LA FRANCE PITTORESQUE
Quesnay (François)
(D’après un article paru en 1863)
Publié le mercredi 13 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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François Quesnay naquit le 4 juin 1694, à Merey, près de Versailles. Il était fils d’un honnête avocat de Montfort-l’Amaury, dont les constants efforts tendaient à réconcilier les plaideurs. Sa mère dirigeait seule le petit domaine rural de la communauté. Grâce aux exemples de ses parents, Quesnay apprit de bonne heure à aimer la vérité et le travail. Tout enfant, il fit ses premières études agricoles avec son jardinier, et se passionna pour la Maison rustique de Liébaut.

Plus tard, pour se procurer des livres, il se levait avec le soleil, venait à pied à Paris, s’en retournait de même, et, ses vingt lieues lestement faites, rentrait le soir au logis avec quelque monnaie de moins, mais avec un moyen d’étude de plus. Entraîné par un goût décisif, il voulut apprendre la médecine et reçut les leçons du chirurgien de son village.

François Quesnay. Dessin de Chevignard.

François Quesnay.
Dessin de Chevignard.

On ne sait pas jusqu’à quel point le maître fut très utile à l’élève, mais il est certain que l’écolier rendit grand service au professeur. A quelques années de là, en effet, le brave chirurgien de Merey, voulant régulariser une fausse situation et obtenir des lettres de maîtrise et le diplôme dont il s’était passé jusqu’alors, ne trouvait rien de plus profitable que de se servir des cahiers de son ex-disciple dans son propre examen, et d’obtenir ainsi, avec force louanges, le grade qu’il sollicitait.

Quesnay vint demander à l’Hôtel-Dieu de Paris, où il réussit à se faire admettre comme élève, le complément de science nécessaire à sa future profession. En 1718, il alla s’établir comme chirurgien à Mantes, se fit remarquer par quelques cures heureuses, et fut présenté par le maréchal de Noailles à la reine, qui était alors à Maintenon.

Dix ans après environ, Quesnay était remarqué des maîtres de l’école de Paris par sa triomphante réfutation d’un traité sur la saignée de Silva, médecin en renom de la capitale. Ce succès attirait plus tard sur lui l’attention de la Peyronie, premier chirurgien du roi, qui le faisait nommer chirurgien ordinaire de Louis XV, puis secrétaire perpétuel de l’Académie de chirurgie, qu’il venait de fonder (1731). Quesnay quittait bientôt Mantes et venait se fixer à Paris, chez le duc de Villeroy, son client et son ami.

Sa vie dès lors n’était plus que l’incessant emploi d’une activité passionnément appliquée à l’utile et au bien. Chirurgie et médecine, science économique et agricole, Quesnay trouvait moyen de tout mener de front. Ressentant même les premières atteintes de la goutte, maladie héréditaire dans sa famille, et craignant de perdre l’habileté manuelle indispensable à sa profession, il passait, à quarante ans, un dernier examen, obtenait le diplôme de docteur en médecine et achetait la survivance de la charge de premier médecin du roi. Ce renoncement nécessaire à la chirurgie ne le rendit pas ingrat envers la science qui l’avait illustré, et l’on vit Quesnay médecin continuer, par sa parole et ses écrits, à défendre et à relever la profession chirurgicale, séparée alors de la médecine et volontiers rabaissée par le corps médical, qui se plaisait encore à l’assimiler à l’art du perruquier.

Premier médecin, aimé et anobli par Louis XV qui se plut à choisir pour lui les armes de son blason, trois fleurs de pensée avec cette devise : Propter cogitationem ; logé dans le palais même, il aurait pu aisément faire sa fortune et celle de ses enfants (il avait un fils et une fille). Mais, dépourvu de toute ambition, tandis qu’autour de lui les courtisans pourvoyaient leurs familles de charges lucratives et honorifiques, Quesnay éloignait son fils de Versailles et le mettait à la tête d’une exploitation rurale, disant que là « il ne pourrait s’enrichir que d’une manière utile à la patrie ; car, ajoutait-il, le bonheur de mes enfants doit être lié à la prospérité publique. »

C’est donc en toute justice que Marmontel écrivait en parlant de lui : « Tandis que les orages se formaient et se dissipaient au-dessus de l’entre-sol du docteur, celui-ci griffonnait ses axiomes et ses calculs d’économie rustique, aussi tranquille, aussi indifférent à ces mouvements de la cour que s’il eût été à cent lieues de distance. »

Quesnay peut être regardé comme le chef de l’école dite des physiocrates, c’est-à-dire des économistes qui, partant de ce principe que la matérialité est le caractère fondamental de la richesse, proclamaient la prépondérance de la terre et de l’agriculture. Résumons sa doctrine en quelques lignes empruntées à l’excellente notice que Eugène Daise a placée en tête de son étude sur Quesnay : « L’homme, dit-il, tire la matière de la terre par le travail ; mais le travail supposant lui-même la subsistance et l’entretien du travailleur, il en résulte que si la terre ne produisait rien au delà des besoins de ceux qui l’exploitent, l’existence de ceux qui ne l’exploitent pas cesserait d’être possible. Or, Quesnay vit dans ce fait la preuve que le travail agricole, considéré au point de vue social, présente un caractère qui ne se retrouve pas dans le travail industriel. Il en conclut que le premier est le principe du second, et que celui-ci ne peut se développer que proportionnellement à la puissance de l’autre ; enfin, que cet excédant de rapport de la terre, auquel il donne le nom de produit net, est la source où s’alimentent l’industrie, le commerce, etc. »

Et de là Quesnay et ses disciples, Dupont de Nemours, Mercier-Larivière, Turgot, Morellet, Mirabeau le père, etc., concluaient que l’industrie agricole est la seule industrie utile par opposition aux autres industries qu’ils déclaraient stériles. Il était réservé au célèbre économiste écossais Adam Smith de renverser cet ingénieux paradoxe, de démontrer que la transmutabilité et l’échange des matières premières constituent aussi une richesse, et de replacer dans le travail même la source des richesses des nations. Quesnay popularisa d’ailleurs son système dans ses articles de l’Encyclopédie, sous le titre de Fermiers et grains, dans son Tableau économique et dans ses Maximes, publications un peu confuses, il faut bien le dire, et que les commentaires postérieurs de ses élèves ont eu peine à élucider.

Quesnay répondait au Dauphin père de Louis XVI, qui se plaignait par avance des embarras de la royauté :

- Monseigneur, je ne trouve pas cela.

 Et que feriez-vous si vous étiez roi ? répliquait son illustre interlocuteur.

 Monseigneur, je ne ferais rien.

 Et qui gouvernerait ?

 Les lois.

Mais un jour, chez Mme de Pompadour, un courtisan prétendant que « la hallebarde menait le royaume » : - Et qui est-ce qui mène la hallebarde ? reprit Quesnay ; l’opinion.

Il vécut jusqu’en 1774. A son lit de mort, son domestique fondait en larmes : « Console-toi, lui dit son maître, je n’étais pas né pour ne pas mourir. »

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