LA FRANCE PITTORESQUE
Pothier (Robert-Joseph)
(D’après un article paru en 1834)
Publié le mercredi 13 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Robert-Joseph Pothier, l’un des plus célèbres jurisconsultes des temps modernes, naquit à Orléans le 9 janvier 1699 ; son père était conseiller au présidial de cette ville ; mais le jeune Pothier n’avait encore que cinq ans lorsqu’il eut le malheur de le perdre. Il fut d’abord placé au collège des Jésuites, et ensuite à l’université d’Orléans.

Après avoir hésité quelque temps sur le choix d’un état, et balancé entre la profession religieuse et la magistrature, son attachement pour sa mère le décida à embrasser cette dernière carrière, et, en 1720, il fut pourvu d’une charge de conseiller au présidial d’Orléans. Après douze ou quatorze ans d’études suivies, Pothier parvint à acquérir une parfaite connaissance des lois romaines. Il avait été plus à même que personne de sentir toute l’imperfection et tout le désordre qui régnaient dans les diverses compilations de ces lois. Les difficultés de la science s’augmentaient beaucoup de ce désordre. Chaque jurisconsulte était obligé de les surmonter à force d’application ; mais aucun n’avait osé entreprendre de les aplanir pour les autres, ou du moins ceux qui l’avaient essayé, dégoûtés d’un projet qui paraissait d’une longueur interminable et d’une exécution presque impossible, y avaient bientôt renoncé.

Pothier entreprit, pour sa propre utilité, de ranger le nombre énorme de lois renfermées dans les Pandectes dans un ordre plus méthodique et plus rationnel. Il se forma un plan et réussit à l’appliquer sur plusieurs titres importants. Ces essais communiqués à quelques amis en reçurent la plus complète approbation. Ces hommes honorables en parlèrent au chanclier d’Aguesseau, et leurs instances, unies à celles de ce magistrat célèbre, l’emportèrent sur la modestie de l’auteur. Elles le déterminèrent à continuer, pour le livrer au public, un ouvrage qu’il n’avait d’abord commencé que pour lui-même.

Portrait de Robert-Joseph Pothier

Portrait de Robert-Joseph Pothier

Pothier employa douze années entières d’un travail non interrompu et de chaque jour à cet immense ouvrage ; encore fut-il aidé dans l’exécution, à peu près pendant le même temps, par son ami M. de Guienne, avocat au parlement de Paris. Mais il dut être récompensé de ses veilles et de ses fatigues par le succès qu’il obtint : ce ne fut pas un succès d’estime ordinaire ; on reconnut qu’il avait triomphé de tous les obstacles. Son livre, volumineux et d’un prix élevé, écrit en latin sur une matière étudiée par peu de personnes, eut, malgré cela, un débit assez rapide ; les étrangers enlevèrent la plus grande partie de l’édition, et les éloges les plus unanimes lui furent prodigués de toutes parts.

Réimprimé très souvent depuis, placé dans les bibliothèques de tous les jurisconsultes, cité devant les tribunaux, il est demeuré comme un modèle ; et il est encore considéré dans toute l’Europe comme un ouvrage essentiellement classique, et indispensable à tous ceux qui veulent acquérir une connaissance approfondie du droit romain ou de quelqu’une de ses parties.

Portrait de Robert-Joseph Pothier

Après les Pandectes, Pothier s’occupa de divers ouvrages sur le droit français ; il publia successivement un Traité des Obligations, des Traités sur le Contrat de Mariage, sur la Vente, et sur les Principaux Contrats ; un Commentaire sur la Coutume d’Orléans, etc. Tous ces ouvrages sont fort estimés ; les rédacteurs du Code civil qui nous régit aujourd’hui n’ont fait qu’en reproduire la doctrine et la distribution ; ils y ont même littéralement puisé la plupart des dispositions du titre du code sur cette matière. On pourrait en dire à peu près de même du titre du Contrat de Mariage pour la partie relative au Régime de la Communauté, ainsi que des titres de la Vente, du Louage, des divers Contrats, de l’Usufruit, de la Possession, de la Propriété, de la Prescription, etc.

En 1747, Pothier fut élu échevin. En 1749, M. le chancelier d’Aguesseau lui confia une place beaucoup plus conforme à ses goûts et à ses talents. Il le nomma professeur de droit français à l’université d’Orléans : Pothier institua des conférences où les jeunes gens s’exerçaient entre eux, des concours où ils luttaient ensemble, et des prix consistant en médailles d’or et d’argent qu’il faisait frapper à ses frais et qu’il décernait aux vainqueurs.

Avec les immenses connaissances que Pothier avait acquises, il eût été impossible de trouver un juge plus éclairé ; on admirait surtout la justesse et la pénétration de son esprit. Quelquefois peut-être il s’abandonnait trop vite à cette pénétration ; ainsi, quand il présidait comme doyen des conseillers, dès qu’il avait saisi une affaire, il ne donnait plus le temps ni aux avocats de l’expliquer, ni aux autres juges de l’entendre. Il interrompait les plaidoieries, et prétendait les borner à ce qu’il croyait être les moyens concluants de l’affaire. Présomption fâcheuse, même de la part d’un homme aussi éclairé.

