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1er mai 1792 : destruction par les Anglais d'une colonie française en Afrique

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Éphéméride, événements
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1er mai 1792 : destruction par
les Anglais d’une colonie française
en Afrique occidentale
(D’après « La politique coloniale en France de 1789 à 1830 » (par Paul Gaffarel)
paru en 1908, « Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques
de l’Afrique occidentale française » paru en 1926 et « Mémoires du capitaine
Landolphe, contenant l’histoire de ses voyages pendant trente-six ans,
aux côtes d’Afrique et aux deux Amériques, rédigés sur
son manuscrit » Volume 2 (par Jacques Salbigoton Quesné) paru en 1823)
Publié / Mis à jour le lundi 1er mai 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 
 
 
Établie en Afrique occidentale, dans l’île de Borodo, sur la rive gauche de l’embouchure de la rivière Formose, et soumise à la domination du roi d’Oware — sud-ouest de l’actuel Nigeria — en vertu d’une transaction authentique et écrite entre le prince et le capitaine Landolphe, qui commandait l’expédition, la colonie française prospérait depuis six ans à force de travaux opiniâtres, mais avait éveillé l’envie du commerce anglais

Le commerce français sur les côtes de Guinée n’a longtemps été que le commerce des esclaves. Là où la traite des noirs n’existait pas, rien ne semblait pouvoir la remplacer. L’or, l’ivoire, les épices, surtout le poivre ou malaguette, le bois de santal, la gomme, la cire, l’huile de palme, le maïs, le riz étaient pourtant abondants et auraient pu devenir l’objet de faciles transactions, mais les chefs noirs eux-mêmes étaient peu disposés à fournir à nos négociants des objets de troque autres que « des bois d’ébène ».

À Gallinas, à Tabacome, à Young-Sestros, à Wydah sur la côte Dahoméenne, à Assinie, à Annekou sur la Côte d’Or, au Gabon et jusqu’à l’embouchure du Congo s’étaient établis d’importants marchés d’esclaves, conduits à la côte à la suite de razzias qui s’étendaient parfois très avant dans l’intérieur des terres, mais nul colon européen ne songeait à s’établir à poste fixe ; d’autant plus que les indigènes n’étaient pas précisément accueillants pour ceux d’entre eux qui se hasardaient à terre, et que la contrée jouissait d’une réputation, d’ailleurs méritée, d’insalubrité.

Marchand d'esclaves de Gorée (Sénégal). Gravure extraite de l'Encyclopédie des Voyages de Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1796)

Marchand d’esclaves de Gorée (Sénégal). Gravure extraite
de l’Encyclopédie des Voyages de Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1796)

Les capitaines venus de Nantes, de La Rochelle, de Saint-Malo, du Havre, de Dunkerque se contentaient de suivre la côte, s’y arrêtaient de temps à autre pour échanger leurs marchandises contre une cargaison humaine, mais ne descendaient même pas à terre pour négocier leurs opérations. Il n’y avait donc alors en Guinée que des négriers et pas de colons. Aucune puissance ne songeait à exploiter directement les vraies richesses du pays. À vrai dire, personne encore n’estimait à sa valeur l’Afrique tropicale.

Un Français pourtant, le bourguignon Jean-François Landolphe, né en 1747, dernier de vingt-trois enfants, eut, très jeune, la passion des voyages et comme le pressentiment de l’avenir réservé à ces riches contrées. Il avait effectué trois périples sur les côtes du Bénin, en 1769, en 1772 et en 1774, et connaissait donc, pour les avoir étudiées sur place, les ressources de la contrée. Il songea à s’y établir solidement et à y organiser un commerce régulier avec la France, mais il lui fallait des fonds et des encouragements.

Il s’adressa tout d’abord à un ancien gouverneur du Sénégal, David, et à un chevalier de Saint-Louis, Eyriés, qui avait été le lieutenant du duc de Lauzun. Tous deux lui prodiguèrent de belles promesses, mais ils n’étaient riches ni l’un ni l’autre. Bien que capitaine titulaire, Landolphe n’hésita pas alors à monter, en qualité de second, sur un navire, le Baron de Montmorency, qui se rendait sur la côte d’Afrique. Pendant quatre mois il stationna dans la rade de Malimbé, étudia sur place toutes les ressources du pays, et, riche de son expérience et de son ardeur juvénile, demanda pour lui-même le commandement d’un vaisseau. On lui en promit un, la Négresse, avec lequel il réussit enfin à arriver au Bénin en février 1778.

