LA FRANCE PITTORESQUE
7 janvier 1499 : signature du
contrat de mariage de Louis XII
avec Anne de Bretagne
(D’après « Histoire générale de France depuis les temps les
plus reculés jusqu’à nos jours » par Abel Hugo (Tome 4), paru en 1841)
Publié le dimanche 7 janvier 2024, par LA RÉDACTION
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Femme de Charles VIII, roi de France, elle s’unit avec Louis XII après un divorce de ce prince avec Jeanne, sa première femme, le contrat de mariage prévoyant que la noblesse bretonne ne sera point obligée de servir le roi de France à la guerre hors de la province
 

Louis XII, alléguant la raison politique, fit en 1498 vainement solliciter la reine Jeanne — soeur de Charles VIII mort le 7 avril 1498, et mariée au futur Louis XII le 8 septembre 1476 — de consentir à un divorce à l’amiable. La reine, forte de son droit, crut devoir s’y refuser. Le pape Alexandre VI nomma, le 29 juillet, trois commissaires pour connaître et prononcer sur la nullité du mariage de Louis d’Orléans et de Jeanne de France : c’étaient les évêques de Séez et d’Albi, et le cardinal de Luxembourg, évêque du Mans.

Antoine de l’Estang, docteur en droit et fondé de procuration du roi, allégua quatre moyens de nullité contre le mariage de Louis XII avec Jeanne : 1° la parenté au quatrième degré entre les deux conjoints ; 2° l’affinité spirituelle, qui naissait de ce que Louis XII était filleul de Louis XI, père de Jeanne ; 3° la violence dont il prétendait que Louis XI avait usé pour forcer Louis XII à ce mariage ; 4° le défaut de consommation. Il insista sur les défauts corporels de la princesse (elle était bossue, et on prétendait qu’elle était stérile par défaut de conformation), et demanda qu’elle fût visitée.

« On me reproche, dit Jeanne, mes infirmités ; je ne les ignore pas ; mais je ne conviens pas qu’il en résulte l’impossibilité d’avoir des enfants : je sais que je ne suis ni si belle, ni si bien faite que la plupart des femmes ; mais je ne m’en crois pas moins propre au mariage ». Et elle ajouta que longtemps le roi avait partagé son lit, et avait usé envers elle de tous les droits que lui donnait son titre d’époux. Enfin, elle affirma sur l’Évangile sa déclaration.

Une épreuve plus humiliante fut la confrontation que la reine eut avec les témoins , au nombre de plus de quarante : on y comptait un maréchal de France, des seigneurs, beaucoup de prêtres, le confesseur du feu roi, un médecin, des femmes, et jusqu’à un portier. « Ces témoins répétaient tous les mots échappés à Louis XII contre sa femme, tous les signes de dégoût, toutes les plus minutieuses circonstances qui pouvaient servir à prouver son aversion pour elle, comme s’il y avait eu quelque chose à conclure, dit Daru, de tout ce qui peut échapper à l’inégalité d’humeur dans le cours de vingt années ! » Du procès-verbal, il résulte que si Jeanne était stérile de fait, et peut-être incapable d’avoir des enfants, le mariage néanmoins n’était pas resté sans consommation.

Les juges ordonnèrent que la reine serait visitée par des matrones. Alors Jeanne déclara qu’elle n’avait plus rien à ajouter à sa défense, qu’elle prenait pour juge le roi lui-même, et se soumettait à se voir condamner s’il attestait par serment les faits allégués contre elle. Louis XII prêta le serment exigé, et les évêques, déclarant que son mariage était et avait toujours été nul, l’autorisèrent à contracter une nouvelle union.

Louis XII et Anne de Bretagne

Louis XII et Anne de Bretagne

Le peuple murmura de ce jugement, et la reine Jeanne alla à Bourges cacher au pied des autels sa honte non méritée et des vertus dignes du trône. Elle y mourut en 1505, et fut après sa mort révérée comme une sainte.

Le contrat de mariage de Louis XII et d’Anne de Bretagne fut signé à Nantes le 7 janvier 1499, neuf mois jour pour jour après la mort de Charles VIII, et le mariage fut célébré le lendemain : le roi avait alors trente-sept ans et la reine vingt et un. Le héros de Machiavel, l’ex-cardinal de Valence, César Borgia, fils du pape Alexandre VI, et qui, l’année précédente, avait renoncé aux honneurs de l’Église afin de se consacrer aux armes, obtint de Louis XII, en échange des dispenses qu’il apporta de Rome (avec un chapeau de cardinal pour Georges d’Amboise), le duché de Valentinois, une pension de 20 000 livres, une compagnie de cent hommes d’armes, et la promesse d’un secours pour conquérir et fonder en Romagne un état indépendant. César Borgia, après avoir vainement sollicité la main de la princesse Charlotte de Tarente, fille de Frédéric, roi (aragonais) de Naples, épousa Charlotte d’Albret, sœur de Jean, roi de Navarre.

