12 avril 1204 : prise de Constantinople par les Français et fondation de l’empire des Latins

Les trois premières croisades n’avaient eu pour objet que la délivrance de la Terre Sainte, et les chrétiens n’y avaient combattu que contre les Turcs ; mais la quatrième croisade fut différente de toutes les autres, en ce que les chrétiens y tournèrent leurs armes contre d’autres chrétiens, et fondèrent, chemin faisant, un nouvel empire, qu’on appela l’Empire des Latins. Voici comment arriva cette singulière révolution.

Pendant que les Croisés étaient à Venise, Alexis Comnène, fils d’Isaac l’Ange, empereur de Constantinople, vint implorer leur secours contre le tyran Alexis son oncle, qui avait fait crever les yeux à l’empereur, et avait usurpé le trône. Les Français, qui formaient le plus grand nombre parmi les Croisés, font voile vers Constantinople, accompagnés des troupes vénitiennes et de leur doge Dandolo, qui voulut avoir part à cette expédition. Ils attaquèrent la ville et l’emportèrent en six jours. Isaac, remis sur le trône, mourut peu de jours après ; son fils Alexis lui succéda, et manqua aux promesses qu’il avait faites aux Français, qui se retirèrent très mal satisfaits de lui.

Prise de Constantinople. Peinture de Palma le Jeune

Comme les Français avaient commis beaucoup de désordres à la prise de Constantinople, les Grecs avaient conçu une grande haine contre Alexis, qui les avait amenés. Aussitôt qu’on les vit hors de Constantinople, le peuple se souleva contre lui. Alexis Ducas, surnommé Mursuphle, homme de néant, que le jeune Alexis avait élevé à de grandes dignités, se mit à la tête des rebelles, le prit, le fit mourir, et se fit déclarer empereur. Cet usurpateur, pour complaire au peuple de Constantinople, déclara la guerre aux Français qui étaient encore en Grèce. L’armée française assiégea une seconde fois Constantinople, et malgré la résistance des Grecs, qui fut grande, la prit d’assaut (12 avril). Mursuphle s’enfuit après avoir régné deux mois et demi.

Les vainqueurs abandonnèrent à tous les excès de la fureur et de l’avarice. Les églises même furent pillées ; et ce qui marque assez le caractère de la nation, qui n’a jamais changé, les Français buvaient, chantaient, caressaient les femmes dans la cathédrale, en la pillant. « On jeta, dit de Fleuri, les reliques dans des lieux immondes ; on employa les vases sacrés à des usages profanes ; une prostituée vint danser dans le sanctuaire, et s’asseoir dans la chaire patriarcale. »

Les Français étant ainsi maîtres de Constantinople, élurent pour empereur des Grecs, Beaudouin, comte de Flandre ; et laissant l’expédition de la Terre-Sainte, s’appliquèrent à maintenir dans l’obéissance l’empire qu’ils venaient de conquérir. C’est ce qui s’appela l’empire des Latins, qui ne dura que cinquante-huit ans. Les Grecs se révoltèrent en 1261, chassèrent les Français, et élurent pour empereur Michel Paléologue.

Les princes de la maison impériale des Comnène ne perdirent point courage dans la destruction de l’empire : un d’eux, qui portait aussi le nom d’Alexis, se réfugia avec quelques vaisseaux, vers la Colchide, et là, entre la mer et le Mont-Caucase, forma un petit Etat, auquel on donna le titre magnifique d’Empire de Trébizonde. Ce nouvel empire subsista jusqu’à l’invasion des Turcs, qui mirent fin à l’empire d’Orient en 1453.