Les Français furent très bien accueillis par le phidor ou gouverneur de Gathon, Danican, qui engagea Landolphe à aller trouver le chef suprême de la contrée et à s’entendre directement avec lui. D’ordinaire, les capitaines ne s’éloignaient pas de la côte, mais Landolphe, qui voulait fonder une station permanente, avait besoin du consentement du maître de la région. Le capitaine français était porteur de présents royaux, notamment une robe de satin blanc à fleurs d’or et d’argent sortie de la garde-robe de Louis XVI. La réception fut cordiale. Le souverain indigène, habilement circonvenu, se répandit en protestations d’amitié, ne cacha pas les sentiments de haine qu’il nourrissait contre les négociants anglais, et consentit à tout ce qu’on lui demandait.

Alcatÿ ou Nègre gouverneur des environs de Gorée (Sénégal). Gravure extraite de l'Encyclopédie des Voyages de Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1796)

Alcatÿ ou Nègre gouverneur des environs de Gorée (Sénégal). Gravure extraite
de l’Encyclopédie des Voyages de Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1796)

Landolphe avait versé 15 000francs aux chefs, phidors, faladors, cascadors, et obtenu le droit de traite. Celle-ci fut ouverte suivant les rites, précédée de salves de la part des habitants, et Landolphe embarqua 419 esclaves, 60 000 livres d’ivoire. Mais la saison des pluies arrivant, il fut immobilisé en rivière jusqu’à octobre, profitant de ce contretemps pour explorer le pays, et sachant se rendre sympathique aux habitants qui lui offraient partout l’hospitalité la plus large, se créant des amitiés très solides parmi les principaux chefs.

Mais la guerre venait d’éclater entre la France et l’Angleterre, et le chemin de retour lui était fermé. Ce ne fut qu’en juin 1780 qu’il réussit à débarquer à Nantes. Quelques mois plus tard, et malgré les corsaires anglais qui surveillaient nos côtes, Landolphe retournait au Bénin, et ouvrait aussitôt la traite (janvier 1781). On le savait homme de parole et bon payeur. Aussi réussit-il, en quelques semaines, à se procurer quelques centaines d’esclaves.

Les roitelets indigènes, surtout ceux de Gathon et d’Oware, lui firent bon accueil et lui envoyèrent des vivres frais. Il eut constamment avec eux de bonnes relations et profita de son séjour forcé pour s’instruire à fond sur les ressources du pays et sur les mœurs locales. C’étaient autant de pierres d’attente pour le grand établissement auquel il songeait. Le roi d’Owhère se montra même tellement satisfait de l’avoir pour hôte qu’il lui confia son neveu favori, un certain Boudakan, avec prière de lui apprendre le français et de l’initier à notre civilisation.

Landolphe s’acquitta de cette mission de confiance. Il prit l’enfant avec lui, l’emmena en France et le présenta au roi Louis XVI. Ce jeune homme aurait pu devenir un agent utile et un propagateur de l’influence française en Afrique, mais il disparut dans la tourmente révolutionnaire, ou, du moins, on perd sa trace dans l’histoire.

Les allées et venues de Landolphe finirent par émouvoir l’opinion. Comme la paix venait d’être signée avec l’Angleterre et que, par conséquent, les risques de mer étaient moindres, quelques négociants et banquiers se réunirent et formèrent une Compagnie dite de l’Oware. En vertu d’une convention authentique et sous la protection du gouvernement qui intervint dans la transaction, les actionnaires reçurent le privilège exclusif du commerce dans la région pendant trois années. Ils avaient le droit de fonder des établissements permanents, de les défendre par des garnisons, et ils étaient, en cas de besoin, soutenus par la marine royale. Un certain Marion de la Brillantais fut nommé administrateur de la Compagnie avec résidence à Paris, et Landolphe reçut le titre de directeur des établissements à fonder. Le roi, comme preuve de l’intérêt qu’il prenait à la compagnie, lui donnait un navire, le Pérou, portant dix-huit canons de 8 et jaugeant 400 tonneaux. Landolphe y joignit deux corvettes, l’Afrique de 70 tonneaux et 12 canons, et la Petite Charlotte de 40 tonneaux et 12 pierriers.

