont, entre les années 1670 et 1687.

Parlant du père de Clovis, l’auteur écrivait : « Il est appelé ordinairement Cildericus, et mesme ce nom se void gravé à l’entour de sa figure qui est son anneau d’or gardé au Cabinet du Roy, qui fut trouvé dans son sépulchre à Tournay, l’an mil six cent cinquante-trois, dont voici l’empreinte. » En regard de cette note, dans la marge, on voit, en effet, l’empreinte du cachet de Childéric prise avec de la cire rouge sur un morceau de papier qui a été ensuite fixé à la page du manuscrit. C’est d’après cette excellente empreinte, et d’après le dessin de Jacques Chiflet dont elle démontre l’exactitude, qu’a été exécutée la reconstitution de la Bibliothèque Nationale.

L’anneau de Childéric était en or massif très dur. Sa tige, ronde extérieurement, plate intérieurement, mesure 13 millimètres de largeur. L’ouverture est de 27 millimètres : Childéric avait donc de gros doigts. Le chaton ovale mesure 23,5 mm de haut sur 17,5 mm de large. Il porte l’effigie royale, présentée de face. Le visage est imberbe. Une longue chevelure, séparée par une raie au milieu du front, retombe sur les épaules. Le buste est drapé dans une tunique romaine. La main droite tient une lance appuyée sur l’épaule droite. En somme, c’est une effigie semblable à celle des empereurs romains. Autour de la tête est gravée la légende : CHILDERICI REGIS (Childéric roi).

Après cette brève revue, nous sommes en droit de nous demander : « Et Childéric ? N’était-il rien resté de lui-même sous le manteau semé d’abeilles d’or ? » Tous ceux qui étaient au bord de la fosse de Tournai, en 1653, ont pu voir le squelette entier du roi mérovingien ; on le mesura et on lui trouva une longueur de cinq pieds et demi. Mais ce fut tout. On n’accorda pas plus d’attention à ses ossements qu’à ceux de son cheval, et, si l’on conserva les armes précieuses et les bijoux éclatants, on se borna à restituer à la terre une dépouille que les assistants trouvèrent sans valeur.

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