LA FRANCE PITTORESQUE
Viète (François)
(1540-1603)
Père de l’algèbre moderne
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1848)
Publié le jeudi 2 avril 2015, par LA RÉDACTION
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Considéré comme l’un des hommes les plus éminents du XVIe siècle et accusé par les Espagnols de frayer avec la magie tant il excellait à décrypter leurs codes de correspondance, François Viète fut un digne précurseur de Descartes et le père de l’algèbre moderne, de la véritable algèbre
 

C’est à lui qu’est due l’idée ingénieuse de désigner par des lettres les quantités que l’on veut soumettre au calcul, d’opérer sur ces lettres à l’aide de signes particuliers, de façon en déduire des formules portant la trace de toutes les opérations, et indiquant, de la manière la plus précise, les règles à suivre pour parvenir à la solution de toutes les questions de même nature.

Ainsi, quand il se propose de trouver deux nombres dont il connaît la somme et la différence, Viète parvient à deux symboles très simples qui montrent que le plus grand des deux nombres inconnus est égal à la moitié de la somme, augmentée de la moitié de la différence, et que le plus petit de ces deux nombres est égal à la moitié de la somme, diminuée de la moitié de la différence. La règle générale ressort de l’inspection seule de ces symboles ; elle est applicable à des nombres quelconques. La question une fois résolue l’est donc pour toujours, grâce à la généralité des symboles algébriques.

Telle est l’invention remarquable à laquelle Viète donna le nom de logistique spécieuse (de species, symbole). Elle fut appliquée aux considérations géométriques par Viète lui-même, qui est, par conséquent aussi, le premier qui ait traité de l’application de l’algèbre à la géométrie.

Pourquoi ce nom est-il si peu connu ? La réponse est facile. La conception si belle de Viète est tellement simple que personne ne songe à s’enquérir du nom de son créateur ; c’est à peine si on le trouve dans le coin d’une préface ou dans une note perdue au bas d’une page. Et cependant ouvrez n’importe quel livre de géométrie, d’algèbre, de mécanique, la conception de Viète s’y trouve écrite à chaque instant, et c’est peut-être parce qu’elle est partout que le nom de son créateur n’est nulle part.

François Viète

François Viète

Les Espagnols, au temps de nos guerres civiles, employaient pour leur correspondance politique et militaire un chiffre d’une extrême complication, composé de plus de 50 figures, et dont ils changeaient souvent la clef, afin de déconcerter ceux qui seraient tentés de l’expliquer.

Viète, à la demande de Henri IV, non seulement découvrit la clef de cette correspondance, mais encore fournit le moyen de la suivre dans toutes ses variations. Un de ses élèves, Dulys, plus tard avocat général à la cour des Aides, fut chargé de déchiffrer les correspondances espagnoles, d’après les procédés de Viète. On peut voir, à ce sujet, une note curieuse insérée dans le tome DCLXI de la collection Dupuy (Bibliothèque nationale). On y trouve les moyens fort simples que Viète employait pour découvrir la clef des chiffres. La fin de cette note nous apprend que Viète imprima chez J. Mettayer, son éditeur ordinaire, un petit traité sur sa méthode.

Il ne fallait pas moins pour éviter le soupçon de magie ; car la cour de France ayant profité pendant deux ans de la découverte, la cour d’Espagne, déconcertée, avait accusé celle de France d’avoir le diable et des sorciers à ses gages. Elle s’en plaignit à Rome, et Viète y fut cité comme nécromant et magicien. Cette ridicule procédure prêta beaucoup à rire aux gens sensés de l’époque.

Les ouvrages de Viète étaient très rares, même de son vivant, parce qu’il ne les faisait tirer qu’à un petit nombre d’exemplaires, destinés à ses amis. François Shooten, aidé par Jacques Golius et par le P. Mersenne, publia à Leyde, en 1646, par les presses des Elzevirs, un beau volume in-folio, devenu lui-même aujourd’hui fort rare, dans lequel il avait cherché à réunir, sous le litre : Francisci Vietae opera mathematica, etc., les oeuvres mathématiques de notre grand géomètre.