Jean-François Landolphe

Jean-François Landolphe

L’escadre partit de l’île d’Aix le 17 juillet 1786. Elle n’arriva au Bénin que le 21 novembre de la même année. Le débarquement eut lieu à Boby. Le chef indigène Animazan était comme transporté de bonheur. Il salua avec empressement le drapeau blanc que Landolphe fit aussitôt arborer pour prendre possession du pays, et aida ses hôtes à s’installer dans l’île Borodo.

Fidèle à la coutume qui consistait, en pareil cas, à prendre toutes les précautions afin d’éviter soit une surprise des indigènes, soit une attaque du dehors, Landolphe ordonna de commencer tout de suite la construction d’un fort. Il avait avec lui deux ingénieurs, Glais et Forestier, qui dessinèrent le plan de la future citadelle. Les travaux furent menés avec activité, et bientôt se dressa une forteresse défendue par deux bastions et par un fossé, et armée de trente-deux canons de 8 et de 6. Les autochtones aidaient aux travaux, et Boudakan donnait l’exemple. Bientôt autour du fort s’alignèrent des maisons et des magasins, et un semblant de quai fut improvisé pour la réception des marchandises.

Pendant ce temps, Landolphe entrait en relations avec les souverains indigènes. Il reconduisait en grande pompe Boudakan à son oncle, le roi d’Owhère, et poussait jusqu’à la capitale du Bénin, où il recevait un excellent accueil. Il obtenait même la cession d’un territoire à Gathon, mais il n’en profitait guère, car le pays était marécageux et les fièvres à redouter. Entre temps on échangeait des cadeaux, et le naturaliste de l’expédition, Ambroise Palisot de Beauvois, amassait les échantillons qui lui servirent plus tard à composer un important ouvrage, La Flore d’Oware et de Bénin, au sein duquel il représente, à la planche XXXIV, le fameux Landolphia owariensis : « Je lui ai donné le nom de M. Landolphe, explique-t-il, qui m’a procuré toutes les facilités qu’il était en son pouvoir de me donner, pour me transporter dans le pays où j’ai pénétré 100 lieues au moins plus loin que n’avait été aucun Européen avant moi. »

Tout donc s’annonçait bien. Les indigènes envoyaient des provisions et prêtaient des travailleurs. De bonnes relations s’établissaient. On pouvait prévoir le moment où le comptoir se convertirait en colonie, car l’élevage des bestiaux réussissait, la volaille prospérait, et déjà, sur ce sol fécond, germaient les plantes et poussaient les légumes apportés par nos compatriotes. Un renfort imprévu augmenta les ressources des colons. Un navire portugais échoua sur le banc de sable qui protégeait l’île de Borodo, et le capitaine Olivier devint l’hôte, puis l’associé de Landolphe. Il n’y avait qu’une ombre au tableau, la mauvaise situation sanitaire : en moins de trois mois l’effectif fut réduit de moitié.

En 1787 on reçut enfin des nouvelles de France. La frégate la Junon, de 44 canons, commandée par le comte de Platte, arriva en rade. Landolphe lui fournit des vivres frais et profita de son séjour pour rendre, en compagnie de l’État-Major, une nouvelle visite au roi de Bénin. L’entrevue fut cordiale et accompagnée des cérémonies accoutumées, festins pantagruéliques, danses de caractère et sacrifices humains. Le roi souscrivit à toutes les demandes qu’on lui adressa, signa même un traité d’alliance avec privilège exclusif du commerce. Pour mieux marquer son contentement, il autorisa les officiers, quand ils furent sur le point de partir, à emporter chacun une défense d’éléphant, et, à la surprise de ces derniers, leur laissa le choix entre un millier de défenses en réserve dans ses magasins.

Boudakan

Boudakan

En 1788 et en 1789 aucun événement saillant. La prospérité matérielle augmentait. Près de trente lieues carrées étaient alors en pleine exploitation. De nombreux vaisseaux anglais, portugais ou danois venaient déposer leurs cargaisons à Borodo, et recevaient du fret d’échange qui assurait aux vendeurs de gros bénéfices. Le lieutenant de Landolphe, Olivier, avait même imaginé de faire du cabotage, et, monté sur la Petite Charlotte, il explorait la Côte d’Or. « Les bénéfices devenaient immenses, écrit Landolphe dans ses Mémoires. Ils excédaient 30 000 francs par jour. Sans doute un tel gain devait exciter l’envie, mais j’étais loin de me douter qu’elle attirerait sur ma tête des actes de violence de la part des Anglais. »

Un orage en effet se formait, car la jalousie de l’Angleterre était éveillée, et, fidèle à sa tactique, notre vieille ennemie allait procéder à sa vengeance par un acte de trahison. Les Anglais recoururent d’abord aux moyens détournés. De concert avec un roitelet vassal du Bénin, le maître d’Amin, ils projetèrent d’incendier nos établissements en les attaquant par les canaux intérieurs : mais le complot fut découvert et puni. Landolphe eut le tort de ne pas assez s’inquiéter de cette première tentative. Il se crut inattaquable et continua ses fructueuses opérations.