Des historiens français ont prétendu qu’en se remariant, Louis XII était si peu déterminé par des vues d’ambition et de politique, que, « dans son contrat de mariage, où Anne prit le titre de vraye duchesse de Bretagne, il ne songea pas même à profiter des conditions stipulées dans le contrat de mariage de Charles VIII, et qu’il oublia complètement les intérêts de la France. »

La reine Anne n’oublia pas les intérêts de la Bretagne. « Elle exigea, dit Daru, la veille de son mariage, une déclaration du roi qui garantît les privilèges de la province. Louis XII s’engagea à ne rien changer à ce que la reine avait établi dans son duché depuis la mort de Charles VIII, et à ne révoquer aucun des officiers nommés par elle ; le droit de pourvoir au remplacement de ceux qu’il y aurait à remplacer fut réservé à la reine.

« Les états du pays, ajoutait la déclaration, seront régulièrement convoqués, et aucun impôt ne sera levé sans leur consentement ; la noblesse bretonne ne sera point obligée de servir le roi à la guerre hors de la province, excepté dans les cas d’une extrême nécessité, et avec le consentement de la reine et des états. Les bénéfices situés en Bretagne ne pourront être conférés qu’à des nationaux. » Anne se prévalut de cette déclaration pour conserver, pendant son union avec Louis XII, le gouvernement de la Bretagne, qu’elle n’avait jamais exercé sous Charles VIII.

Pendant la vie de son premier mari Charles VIII, cette reine, femme soumise d’un prince qu’elle avait épousé avec répugnance, qui l’avait dépouillée de ses États, et à qui elle était infiniment supérieure par sa capacité , s’était renfermée dans les vertus de son sexe. « Elle tenait sa cour avec dignité, veillait avec attention, avec quelque sévérité même, sur la conduite des dames qui l’entouraient, et s’occupait de soins domestiques et d’étiquette, comme si elle eût été inhabile aux affaires du gouvernement. »

Après son second mariage, sa conduite changea. « Jouissant d’un revenu considérable, et remarquant que Louis, dans la crainte de fouler ses sujets, s’était prescrit une grande économie, elle se chargea d’acquitter les dettes de sa reconnaissance ; il n’y avait pas en France un grand capitaine et un homme distingué par ses services à qui elle ne fît des pensions. Ne bornant point ses actes de bienfaisance à des libéralités qui ne lui coûtaient presque aucun soin, elle voulut présider elle-même à l’éducation des filles des principaux seigneurs du royaume : elle les appela près d’elle, se plut à en être entourée, leur donna l’exemple des vertus de leur sexe, et forma ainsi une cour où la modestie ajoutait de nouveaux charmes a la beauté. »

La reine avait une garde particulière, composée de Français et de Bretons ; elle recevait les ambassadeurs, et, dans quelques circonstances, traitait avec eux comme une princesse indépendante. Son goût pour les lettres la portait à encourager les savants ; elle recherchait les beaux manuscrits, et on conserve encore dans les bibliothèques des livres de piété composés pour son usage, et remplis de peintures charmantes.

Anne de Bretagne, avec ces belles qualités, semblait, au premier coup d’œil, avoir moins d’affabilité que son époux. « A voir son port et sa gravité, dit Saint-Gelais, auteur contemporain, il semble que tout le monde soit rien, et lui appartiennent tellement que, de prime face, on a crainte de parler à elle ; mais quand on y a quelque affaire, et on a le moyen de le lui dire, il n’en est aucune si douce, tant humaine, ni accointable ; et ceux qui y ont affaire, quand ils se départent de sa présence, ils s’en vont tous réjouis et consolés, et satisfaits, quelle que soit la réponse qu’ils obtiennent. »

Louis XII poussait l’attention pour sa femme jusqu’à la galanterie. « Dans ses conquêtes, il faisait placer le chiffre d’Anne et les armes de Bretagne à l’entrée des villes qui lui ouvraient leurs portes. L’amour du roi et de la reine était si officiellement déclaré, que, plus de douze ans après leur mariage, les poètes de la cour étaient chargés de composer des espèces d’héroïdes en vers latins, que les époux s’envoyaient lorsqu’ils étaient séparés l’un de l’autre. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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