Un des contemporains de Pothier, M. Lethrosne, avocat du roi au présidial d’Orléans, nous apprend qu’on évitait de le charger des procès dans lesquels on prévoyait que la Question pouvait être ordonnée parce qu’il ne pouvait en supporter le spectacle. « Cette impuissance, ajoute le même narrateur, comme pour disculper Pothier, procédait beaucoup plus de la sensibilité des organes physiques que du sentiment moral. » Mais diverses notes des ouvrages du grand jurisconsulte démentent cette opinion ; elles prouvent que s’il ne pouvait supporter de voir torturer des accusés, il faut en faire honneur à la bonté de son coeur et non à la délicatesse purement physique de ses organes ; elles attestent que, d’accord avec tous les philosophes, il regardait la Question comme un moyen aussi cruel et aussi inhumain que peu propre à découvrir la vérité.

Après avoir fait connaître Pothier comme écrivain et comme jurisconsulte, comme professeur, comme magistrat, il nous reste à rapporter sur sa vie privée et sur sa personne quelques particularités. Chargé de l’examen et du rapport d’une affaire, il avait omis de rendre compte d’une pièce décisive en faveur de la partie qui perdit son procès ; cette perte pouvait aussi légitimement être rejetée sur la négligence des défenseurs ou sur l’impéritie des juges. Mais Pothier ne capitulait point avec sa conscience ; il se hâta d’indemniser le plaideur victime de son inadvertance.

Lorsqu’il se rendit à Paris, sur l’invitation de M. d’Aguesseau, qui désirait le connaître, et conférer avec lui du plan de son ouvrage sur les Pandectes, s’étant présenté à l’hôtel de la Chancellerie, on lui dit que M. le chancelier n’était pas visible. Il s’en alla, et il voulait repartir pour Orléans. Ses amis eurent assez de peine à l’en empêcher et à le ramener chez M. d’Aguesseau, qui, dès qu’il apprit qu’il était dans son antichambre, s’empressa de venir au-devant de lui et de le recevoir avec distinction.

Il se levait toujours avant cinq heures, allait à la messe, déjeûnait à six heures, se mettait ensuite au travail, soit jusqu’à dîner, soit jusqu’à l’heure de l’audience ; dînait à midi, donnait sa leçon à une heure et demie, et rentrait dans son cabinet jusqu’au soir. S’il avait quelques visites à rendre, il choisissait ordinairement le dimanche, avant les vêpres, ou le jeudi. Il soupait régulièrement à sept heures, ne travaillait jamais après souper, se couchait à neuf heures et dormait sur-le-champ. Il aimait beaucoup le café, mais il s’abstenait d’en prendre ; il avait remarqué qu’il l’avait plusieurs fois empêché de dormir jusqu’à dix heures, et il disait qu’une heure de sommeil valait mieux qu’une tasse de café.

Sa figure n’avait rien qui prévînt en sa faveur ; sa taille était haute, mais mal prise et sans maintien. Marchait-il, son corps était tout penché d’un côté, sa démarche raide et singulière. Etait-il assis, la longueur de ses jambes l’embarrassait. Toutes ses actions avaient un air peu commun de maladresse. A table, il fallait presque lui couper les morceaux ; s’il voulait attiser le feu, il commençait par se mettre à genoux, et il n’y réussissait pas mieux. Cependant, s’il avait mauvaise tournure dans l’ensemble de sa personne, ses traits exprimaient une bonté et ses yeux une finesse peu communes.

Il avait pour travailler une méthode fort singulière ; il jonchait de livres le le parquet de son cabinet puis il se mettait à genoux, ou même se couchait à plat-ventre pour se livrer aux recherches dont il avait besoin. Il avait apporté en naissant un tempérament faible, mais il le fortifia par sa tempérance et la régularité de ses habitudes. Il mourut le 2 mars 1772, âgé de plus de soixante-treize ans.

La mort de Pothier fut à Orléans le signe d’un deuil général. Son corps, peut-être d’après l’intention qu’il en avait exprimée, fut inhumé dans un des endroits les plus écartés du cimetière commun ; mais, par les soins des échevins, un marbre placé sur le mur voisin, et une épitaphe qui rappelait les principaux traits de son caractère, lui payèrent, au nom de la patrie, le tribut de la reconnaissance publique. Ce cimetière ayant été abandonné eu 1829, les cendres de Pothier ont été recueillies et transférées dans l’église cathédrale de Sainte-Croix. La ville a aussi donné le nom de Pothier à la rue dans laquelle est située la maison qu’il habitait, et l’on a inscrit sur la maison elle-même : Maison de Pothier.

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