Les administrateurs de la Compagnie partageaient sa confiance, mais ils commirent la faute de ne pas songer assez à l’avenir et trop à leur dividendes. Ils n’envoyèrent jamais, pour ravitailler la naissante colonie, que deux navires, et ils ne renouvelèrent pas les colons. Cette erreur économique était d’autant plus déplorable que, de tous ceux qui étaient venus de France avec le premier arrivage, il ne restait que le capitaine Landolphe, le naturaliste Beauvais, et deux tuiliers, Pomponneau et Tondu. Les autres étaient morts. Ceux qui les avaient remplacés appartenaient un peu à toutes les nations : c’étaient surtout des déserteurs ou des déclassés, en somme une recrue peu recommandable et d’une fidélité douteuse.

Pendant ce temps l’Angleterre méditait la ruine, ou plutôt l’accaparement à son profit, de ces prospères comptoirs. En février 1791 arriva de Liverpool un navire anglais, venu sous prétexte de vendre cinquante tonneaux de gros sel rouge. Landolphe refusa de l’acheter, mais commit l’imprudence de permettre le dépôt dans ses magasins de cette marchandise encombrante. Or ces Anglais n’étaient venus que pour étudier la position et mieux préparer leur guet-apens.

Le 30 avril 1792 furent signalés trois autres navires de Liverpool commandés par les capitaines Gordon, Potter et Cotteron. Landolphe les accueillit sans la moindre méfiance. Il poussa même les bons offices jusqu’à renflouer un de leurs navires échoués et leur donner un grand repas, où furent échangés force toasts et nombreuses promesses. Landolphe nous conte le détail de cette soirée dans ses Mémoires :

« Les Anglais mangèrent et burent largement. On s’égaya : la joie devint très vive ; le vin même causait une certaine effusion de tendresse qui montrait pour ainsi dire à nu le cœur sur le verre. On porta de nombreux toasts à la prospérité du commerce, à la France, à l’Angleterre, etc.

« Au coucher du soleil on se leva de table ; les capitaines et leur suite se rembarquèrent dans leurs canots et se rendirent chacun à son bord.

« Vers les deux heures du matin, les cris redoublés de deux gros chiens m’éveillèrent. Je me levai en toute hâte, imaginant qu’un tigre s’était introduit parmi le troupeau de moutons, ainsi que je l’avais déjà vu. Mais qui peindra mon étonnement de trouver une ligne d’hommes armés, la baïonnette au bout du fusil, sur la galerie de mon habitation ? Je ferme avec le plus grande vivacité ma porte et rentre dans l’appartement. J’y étais à peine que j’y rencontre des individus qui s’étaient glissés par une porte du centre communiquant à ma chambre à coucher. ils déchargèrent à l’instant plus de vingt coups de pistolet sur ma personne et sur mon lit. Ensuite ils firent un feu de file dont la clarté me montra un des brigands enfonçant la pointe de son sabre dans ma couverture, en ce qu’il me croyait endormi.

Quibangua (demeure du capitaine, construction élevée sur des poteaux, un peu plus de deux mètres au dessus du sol, et surmontée d'une grande case de paille précédée d'une galerie sur laquelle on peut disposer des armes en cas de nécessité) et intérieur d'un comptoir européen sur la côte d'Angola, en Afrique

Quibangua (demeure du capitaine, construction élevée sur des poteaux, un peu plus de
deux mètres au dessus du sol, et surmontée d’une grande case de paille précédée d’une galerie
sur laquelle on peut disposer des armes en cas de nécessité) et intérieur d’un comptoir
européen sur la côte d’Angola, en Afrique. Dessin d’après nature de Louis Ohier
de Grandpré et extrait de Voyage à la côte occidentale d’Afrique, fait dans les années
1786 et 1787, contenant la description des mœurs, usages, lois, gouvernement et commerce
des États du Congo, fréquentés par les européens, et un précis de la traite des Noirs,
ainsi qu’elle avait lieu avant la Révolution française
(Tome 1) paru en 1801

« Je m’étais heureusement caché sous le bureau que m’avaient donné ces assassins quelques heures auparavant, et j’avais déchiré ma chemise afin d’éviter le point blanc qu’ils pouvaient mirer dans les ténèbres. Ils étaient sans doute fort ivres, car ils tiraient de tous côtés les uns sur les autres, et j’en vis tomber plusieurs près de moi victimes de leur propre férocité.