Mais cette collection n’est pas complète, et ne renferme pas même tout ce qui a été imprimé de son vivant. Il y a, en tête de quelques-uns de ses livres, des titres qui indiquent d’autres ouvrages auxquels il n’a probablement jamais eu le loisir de mettre la dernière main. Pierre Aleaume d’Orléans, son ami et son élève, hérita de ses manuscrits, dont la publication offrirait encore aujourd’hui de l’intérêt. On lit dans le tome IV de l’Histoire des sciences mathématiques en Italie, par M. Libri, que la bibliothèque Magliabechiana de Florence possède un manuscrit autographe et une ancienne copie, destinée probablement à l’impression, de l’Harmonicon, celeste (p. 23). Mais la note 1, à la fin du même volume, nous apprend que le manuscrit a peut-être été mutilé, et que la copie semble avoir été égarée.

De son temps, on lui rendit parfois justice. L’historiette suivante que nous empruntons à Tallemant des Réaux, en fait foi : « M. Viète était un maître des requêtes, natif de Fontenay-le-Comte, en Bas-Poitou. Jamais homme ne fut plus lié aux mathématiques ; il les apprit tout seul, car avant lui il n’y avait personne en France qui s’en mêlât. Il en fit même plusieurs traités d’un si haut savoir qu’on a eu bien de la peine à les entendre, entre autre son Isagoge, ou Introduction aux mathématiques. Un Allemand, nommé Landsbergius, en déchiffra une partie, et depuis on a entendu le reste. Sous Henri IV, un Hollandais, nommé Adrianus Romamus, savant aux mathématiques, mais non pas tant qu’il croyait, fit un livre où il mit une proposition qu’il donnait à résoudre à tous les mathématiciens de l’Europe. Or, en un endroit de son livre, il nommait tous les mathématiciens de l’Europe, et n’en donnait pas un à la France.

« Il arriva peu de temps après qu’un ambassadeur des États vint trouver le roi à Fontainebleau. Le roi prit plaisir à lui en montrer toutes les curiosités, et lui disait les gens excellents qu’il y avait en chaque profession dans son royaume. Mais, Sire, lui dit l’ambassadeur, vous n’avez point de mathématiciens ; car Adrianus Romanus n’en nomme pas un de Français dans le catalogue qu’il en fait. - Si fait, si fait, dit le roi, j’ai un excellent homme. Qu’on m’aille quérir M. Viète ! M. Viète avait suivi le conseil, et était à Fontainebleau : il vient. L’ambassadeur avait envoyé chercher le livre d’Adrianus Romanus. On montre la proposition à M. Viète, qui se met à une des fenêtres de la galerie où ils étaient alors, et, avant que le roi en sortît, il écrivit deux solutions avec un crayon. Le soir, il en envoya plusieurs à cet ambassadeur, et ajouta qu’il lui en donnerait tant qu’il lui plairait, car c’était une de ces propositions dont les solutions sont infinies.

« L’ambassadeur envoie ces solutions à Adrianus Romanus, qui sur l’heure se prépare pour venir voir M. Viète. Arrivé à Paris, il trouva que M. Viète était allé à Fontenay : le bon Hollandais va à Fontenay. A Fontenay, on lui dit que M. Viète est à sa maison des champs. Il l’attend quelques jours et retourne le redemander : on lui dit qu’il était en ville. Il fait comme Apelles qui tira une ligne. Il laisse une proposition ; Viète résout cette proposition. Le Hollandais revient ; on la lui donne, le voilà bien étonné ; il prend son parti d’attendre jusqu’à l’heure du dîner. Le maître des requêtes revient ; le Hollandais lui embrasse les genoux ; M. Viète, tout honteux, le relève, lui fait un million d’amitiés ; ils dînent ensemble, et après, il le mène dans son cabinet. Adrianus fut six semaines sans le pouvoir quitter. Un autre étranger, nominé Galtalde, gentilhomme de Raguse, se fit faire résident de sa république en France pour conférer avec M. Viète. Viète mourut jeune, car il se tua à force d’étudier. »

Viète était un homme simple, modeste, désintéressé. L’historien de Thou, son ami, rapporte qu’on l’a vu quelquefois passer trois jours de suite sans quitter sa table de travail. Il usait largement envers les pauvres, envers ses amis, envers les libraires, de la fortune assez considérable dont il jouissait. Né en 1540, il mourut en 1603, ne laissant qu’une fille qui lui survécut jusqu’en 1618.

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