« J’allais infailliblement périr sous les coups de ces scélérats, quand m’armant de courage, je m’élance au milieu d’eux pour sauter par une fenêtre ouverte sur le jardin. Un Anglais veut me saisir par l’épaule gauche ; sa main glisse sur ma peau, et j’accomplis mon dessein en tombant de la hauteur de dix-sept pieds. Je reste immobile. On regarde par la croisée ; on m’aperçoit ; un coup d’arme à feu m’atteint ; la balle ou plutôt la mitraille me traverse la jambe gauche. Le chef de l’exécrable bande demande à celui qui avait tiré ce dernier coup si le capitaine Landolphe est mort. Oui, je le vois sans mouvement ; il est assurément sans vie ; c’est moi qui l’ai tué.

« Cette réponse m’obligea de contrefaire le mort pour les maintenir dans leur erreur. Ils vinrent de nouveau à la fenêtre, et n’observant aucun mouvement en ma personne, ils mirent pièces mon secrétaire qui renfermait beaucoup d’argent, et des diamants achetés au capitaines portugais venant du Brésil. Ils cassèrent encore avec des masses un coffre fort où j’avais en réserve une grande quantité de quadruples et d’autres pièces d’or, dites portugaises. Tout fut pillé en un moment. Les scélérats avaient posé des vedettes en dehors du fort, afin d’être avertis à temps, si le village de Boby me donnait des secours.

« Effectivement, quelques-uns de mes nègres s’étant sauvés portèrent l’alarme au village. Les habitants se levèrent et accoururent en armes ; mais les assassins, qui furent prévenus de ce mouvement, répandirent des traînées de poudre au milieu et sur les meubles de ma chambre ; en fuyant, ils y jetèrent des mèches embrasées qui réduisirent tout en cendres, et jusqu’aux tapisseries.

« Malgré d’indicibles souffrances, je venais de me traîner dans un des fossés du fort, où je m’était enfoncé dans l’eau jusqu’au cou. À la lueur de l’incendie, je voyais fuir les voleurs avec mes précieuses dépouilles. Les maisons étant construites en bois devinrent très rapidement la proie des flammes. La frayeur d’en être atteint me contraignit de sortir de ma retraite, pour me traîner derechef jusqu’auprès d’une fontaine, entourée de plusieurs grandes pièces d’eau, à cent vingt toises environ du fort.

« Là, les blessures de mon cœur non moins vives que celle de ma jambe, saignaient de voir le fruit de tant de peines disparaître comme un éclair par la cruelle méchanceté des hommes. Déjà les flammes approchaient du magasin de poudre, quand tout à coup une détonation terrible m’offre l’assurance qu’il a sauté. il renfermait plus de dix milliers de poudre. Le fort, les batteries, les maisons, les magasins étaient dispersés en éclats au milieu d’un affreux nuage de fumée que traversaient des tourbillons de feu. J’échappai par miracle aux immenses débris qui tombaient à coups pressés comme la grêle autour de moi. il y en ut de lancés à une lieue de là. Dieu ! quel horrible tableau ! »

Esclaves conduits par des Marchands. Gravure (colorisée ultérieurement) de Nicolas de Launay réalisée d'après celle de 1780 de Jean-Michel Moreau dit Moreau le Jeune

Esclaves conduits par des Marchands. Gravure (colorisée ultérieurement) de
Nicolas de Launay réalisée d’après celle de 1780 de Jean-Michel Moreau dit Moreau le Jeune

Las de détruire, les brigands se décidèrent enfin à se rembarquer et prirent le large. L’infortuné Landolphe fut alors trouvé et recueilli par les indigènes. Il les avait toujours bien traités ; ils se montrèrent très reconnaissants. Le fils du roi d’Owhère pansa lui-même ses blessures, et le roi Animazan lui prodigua les soins et les égards les plus affectueux.

Landolphe ne guérit qu’après cinquante deux jours de traitement. Il était complètement ruiné, la colonie également, et le prestige de la France dans l’Afrique occidentale venait de recevoir un coup, dont elle ne se relèvera que bien des années plus tard.

Cette attaque brutale, cette odieuse agression en pleine paix était une violation du droit des gens, un véritable acte de brigandage. Interpellés par un certain capitaine Laurenti, alors à Gothon, qui leur envoya un cartel et une lettre d’injures, les capitaines anglais répondirent que c’était le prélude d’une prochaine guerre et qu’ils avaient reçu l’ordre de s’emparer de Landolphe, mort ou vif. Ils avouaient donc qu’ils avaient agi contre tout droit, et uniquement pour empêcher les progrès d’une colonie naissante.

Sans doute la guerre était imminente, mais elle n’était pas déclarée. Elle ne le fut qu’un an plus tard, après l’exécution de Louis XVI. La destruction de la colonie du Bénin était donc une véritable piraterie, et, si on avait vécu à une époque moins troublée, il n’aurait été que légitime de tirer une vengeance éclatante de cet audacieux déni de justice. Landolphe eut au moins la satisfaction de faire durement expier aux Anglais sa mésaventure. Pendant quelques années il croisa dans la mer des Antilles, et fut au nombre de ces audacieux corsaires qui, sous le commandement de Victor Hugues, le gouverneur de la Guadeloupe, infligèrent aux négociants anglais des pertes cruelles.

En 1798, nommé capitaine de vaisseau, il fut chargé de conduire une escadre aux côtes d’Afrique. On l’avait choisi parce qu’on se souvenait du rôle brillant qu’il avait jadis joué dans ces parages et qu’on espérait tirer parti et de ses connaissances spéciales et de ses relations avec les indigènes. En effet, après avoir pris sur sa route, soit aux Açores, soit au Cap Vert, soit à Sierra Leone et à la Côte des Dents jusqu’à vingt-trois navires anglais ou portugais, après avoir ravitaillé Saint-Louis et Gorée, il arriva dans la rivière de Bénin et revit l’île Borodo et ses anciens comptoirs.

Reconnu par les indigènes qui avaient conservé de sa loyauté un excellent souvenir, il est accueilli par eux avec enthousiasme. On lui apprend que son ancien pupille Boudakan, et que le roi Animazan sont morts, mais leur successeur, Mobi, promet son concours et les guide lui-même sur le haut de la rivière, où avaient cherché à se cacher, à la nouvelle de l’arrivée des Français, quatre navires anglais, qui furent pris sans peine.

Landolphe n’aurait pas mieux demandé qu’à s’installer de nouveau au Bénin et qu’à recommencer la colonie qui jadis, et si rapidement, avait produit de si beaux bénéfices, mais les instructions ministérielles prescrivaient une croisière et non pas un établissement. Bien à contrecœur il s’arracha au théâtre de ses anciens exploits et continua à longer la côte, capturant de nombreux vaisseaux ennemis et semant partout la terreur de son nom.

Quand il revint en France, après de dramatiques aventures, le premier Consul qui avait besoin d’hommes d’exécution et s’était plaint à diverses reprises de ne pas trouver dans la marine d’hommes assez hardis pour le seconder dans ses entreprises contre les Anglais, aurait voulu l’attacher à sa fortune : mais Landolphe, qui était harassé par ses campagnes successives et croyait avoir à se plaindre de la haute administration, repoussa ses avances. Dès lors il vécut dans la retraite, tout occupé à rédiger ses curieux mémoires.

La colonie du Bénin fut oubliée comme l’avait été son fondateur. Pendant toutes les guerres du premier Empire nos négociants, sauf de rares exceptions, n’osèrent pas s’aventurer sur les côtes de l’Afrique occidentale et le seul commerce fut la traite des Noirs, que l’on continua, malgré la surveillance anglaise, et à cause des grands profits qu’on en retirait : mais seuls les Anglais restèrent solidement établis sur quelques points. Quelques négociants de Nantes essayèrent il est vrai, au Gabon, le commerce du bois de santal et des dents d’éléphant. Les Bordelais, puis les Marseillais, suivirent cet exemple, mais bientôt la concurrence avilit les prix de vente, et peu à peu disparut de la côte le pavillon Français. Ce sera seulement sous la monarchie de Juillet que nous reprendrons la tradition interrompue.

 
 
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